En 2021, la Chine n’aura toujours pas montré les limites de son puissant système portuaire, indélogeable gardienne du panthéon mondial. Les huit leaders mondiaux sont tous chinois, à l’exception du coréen Busan (22,69 MEVP, 7e rang). Ce classement est invariable depuis des années.
La Chine ne crée plus l’événement depuis que ses ports représentent près de la moitié des boîtes manutentionnées par les 30 premières places mondiales (450 MEVP). Ils semblent avoir toujours plus de réserves de croissance. Leur part de marché s’est encore accrue, établie en 2021 à 47 %.
Les cas particuliers des ports américains
Les événements se sont produits ailleurs. L’année 2021 a réservé quelques surprises. Des vraies et des fausses. Parmi les fausses annonces, il y a celles qui étaient attendues à l’instar des cas très particuliers des ports jumeaux de part et d’autre du continent nord-américain : New York/New Jersey côté Est, qui enregistrent une croissance de 18,5 % avec 8,98 MEVP et passent ainsi du 20e au 18e rang tandis que côté Ouest Los Angeles/Long Beach, avec 20,06 MEVP, progressent de 15,8 % et glissent à la 9e place mondiale.
À eux deux, les couples portuaires ont apporté pas moins de 2,7 MEVP à la patrie l’an dernier. Suffisamment pour bousculer l’échiquier : le duo est-américain va probablement déloger Hambourg. Les jumeaux californiens peuvent éjecter Rotterdam du Top 10. Alphaliner classe curieusement ensemble les ports californiens mais, pris séparément, Los Angeles (10,70 MEVP) serait relégué à la 14 ou 15e place mondiale et Long Beach (9,38 MEVP) probablement à un rang derrière.
La côte est-américaine en tampon
Non loin, sur la côte Est, Savannah ne crée pas non plus la surprise bien qu’il ait enregistré une croissance de 20 % et gagné sept places pour atterrir à la 28e place mondiale et faire ainsi son entrée fulgurante parmi les 30 premiers mondiaux avec 5,61 MEVP. Nul étonnement car le port de Géorgie est le réceptacle, avec son voisin Charleston de Caroline du Sud, des navires déroutés de la Californie congestionnée.
Janvier aura d’ailleurs été pour le quatrième port américain son 18e mois consécutif de record mensuel, à 480 000 EVP. Pour faire face à la hausse des volumes, il a dû aménager en urgence cinq zones de stockage. En un an et demi, il aura absorbé un trafic de 1,2 MEVP.
Les cinq ports américains doivent leur élection au sein de l’élite portuaire à l’incroyable boom de la consommation américaine qui, une fois n’est pas coutume au royaume du consumérisme, est l’ennemi du bien : si elle a remis d’équerre l’économie américaine, elle a engendré un innommable capharnaüm sur les quais outre-Atlantique et a contribué à ce qui est désormais convenu d’appeler la « désorganisation généralisée de la chaîne d’approvisionnement mondiale ». L'effet sera-t-il durable une fois les arriérés épongés et les modes de consommation revenus à une certaine sagesse ?
L’ascension indienne
En revanche, pour trouver les vrais étonnements, il faut regarder ailleurs, vers l’Asie, mais pas en Chine. Deux ports indiens ont exercé une OPA sur les trafics en 2021. L’un, Mundra, en confortant une croissance qui s’ancre : + 19,5 % en 2020 et + 17,8 % en 2021 avec 6,66 MEVP mais qui reste dans son rang (25e au lieu de 26e). L’autre, Nhava Sheva, qui suscite plus de réserve, car son bond de 25,9 % (5,63 MEVP) succède à une repli de 12,3 % en 2020. Mais cela lui permet néanmoins de se mettre sur orbite.
La fatalité chinoise
À dix, les premiers ports chinois ont totalisé 202,5 MEVP l’an dernier, enregistrant une croissance de 7 % par rapport à 2020. Ils représentent près d’un quart du total mondial et la quasi-totalité de l’ensemble chinois (282,7 MEVP).
Avec une croissance de 8,1 %, Shanghai (47,02 MEVP) a consolidé sa pole position pour la 12e année consécutive au sommet. Il a désormais creusé un écart de près de 10 MEVP avec son concurrent le plus proche, Singapour (37,46 MEVP), dont l’aura pâlit (+ 1,6 % en 2021 après – 0,9 % en 2020). Bien qu’ils aient dû fermer partiellement l’an dernier, Ningbo-Zhoushan (31,08 MEVP), Shenzhen (28,76 MEVP), Guangzhou-Nansha (24,18 MEVP) et Qingdao (23,7 MEVP) restent des valeurs sures. Tous ont resserré l’écart avec le port de la cité-État.
