Il manque à Brittany Ferries quelque 70 000 passagers pour atteindre le cap symbolique des 2 millions de passagers, qui était la jauge transportée d’avant les crises protéiformes qu’a traversées la compagnie bretonne : le Brexit et les effets sur son fond de clientèle majoritairement britannique ; le Covid et sa politique zéro ferries ; la guerre tarifaire sur le détroit de Calais avec l’arrivée d’Irish Ferries ; l’inflation et sa capacité à refroidir le pouvoir d’achat du chaland, etc. Les différents à-coups ont coûté cher à ce pilier d’Armateurs de France. En 2019, 2,2 millions de passagers embarquaient à bord de ses ferries. Au sortir de la crise sanitaire, ils avaient déserté et n'étaient plus que 520 000.
Mais la société vient d’enchaîner deux exercices en croissance, de près de 12 % entre 2022 et 2023, et de 6,5 % sur son exercice 2024 (novembre 2023 - octobre 2024) comparé à la même période en 2023, avec 1,93 million de passagers réservés. Sa croissance s’est certes décélérée mais le niveau reste suffisamment élevé pour conforter sa remontada.
« Le travail que nous avons accompli pour surmonter la crise du Covid et préparer l'avenir porte ses fruits : les clients reviennent et les taux de satisfaction des passagers augmentent. Les résultats sur le transport de fret sont positifs », met en valeur Christophe Mathieu, le directeur général de Brittany Ferries.
Les données délivrées par la société, positionnée historiquement entre France/Royaume-Uni et Irlande et plus récemment sur le Golfe de Gascogne (Royaume-Uni/Espagne et Espagne/Irlande), restent toutefois partielles, limitées à son marché historique, le transmanche.
Entre France et Royaume-Uni
Sur les lignes normandes (au départ de Caen-Ouistreham, Cherbourg, Le Havre), la liaison phare Caen-Ouistreham/Portsmouth, qui aligne trois départs quotidiens, reste celle qui bénéficie des plus fortes hausses de réservations. C’était déjà le cas l’an dernier (+ 14,2 %). Brittany Ferries y a enregistré 700 000 réservations pour la période entre novembre 2023 et octobre 2024, en hausse de 9,3 % en glissement annuel, près de deux fois le taux de croissance observé sur l'ensemble des lignes. Sur ce blockbuster, Brittany Ferries ne doit pas être très loin sinon très proche de son niveau d’avant-crises.
Au départ de Cherbourg, qui connecte la Normandie aux deux ports du sud du Royaume-Uni, Poole et Portsmouth, les volumes transportés sont en hausse de 4 %. « Cela s'explique par l’absence des services de navire rapide à destination et en provenance de Portsmouth et Poole », justifie la direction. Cherbourg est notamment marquée par la concurrence de Dieppe avec sa délégation de service public mais l’entreprise n’en fait pas mention. La ligne Cherbourg-Poole avait néanmoins vu sa fréquentation augmenter de 23 % (104 000 pax) entre 2022 et 2023. Le port normand rallie également le port irlandais de Rosslare, qui connait une augmentation spectaculaire de 28 % avec 35 000 voyageurs.
Pas de nouvelle en revanche du service entre Le Havre et Portsmouth, où ces deux dernières années, les effets indésirables du Brexit se faisaient ressentir vivement, parallèlement à la concurrence du Pas-de-Calais et Getlink-Eurotunnel.
En ce qui concerne les services bretons, depuis les ports de Saint-Malo et de Roscoff, « la comparaison d'une année sur l'autre pour Saint-Malo ne reflète pas exactement la situation en raison de la fermeture hivernale de la ligne », rappelle le service de communication de l’armateur. À période équivalente, entre mars à octobre, le service entre Saint-Malo et Portsmouth est en croissance de 12 %.
Avec 360 000 voyageurs, au départ de Roscoff vers le sud-ouest de l’Angleterre (Plymouth) et de l’Irlande (Cork), les trafics se sont étoffés de 12 %, avec notamment 37 000 passagers supplémentaires pour la ligne emblématique Roscoff/Plymouth, portant le total à 246 000 passagers transportés (+ 18 %).
En attendant les données sur l'arc atlantique
Il manque les résultats des lignes reliant le Royaume-Uni à l’Espagne (Plymouth/ Santander ; Portsmouth/Santander ; Portsmouth/Bilbao et Poole – Bilbao), qui avaient progressé l'an dernier de 14 % par rapport à 2019 mais en perte de vitesse (- 7 %) d'une année à l'autre. Il n'est pas davantage question de la ligne Espagne-Irlande, sur laquelle Brittany Ferries opère un navire de plus grande capacité (le Salamanca). Les réservations (35 000 passagers) y avaient doublé entre 2022 et 2023. Ces liaisons incarnent les orientations stratégiques prises ces dernières années par l'entreprise de Roscoff : desserte de l’Irlande et liaisons longues.
Fret en hausse de 4,3 %
Quant au fret, qui génère près d'un cinquième de ses revenus, les volumes ont augmenté de 4,3 %, tous itinéraires confondus, tirés par le succès des marchés Roscoff/Plymouth, dont les flux ont été gonflés (+ 52 %, 1 553 unités transportées), et Roscoff/Cork (+ 94 %, 883 unités transportées). Encore marginal en volume mais prometteur, relève l’entreprise. Le fret transmanche au départ des ports normands a, quant à lui, augmenté de 3,7 % pour atteindre 86 014 unités.
2025, année de grande transition
L’armateur, qui opère 12 ferries, exploitera jusqu'à 98 liaisons hebdomadaires transmanche régulières en 2025. La très prisée destination Irlande sera desservie par huit rotations au départ de Roscoff vers Cork et de Cherbourg vers Rosslare. Depuis le Royaume-Uni, jusqu'à 12 départs connecteront Plymouth et Portsmouth à Santander. À l'ouverture des ventes en juillet, près de 7 000 réservations avaient été enregistrées, soit une hausse de 18 % par rapport à 2023, un record historique, et de bon augure, selon l’entreprise bretonne.
2025 sera aussi l’année de l’arrivée des deux nouveaux navires hybrides GNL/ électrique. Le premier, le Saint-Malo, dont les essais en mer sont prévus à la mi-septembre, entrera en service à la mi-février en remplacement du Bretagne sur la liaison quotidienne Saint-Malo/Portsmouth. Son sistership, le Guillaume de Normandie est attendu en avril pour desservir la ligne amirale Caen-Ouistreham/Portsmouth à raison de trois traversées par jour, en doublure avec le Mont Saint-Michel. Il remplacera le Normandie, qui comme pour le Bretagne, est retiré dans le cadre du renouvellement de la flotte.
Brittany Ferries vient d’annoncer l’entrée à son capital de huit entrepreneurs régionaux qui rejoignent le « pack breton d’actionnaires historiques », selon l’expression de la compagnie, constitué par les coopératives bretonnes qui restent majoritaires (à 75 %). Aussi, la compagnie française transmanche devrait prendre le contrôle (51 %) de l'Anglo-normande Condor Ferries si l’Autorité de la Concurrence de Jersey l’y autorise (cf. Brittany Ferries ouvre son capital à huit entrepreneurs régionaux). « Brittany Ferries va appliquer à Condor Ferries les clés de sa propre réussite avec un management commun et des valeurs fortes. À commencer par la défense d’un modèle social pour les marins et un engagement renforcé pour la décarbonation », promet le futur actionnaire majoritaire.
Adeline Descamps