Oui. Non. Peut-être. Sans doute. Après quelques valse-hésitation et plusieurs tentatives, le Journal officiel vient de clôturer une longue séquence de vide au sein du conseil de surveillance du Grand Port maritime de Marseille (GPMM), qui avait été ouvert par le décès brutal de son président Jean-Marc Forneri fin 2020. Depuis, Élisabeth Ayrault, ex-présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), assure l’intérim, non sans avoir manifesté ces derniers mois de l’impatience, au point de remettre sa démission le 13 octobre, à la veille d’un conseil de surveillance programmé du GPMM (réunion qui sera ajournée) pour forcer une prise de décision de l’exécutif.
L'ex-ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, l'ancien PDG d'Orange Stéphane Richard, ainsi que Laurence Borie Bancel, à la tête de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), ont été désignés par arrêté du ministère de la Transition écologique parmi les personnalités qualifiées, collège composé de quatre membres (hors présidence). Un énième retournement de situation dans ce dossier décidément très politique.
Mouvements d’humeur
En septembre dernier, l’annonce de la candidature du proche du président Macron à la tête de l’instance de gouvernement du port phocéen avait suscité une levée de boucliers de la part des représentants d’un autre collège (les personnels) composant l’instance de gouvernance. Le syndicat général CGT/UGICT CGT des personnels du GPMM et de Fluxel (trois représentants au sein du conseil de surveillance) avait promptement réagi à cette information éventée par la presse en déposant un préavis de grève reconductible, les syndicats estimant que la dynamique économique et la stabilité sociale seraient compromises par l’arrivée de l’ex-ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Édouard Philippe.
« Quelle est la volonté affichée si ce n’est l’oppression et la répression, domaines dans lesquels Christophe Castaner a démontré tous ses talents », avaient attaqué dans un communiqué les représentants du personnel, stigmatisant la façon dont le locataire de Beauvau avait géré la crise des Gilets Jaunes notamment. Et de s’inquiéter avant l’heure du contenu de son cahier des charges sachant que la question de la masse salariale dans les ports n’est toujours pas tranchée.
Cet épisode éruptif avait été précédé d’un mouvement d’humeur du président de Région Renaud Muselier, qui avait profité de l’inauguration officielle du navire « zéro émissions de La Méridionale le 5 septembre, pour défier l’un des invités, le préfet de région Christophe Mirmand, en se déclarant candidat si l’État ne réagissait pas.
Un très long recrutement
L’exécutif rétropédale sur ce dossier. Son favori – Stéphane Richard, ex-PDG d’Orange –, a le CV parfait pour la fiche de poste en raison de sa double compétence publique-privée : son expérience à la tête d’une grande entreprise et sa connaissance des rouages politiques. Mais il avait été rapidement placé sur la touche en raison de son implication dans ladite affaire de l’arbitrage Tapie-Crédit lyonnais quand il était le directeur de cabinet de la ministre de l’Économie Christine Lagarde. Sa candidature ayant écartée de ce fait, elle revient des mois plus tard dans le jeu. Une nouvelle illustration de la difficulté qu’a l’État à fournir des profils pour ces mandats qui peinent à intéresser.
Ces dernières semaines, c’est surtout le nom de Laurence Eymieu qui tenait la corde. Fin octobre, l’ex-directrice générale de Keolis Lyon est sortie du bois dans la presse locale lyonnaise alors même que l'éventuel atterrissage de Christophe Castaner à Marseille faisait des vagues localement. Les spéculations gageaient sur le renoncement consenti de l’ex-député des Alpes-de-Haute-Provence, lequel aurait décliné à plusieurs reprises le poste, selon les professionnels de la place, et se serait en outre vu ailleurs…En toute probabilité, ce dernier sera « vivement recommandé » à la présidence.
Christophe Castaner, choix de l'État pour la présidence du port de Marseille Fos ?
Déficience du privé ? Reprise en main ? Simple désintérêt
Il y a deux mois, on pouvait prêter à l’État le bénéfice du doute quant aux réactions épidermiques des syndicats qu’il ne pouvait pas ne pas anticiper. En confirmant une nouvelle fois son choix, quand bien même enveloppée avec deux autres personnalités plus consensuelles, il prend cette fois le risque du procès en provocation.
Les mêmes questions que celles qui intriguaient en septembre se poseront à nouveau : les intentions de l’État. L’usage veut que la présidence des ports échoie à un(e) personnalité à la tête d’une entreprise si possible emblématique, sans être pour autant maritime ou portuaire (pour des raisons de conflit d’intérêt). Les milieux économiques se battent depuis des années pour avoir leur mot à dire sur ces outils qui se sont révélés actifs essentiels et stratégiques à la faveur d’une pandémie. L’État apporte une réponse politique, qu’il reste à interpréter.
Adeline Descamps