Géographie stratégique
La géostratégie reste une carte maîtresse dans le domaine portuaire. Les ports chinois situés à chaque extrémité des grandes lignes Est-Ouest ont vu leur trafic exploser l’an dernier. Certains ont enregistré une progression à deux chiffres. Les taux de croissance ont toutefois été très contrastés au cours de l'année. Ainsi, le plus grand port du nord de la Chine, Tianjin, a affiché une hausse de 10,4 % en 2021 quand Qingdao, qui avait surperformé en 2020, a dû se contenter d’une croissance de 7,7 % l’an dernier. Yingkou (5,48 MEVP) est toutefois le seul parmi les dix premiers ports à avoir perdu du trafic en 2021. Il ferme le ban des 30.
Les derniers mois de l’année ont été plus chaotiques pour certains, à nouveau confrontés à la gestion du virus. Tianjin a, par exemple, perdu 15 % de son trafic (sur une base annuelle) en décembre. En dehors du top 10, Dalian a vécu, pour la seconde année consécutive, un exercice douloureux. Ses volumes, qui avaient chuté de 8,6 à 5,1 MEVP en 2020, lui avaient fait perdre dix rangs dans le classement mondial, glissant de la 19e à la 29e place mondiale. En 2021, il a dérapé à nouveau avec une perte de volumes de 28 % pour 3,67 MEVP. Le variant Omicron a été particulièrement sévère pour Dalian, mais il doit aussi faire face à la concurrence. Sans doute faut-il voir dans le succès de Tianjin et Qingdao le reflet de la déconfiture de l’ex-étoile portuaire, qui a cependant brillé en décembre, en rebondissant de 40 %. À contre-courant de ses voisins.
Que lire d’autre dans le classement des trente premiers mondiaux en 2021 ?
La faiblesse de la présence européenne est notable, à l’exception de Rotterdam (11e avec 15,3 MEVP estimés), Anvers (15e avec 12,02 MEVP), Hambourg (19e avec 8,72 MEVP estimés) et Valence (27e).
L’absence des ports français est éclatante. Pour y trouver le premier, Le Havre, il faut basculer dans un autre classement, celui des 100 (le port était jusqu’à présent à la 76e place mais devrait faire un bond avec ses 3 MEVP frappés). Et pour dénicher le second (Marseille Fos), il faut encore changer de tranche et passer dans la catégorie des 100e au 200e ports.
En Méditerranée, la montée en puissance extrêmement rapide (+ 49 % ces deux dernières années) de Tanger Med est déconcertante. Reine du transbordement, avec 7,17 MEVP, la première porte d’entrée marocaine a détrôné, dans le détroit de Gibraltar, sa voisine espagnole d’en face, Valence (5,61 MEVP, + 3,4 %). Le Pirée n’a pas eu la même fortune. Pourtant chaperonné par Cosco, le port grec dévisse pour la seconde année consécutive (-3,7 % en 2020, - 2,2 % en 2021, à 5,64 MEVP) et perd deux rangs pour trouver refuge en toute fin de classement (29e).
Tous ont retrouvé des couleurs vives
Plus globalement, les trente premiers ports à conteneurs mondiaux ont renoué avec la croissance en 2021, au-delà des 6,5 points. Ils ont ainsi traité 450 MEVP au cours de l'année, contre 421 MEVP en 2020.
« Dans l'ensemble, 14 ports ont transformé un résultat négatif en 2020 en une croissance positive en 2021. Cependant, six d’entre eux n'ont pas encore retrouvé leurs volumes d'avant Covid : Hong Kong, le Pirée, Dubaï, Kaohsiung, Hambourg et Yingkou », signale Alphaliner.
Les perdants sont peu nombreux, au nombre de trois, dont l’abonné Hong Kong, l’ex-numéro un mondial, qui décroche depuis 2011, victime collatérale de l’ascension de ses grands voisins chinois. Une irréversible chute que le port ne parvient plus à enrayer et qui le fait atterrir à la 10e place. Sans doute sa dernière année dans le Top 10 avant d’en être radicalement exclu.
Adeline Descamps