Pour sa première conférence annuelle en tant que président du conseil de surveillance du port phocéen, Christophe Castaner, dont l'arrivée a été précédée d’un procès en illégitimité et ponctuée par des appels à la grève des personnels portuaires du syndicat général CGT/UGICT et de Fluxel, a joué la carte tactique du politique rompu aux coups de sang.
Attendu au tournant, l’ex-maire de Forcalquier (Alpes-de-Haute Provence), député pendant dix ans de la deuxième circonscription de ce fief, vice-président de la région Provence Alpes Côte d’Azur pendant douze ans en charge de l’aménagement du territoire puis de l’économie, a consacré ses quinze minutes de préambule à rassurer quant à sa volonté de préserver le caractère portuaire et industriel du port. Une corde sensible pour la place portuaire.
L’ancien ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Édouard Philippe l’a dit avec adresse alors que les dockers – dont il n’est pas censé ignorer la capacité à se faire entendre et à « surréagir » –, mais aussi les acteurs économiques s’inquiètent à court terme de l’avenir de certains sites, encerclés par des enjeux de conflit d’usages, et à plus long terme, des mutations à venir du modèle économique portuaire induites par les contraintes climatiques.
« Nous voulons garder la vocation portuaire et réaffirmons la nécessité d’avoir une ambition industrielle pour ce territoire. Le port est essentiel à la réindustrialisation. Cela paraît une Lapalissade mais en réalité, c’est un combat. On peut se lamenter de la désindustrialisation du pays mais on s’oppose assez volontiers au fait que les sites industriels, y compris avec leurs interconnexions ferroviaires, puissent passer près de chez soi. »
Inquiétudes sur les mutations
Nommé à la tête du port en novembre par un arrêté du ministre chargé des Transports, Christophe Castaner prend la présidence à un moment charnière de la transformation des ports. Après cinquante ans de développement soutenu par les hydrocarbures, les domaines portuaires sont assignés à devenir non seulement des sites d’accueil d’industries bas carbone mais encore des hubs où l’énergie se produit de façon durable.
« J’ai rencontré des personnes engagées mais inquiètes sur les mutations. Il faut qu’on chemine ensemble avec les personnels portuaires sur ces sujets. Nous sommes dans un modèle en fin de vie. Et c’est maintenant qu’il faut préparer le passage. Les grands investissements qui vont être faits vont permettre la substitution avec des activités décarbonées. On continuera à agir avec un sens industriel mais toujours avec au cœur, cet objet de décarbonation », assure l’élu que Wikipédia croit en retrait de la vie politique.
Déjà à l’aise dans ses nouvelles attributions, il brosse le portrait d’un champion méditerranéen et européen dans de nombreux domaines. Grâce aux initiatives privées, n’oublie-t-il pas d’ajouter. « Á l’avant garde sur l’électrification à quai de tous les ports méditerranéens » (une adresse à La Méridionale). « Vitrine du verdissement du transport maritime » (un remerciement à CMA CGM pour ses investissements dans le GNL). Aux avant-postes de l’avitaillement en GNL de navire à navire (une intention pour TotalEnergies, les acteurs de la croisière et CMA CGM encore qui y soute les navires exploités sur la ligne méditerranéenne).
Futur hub pour l’hydrogène
Les projets témoignant d’un changement d’air et d’ère sont déjà significatifs, appuie-t-il, en empruntant, fibre socialiste remontant l’échine, le slogan de campagne de Bertrand Delanoë quand il était candidat à la mairie de Paris. Et sans plus tarder, de placer le port de Marseille Fos comme le futur hub hydrogène, citant les projets de H2V avec la construction de centrales d’hydrogène, de GravitHy pour la production d’acier vert, ou encore de H2 Med, le projet d’« hydrogénoduc » destiné à transporter de l'hydrogène vert à horizon 2030 entre Barcelone et Marseille Fos.
H2V, spécialiste du développement de projets industriels dans l’hydrogène vert, prévoit de mettre en service par tranches entre 2026 et 2031, six unités de production de 100 MW avec pour objectif de production, 84 000 t/an d’hydrogène vert (électrolyse de l’eau). Un investissement de 750 M€ selon le GPMM.
D’une capacité de 2 Mt par an dans un premier temps, soit 10 % de la consommation européenne prévue à cette date, H2 Med, qui consiste dans une interconnexion entre le Portugal et l'Espagne (Celórico-Zamora) ainsi qu’un gazoduc maritime (dit « BarMar ») entre Barcelone et Marseille, « sera le premier hub européen en matière d’arrivée d’hydrogène. »
Quant à GravitHy, groupement composé d’InnoEnergy, Engie, Forvia, Idec, Plug et Primetals, il s’agit d’implanter dans la zone industrialo-portuaire une usine de fabrication de minerai de fer pré réduits DRI (DRI Direct Reduced Iron) et HBI (Hot briquetted Iron) à partir de réaction du minerai de fer avec l’hydrogène. L’investissement de 2,2 Md€ promet une économie de 4 Mt de CO2. Le début des travaux est prévu en 2024 pour une mise en service en 2027.
« L’ensemble de ces projets est susceptible de mobiliser 6 500 emplois sur dix ans », assure le nouveau président.
80 M€ d’investissements en 2023
« En 2022, le port a investi 60 M€, soit 100 % des investissements prévus, ce qui est suffisamment rare pour le signaler », reprend Christophe Castaner. Les projets de transition écologique ont absorbé plus du tiers. En 2023, 80 M€ sont prévus tandis que l’enveloppe consacrée à la décarbonation devrait doubler.
Parmi les projets qui ont bénéficié de cette manne, il y a notamment la poursuite de l’électrification à quai démarrée en 2017. Le programme doit être achevé en 2025 avec les trois postes à quai de la croisière qui nécessitent une puissance supérieure (12 à 18 MW) et une conversion hertzienne de 50 Hz en 60 Hz. Le port a réalisé l’an dernier les travaux d’équipement des quatre postes du Cap Janet, le terminal international de ferries desservant le Maghreb (ceux de la Corse sont opérationnels). La mise en service est prévue pour cette année.
« Le port a augmenté la puissance de son réseau électrique interne de 30,5 à 68 MW en 2022. L’énergie photovoltaïque qui sera produite par les panneaux installés sur les toits de six hangars dans les bassins marseillais permettra d’atteindre, en 2025, une puissance de 77 MW » précise Hervé Martel, le directeur du port de Marseille, qui évoque la possibilité de l’étendre à l’horizon 2026 à la grande réparation navale et au futur terminal croisière des petites unités du J4, qui doit entrer en concertation (l’exploitation a été attribuée aux sociétés RCL Cruises LTD, Compagnie le Ponant et Viking Cruise).
Éolien flottant, nouveau totem
Quant à l’éolien offshore, nouveau totem des ports, Marseille Fos entend structurer une filière industrielle. « La communauté portuaire est en train d’acquérir de l’expérience. On a gelé 80 ha dans la perspective de ses développements. C’est un nouveau métier et une nouvelle façon de concevoir les infrastructures », précise le patron du port.
Alors que le parc éolien en mer Provence Grand Large de trois éoliennes flottantes à 17 km de la côte au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône est en cours, un autre est prévu dans le Golfe de Fos. Dans le cadre des appels à manifestation d’intérêt (AMI) lancés par l’État, Marseille Fos a candidaté pour l’aménagement des infrastructures qui permettront le déchargement et stockage des composants, l’assemblage et le montage. Les lauréats de ces procédures de mise en concurrence doivent être connus cette année.
Adeline Descamps