Les 12 et 13 juin derniers, le syndicat Coordinadora Estatal de Trabajadores del Mar (CETM), appelée couramment « Coordinadora », a tenu son assemblée générale à Bilbao et célébré le 45e anniversaire de sa création. Forte de 7 000 adhérents, l'organisation professionnelle est la plus représentative des employés de la manutention dans la quasi-totalité des ports espagnols, et particulièrement dans les trois premiers (Algésiras, Barcelone et Valence).
L’ambiance était consensuelle. Ricardo Barkala, le président de l’Autorité portuaire de Bilbao, et José Luis Romero, secrétaire général d’Anesco, la principale association des entreprises de la manutention, assistaient tous deux à l'événement.
Une nouvelle étape, un symbole
Le choix de Bilbao n'est pas neutre. Le port basque a éprouvé, durant le quatrième trimestre de 2020, une grève particulièrement longue (57 jours) et dure, se soldant par un effondrement brutal du trafic portuaire (- 17 % et - 23 % pour les conteneurs) et un manque à gagner dans les escales en raison d'un détournement des navires vers les ports voisins (Gijón et Santander).
Le calme social y est revenu mais le port, qui ne réalise que des opérations d’export-import, n’a toujours pas retrouvé le niveau de trafic de 2019 (628 000 EVP), bloqué autour de 500 000 EVP par an depuis 2021. « Le port n’a pas fini de payer la facture de la grève », estime un bon connaisseur de la place.
Coordinadora veut tourner la page et la réunion de Bilbao en a été la parfaite illustration. « L’assemblée a été un exercice d'autocritique sur le passé et d'anticipation sur l'avenir en mettant l’accent sur une question : le type de syndicat que nous voulons pour les 10 ou 12 prochaines années » explique au JMM Antolín Goya, le coordinateur général de la CETM. La stabilité sociale, qui y règne depuis, a permis « à l'organisation de se concentrer sur notre présence dans les ports, l'amélioration de nos conditions de travail, la formation continue de nos membres, et notre contribution à la croissance des trafics ».
Une réforme laborieuse
Il est vrai qu’en Espagne la donne a changé du tout au tout. Le processus de réforme de la manutention portuaire, exigé par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de décembre 2014, a été laborieux et émaillé de grèves particulièrement dures impulsées par Coordinadora.
Il a été définitivement bouclé, après d'âpres négociations, avec la signature par Anesco et les syndicats (CETM, CC OO et UGT) du « cinquième accord cadre pour la régulation des relations de travail dans le secteur de la manutention portuaire », publié au journal officiel espagnol en date du 18 mai 2022. Le texte a été validé par le gouvernement et la justice espagnols.
Par la suite, les négociations ont été engagées dans chaque port en vue de sa déclinaison locale. À Valence, premier de la classe pour le trafic des conteneurs, la signature de la convention collective locale, le 6 juin 2024, a constitué un événement d’autant que l’accord précédent datait de… 1995.
Le texte, valable jusqu’en 2029, ouvre une nouvelle page dans un port au long passé de tensions sociales entre les deux parties prenantes. L’acceptation des compromis de part et d'autre est une révolution et témoigne d’un vrai changement culturel.
Algésiras, Barcelone, Bilbao, etc. ont emprunté la même trajectoire. En revanche, les échanges sont plus tendus dans d'autres enceintes, notamment dans les plus petits ports, en raison de divergences entre les entreprises manutentionnaires. « Nous continuons à insister et à négocier, car nous pensons qu'il est crucial de consolider le trafic pour attirer plus d'activité et améliorer l'économie du pays », soutient Antolín Goya. Pour Coordinadora, la recherche de la stabilité est assumée comme la ligne directrice d'une nouvelle ère.
Une conjoncture alliée de la paix social
La conjoncture s'y prête. Alors que pendant le premier semestre de 2023, le trafic de conteneurs dans les ports espagnols avait baissé de 8 %, la tendance s’est inversée à partir du dernier trimestre de l’année à la faveur de la crise en Mer Rouge et des effets induits (détournement des navires, allongement des distances, perturbations dans les ports). Entre janvier et mai, le trafic de conteneurs des ports espagnols a augmenté de 12 % et le transbordement de 19 % (+ 12,5 % à Valence et + 23 % à Barcelone).
En avril 2024, la section locale de Coordinadora et Estibarna, la société de gestion de la main d’œuvre du port de Barcelone, dont les manutentionnaires sont actionnaires, se sont accordés pour renforcer la disponibilité des personnels opérationnels, optimiser l’organisation du travail et renforcer la formation. Ce document complète la convention collective signée en février 2023 et valable jusqu’en 2030. À Vigo, la nouvelle convention collective, signée le 4 juillet dernier, prévoit également une augmentation de 50 % les effectifs dédiés à la manutention.
Des incertitudes persistantes
Si la paix est revenue sur les quais, les incertitudes demeurent : concurrence des ports d’Afrique du Nord, automatisation, retournement de conjoncture, etc. Antolín Goya se montre rassurant. « Coordinadora a démontré une capacité d’adaptation remarquable. Les facteurs qui ont une incidence sur le commerce mondial exigent que nous soyons prêts à amortir le choc. Avec la stabilité actuelle du trafic portuaire, nous sommes dans des dispositions optimales pour se préparer à toute éventualité » affirme-t-il.
Des ambitions
Mais le syndicat veut aller plus loin. Ayant fait le plein dans la manutention portuaire, il cherche à renforcer sa présence dans les autres services (lamanage, pilotage et remorquage) et parmi le personnel des compagnies maritimes. En juin, Coordinadora a remporté l’élection pour la désignation du seul représentant syndical au sein de l’entreprise de pilotage du port de Valence.
Aussi, Coordinadora entrer jouer un rôle au niveau européen à travers l’European Dockworkers Council (EDC), dont sont membres des organisations d’une douzaine d'États membres, dont la FNPD-CGT pour la France.
Daniel Solano