Comment les ports de Méditerranée occidentale ont profité de la crise en Mer Rouge

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Port de Barcelone

Le détournement des navires par le cap de Bonne Espérance a incité les compagnies à escaler en priorité en Méditerranée occidentale pour les opérations de transbordement de conteneurs. Les ports de Barcelone, Valence et d’Algésiras ont vu leur trafic de boîtes bondir pendant les six premiers mois de 2024, tout en réussissant à limiter la congestion de leurs installations.

Selon les statistiques publiées par Puertos del Estado, le trafic de transbordement des ports espagnols a progressé de 19,6 % pendant le premier semestre de 2024 pour s'établir à 4,9 MEVP. Barcelone en tête (+ 49,9 %, 0,95 MEVP), devant Valence (+ 17,9 %, 1,38 MEVP) et Algésiras (+ 5,8 %, 2,1 MEVP). Au total, ce sont quelque 800 000 EVP supplémentaires qui ont transité par les quais espagnols pendant la première moitié de l’année 2024.

Cette poussée du transbordement contraste avec une évolution moins favorable du trafic import-export. La situation de Valence, leader incontesté sur ce segment, est de ce point de vue significative. En conteneurs pleins, les déchargements de boîtes ont augmenté de 6,3 % (0,4 MEVP) mais les chargements ont stagné (+ 0,2 %, 0,4 MEVP). À Algésiras, les résultats sont à peine meilleurs (+ 2,9 % et + 2,5 %) et les données en tonnage sont carrément négatives (-2,9 % et - 3,7 % respectivement). Barcelone a vu son trafic hors transbordement progresser d'1,2 % (0,7 MEVP) pour les conteneurs pleins au cours du premier semestre (+ 1,1 % pour les déchargements et + 1,7 % pour les chargements).

Ce recul de l’import-export est la conséquence logique d'un cumul de facteurs, de la baisse des exportations dans des secteurs clés (agroalimentaire, céramique, etc.) aux tensions géopolitiques (Ukraine, Moyen-Orient, etc.) en passant par la crise diplomatique avec l’Algérie. Les exportations de marchandises vers ce pays se sont littéralement effondrées, passant de 1,9 Md$ à 332 M€ en deux ans (2021-2023).

Les exportations totales de marchandises espagnoles, qui avaient fortement progressé après le trou d’air du Covid (+ 19,4 % en 2021 et + 23,1 % en 2022), ont reculé de 1,4 % en 2023 et de 2,3 % pendant les cinq premiers mois de 2024.

Mer Rouge, incomparable moteur de croissance

C’est donc bien la crise en Mer Rouge qui a propulsé l’activité pendant la première moitié de l’année. Le trafic total de conteneurs (transbordement + import-export) dans les ports espagnols est au beau fixe (+ 12,4 %), à 9,1 MEVP. Aucun signe ne permettant de croire que les Houthis vont prochainement cesser leurs tirs contre les navires, l’embellie devrait trouver un prolongement dans la deuxième partie de l'année. L’Espagne peut raisonnablement espérer atteindre les 18 MEVP en 2024 et franchir le pic observé en 2021 (17,7 MEVP, dont 9,4 MEVP au titre du transbordement). De quoi consolider sa deuxième place en Europe après les Pays-Bas.

Congestion limitée

Mais la plus belle réussite des ports espagnols est sans doute d'avoir limité les effets de congestion. La disponibilité de capacités de portuaires sur la façade méditerranéenne de l’Espagne n'y est pas étrangère. Pendant la période 2022-2023, l’activité de transbordement dans les ports espagnols avait reculé de 10 %, soit une perte globale de 1 MEVP. L’afflux de conteneurs a été dans un premier temps bien venu puis, avec l’occupation des quais dans les deux grands ports traditionnels de transbordement (Algésiras et Valence), les compagnies se sont tournées vers d’autres ports. C’est ce qui explique la hausse spectaculaire du transbordement à Barcelone pendant le premier semestre (+ 49,9 %). L’afflux a été tel qu’à la mi-avril, l’Autorité portuaire de Barcelone (APB) a décidé d’accorder la priorité à l’amarrage des navires réalisant des opérations d’import-export au terminal BEST (Hutchison Port Holdings), qui réalise 70% du trafic total du port. L’autre opérateur, APM Terminals Barcelona, a annoncé une série de mesures visant notamment à réduire le déchargement de conteneurs vides.

