A peine hissée à la présidence du Conseil de l'UE, la Belgique marque son territoire. L’UE a présenté le 24 janvier, à Anvers, une des premières portes d’entrée européennes de la cocaïne avec Rotterdam, l'« alliance des ports européens ». Avec pour objet d'harmoniser leurs mesures de sécurité contre le trafic de drogue afin de lutter contre leur infiltration par les réseaux criminels.
La démarche dite publique-privée fédère la Commission, les États membres européens, les autorités portuaires, les agences de l'UE (Europol, OEDT) et les douanes.
Elle s'inscrit dans la feuille de route de l'UE sur le trafic de drogue et la criminalité organisée et les engagements pris par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Un trafic qui pèse
Sur les 2 000 t de cocaïne produites chaque année, 600 à 700 t arrivent sur le marché européen. Au cours des dernières années, Europol estime que plus ou moins 200 t de cocaïne ont transité par les seuls ports néerlandais d'Amsterdam et de Rotterdam. C'est plus ou moins le volume saisi entre 2010 et 2022, dont 162 t pour les seuls ports d'Anvers et de Rotterdam.
La hausse du trafic dans le port belge a été consécutive au renforcement de la sécurité dans celui de Rotterdam. Si la lutte s’intensifie à Bruxelles, le trafic pourrait donc bien se réfugier dans des ports secondaires de l'UE, où les mesures de sécurité en place sont moins strictes. Les trafics se sont déjà déplacés vers Hambourg, Gioia Tauro et même Le Havre, où près de 10 t de cocaïne ont été saisies l'an dernier, voire à Marseille (1,7 t saisie).
Les ports représentent 75 % du volume du commerce extérieur de l'UE et 31 % du volume du commerce intérieur de l'UE. Ils sont donc particulièrement vulnérables à la contrebande de drogue et à l'exploitation par des réseaux criminels à haut risque. Près de 70 % des saisies de drogue effectuées par les douanes y ont été enregistés.
Un partenariat public-privé
« Ce partenariat public-privé se concentrera sur l'identification des vulnérabilités, le partage des meilleures pratiques et la recherche de solutions pratiques pour renforcer la sécurité des ports. Il s'attaquera à l'intimidation, à la corruption et à l'infiltration criminelle dans les ports, grâce à la mise en œuvre de normes de sécurité internationales et européennes et à la coopération entre les services répressifs et douaniers et les opérateurs publics et privés travaillant dans les ports », indiquent les services de la commission européenne.
L'Alliance portuaire européenne devrait s'appuyer sur les résultats de « l'évaluation Schengen » sur le trafic de drogue, qui s'est achevée en novembre 2023. L'audit visait à évaluer les capacités des États membres à y répondre dans le domaine de la coopération policière, de la protection des frontières extérieures et de la gestion des systèmes informatiques.
Une véritable organisation logistique en door-to-door
Dans un document publié en avril 2023, Europol, l'agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité, a documenté dans le détail le modus vivendi des réseaux de trafiquants. Une véritable organisation logistique en door-to-door qui exploite des techniques de plus en plus sophistiquées : conteneur cheval de Troie ou clone, méthode switch ou rip-on/rip-off...
Ce document a été publié alors que MSC faisait face aux accusations d’infiltration de son personnel dans l’affaire du MSC Gayane. En 2019, ce porte-conteneurs avait été saisi dans le port de Philadelphie avec une cargaison record de 20 t de cocaïne d’une valeur marchande de 1 Md$. Cette affaire a ressurgi sur la scène médiatique en fin d'année 2022, à l'heure du jugement de plusieurs membres d'équipage, tandis que MSC risquait une amende de 700 M$.
Mais ce dossier n’est qu’un parmi tant d’autres. Comme en témoignent d'autres affaires : le MSC Lorena (2,4 t de cocaïne à bord), le CMA CGM Voltaire (700 kg de cocaïne), le Maersk Invernes (700 kg) ou encore les Rotterdam Express et Düsseldorf Express de Hapag-Lloyd en 2018 et 2021.
Cinq compagnies s'engagent
En février 2023, MSC, Maersk, CMA CGM, Hapag Lloyd et Seatrade se sont engagés à redoubler d'efforts et à collaborer avec les autorités belges et néerlandaises dans leur traque de tous les produits qui composent une caverne d'Alibaba illégale : cocaïne, héroïne, précurseurs, produits chimiques entrant dans la fabrication de drogues de synthèse, herbe et résine de cannabis mais aussi produits du tabac, marchandises contrefaites, déchets illicites, véhicules ou pièces de véhicules volés…
Parmi les mesures proposées figuraient la systématisation de l'emploi de conteneurs intelligents de façon à tracer la boîte tout au long de son parcours ou encore le recours à la biométrie et au cryptage numérique pour l'accès aux données relatives aux boîtes. Les compagnies maritimes entendent aussi revoir leur politique de recrutement, l'homme étant le maillon faible,
Les ports, des hubs parfaits
Partie du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), qui interconnecte les infrastructures maritimes, ferroviaires et routières ainsi que les voies navigables intérieures, les ports hautement automatisés d'Anvers, de Hambourg et de Rotterdam sont des hubs parfaits pour les réseaux criminels. Grâce à leur hinterland de longue portée, ils permettent d'organiser une distribution efficace des cargaisons à l'échelle de l'UE.
Or, ils sont particulièrement vulnérables en raison de leurs structures ouvertes (nécessaire accessibilité), de la nature de leurs opérations (qui fait intervenir plusieurs intermédiaires), du facteur humain (exposé à l’intimidation et à la corruption), de leurs failles dans les procédures portuaires et logistiques (faibles inspections) et des masses de marchandises traitées (25 % du fret conteneurisé).
En proportion du volume journalier manutentionné, le pourcentage de conteneurs inspectés est d’environ 10 % des conteneurs en provenance des pays d'Amérique du Sud et de 2 %, toutes régions confondues.
Les facteurs aggravants
Plus le port est automatisé, plus les vulnérabilités sont grandes sauf si elles sont compensées par de solides mesures de cybersécurité et des procédures de sécurité renforcées, surtout aux points critiques : les douanes.
Plus le nombre d’interventions humaines est élevé, plus il offre d’opportunités criminelles. En l’occurrence, les ports sont des ruches où fourmillent des prestataires de services, des transitaires, des manutentionnaires, des transporteurs routiers.
L’interconnexion des systèmes d'information de toutes les parties prenantes est une autre fragilité. La numérisation accrue des infrastructures les expose davantage comme en témoigne le nombre croissant d'incidents liés à la violation et à la manipulation de systèmes informatiques.
Adeline Descamps