La situation du port de Malaga (capacité de 0,5 MEVP) est remarquable. Accoutumé aux évolutions en dents de scie  – c'est traditionnellement une sorte de « port soupape » pour des compagnies comme Maersk et MSC – le transbordement, qui était passé de 202 000 EVP à 11 700 EVP entre 2021 et 2023, y a atteint 85 000 EVP au cours du premier semestre, soit + 846 % en glissement annuel. Ce rebond s’explique par le retour de MSC dans le port de la Costa del Sol avec une vingtaine d’escale pendant les cinq premiers mois de l'année.

Climat social sain

Une autre explication réside dans les stratégies des compagnies, dont certaines ont utilisé les services portuaires autres que ceux en Méditerranée. C’est le cas, par exemple, de MSC, présent dans la manutention à Valence et à Las Palmas (Canaries) mais qui a eu recours au terminal de PSA à Sines au Portugal, à la capacité de 2,7 MEVP largement sous-exploitée. Pendant les six premiers mois, le trafic y a bondi de 22 %.

La bonne entente qui règne désormais entre syndicats et entreprises de la manutention a aussi facilité les choses, d’autant que l’afflux de conteneurs a accru les besoins en main d’œuvre. À Barcelone, Estibarna, la société de gestion de la main d’œuvre, contrôlée par les sociétés manutentionnaires, a décidé d’embaucher 75 ouvriers supplémentaires en avril puis à nouveau 169 ouvriers en juillet. À Algésiras, un processus d’augmentation des embauches est en cours.

Des investissements qui tombent à point nommé

Coïncidence heureuse, les programmes d’investissements, concertés avec les autorités portuaires bien avant la crise en Mer Rouge, portent leurs fruits. Le terminal barcelonais BEST devrait accroître progressivement sa capacité de manutention de 25 %. APM Terminals Barcelona a mis en service, en mai 2024, 17 straddle carriers hybrides qui seront complétés par cinq autres totalement électriques, livrés prochainement. Trois portiques STS doivent être livrés durant le deuxième trimestre de 2025.

À Valence, le groupe chinois Cosco, qui contrôle le principal terminal en partenariat avec CMA CGM, a annoncé l'an dernier un effort financier de 120 M€ sur la période 2023-2027, destiné à porter la capacité de manutention de 3,5 à 4,6 MEVP. En octobre dernier, cinq grues hybrides RTG ont été mises en service afin d’augmenter la productivité tout en réduisant de 40 % la consommation de combustibles fossiles.

Forcer est de constater que la conjoncture actuelle a validé la viabilité de projets d’investissements annoncés dans un contexte moins favorable. De quoi donner envie aux acteurs de consolider leur présence sur les quais.

Daniel Solano

 

Les grands armateurs consolident leur présence pour garantir leur accès aux quais

Les compagnies maritimes qui contrôlent les principaux terminaux à conteneurs espagnols investissent pour garantir leurs accès aux quais. APM Terminals a annoncé des projets afin de permettre d’accueillir les plus gros porte-conteneurs à Barcelone et à Valence. À Barcelone, le groupe a d’ores et déjà fait part de son intérêt pour le projet du nouveau terminal à conteneurs dans la zone sud, dont l’appel d’offres sera lancé avant 2030, selon le président du port, Lluís Salvadó.

Le groupe MSC affiche de son côté de grandes ambitions. À Valence, le groupe est désormais à l’étroit dans son terminal et se voit contraint de faire escaler une partie de ses navires dans le terminal voisin exploité conjointement par Cosco et CMA CGM. En juin, le conseil d’administration du port a adjugé le contrat pour la construction de l’infrastructure du quatrième terminal à conteneurs (137 ha, 2 km de ligne de quai, capacité 5 de MEVP) qui sera exploité par le groupe MSC. À Barcelone, des discussions sont en cours depuis plusieurs mois pour une entrée au capital de BEST. Selon des informations publiées récemment dans la presse spécialisée espagnole, cet investissement pourrait se traduire par une prise de participation majoritaire. Absent d’Algésiras, le groupe de la famille Aponte n’a pas d’autre option pour asseoir sa présence dans le port catalan.

En effet, l’APB a indiqué que, dans le cadre de la future configuration des terminaux dans la zone sud, il n’y aurait que deux terminaux (BEST et le futur terminal). On voit mal, quand bien même il y aurait un appel d’offres, comment APM Terminal Barcelona pourrait être évincé si son actuel terminal est supprimé.

Daniel Solano

 

 

 

 

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