Un jour après avoir semé la panique chez les céréaliers, l’interdiction d’utiliser la phosphine, qui devait entrer en vigueur le 25 avril, pourrait ne pas être respectée. L'usage de ce puissant insecticide, dont l’autorisation de mise sur le marché devait être retirée par l'Agence française de sécurité sanitaire (Anses), est exigé au port de destination par de nombreux pays importateurs. Et non des moindres : les clients des céréales françaises, à savoir l'Algérie, la Tunisie et une grande partie des pays d'Afrique de l'Ouest. Soit 11 à 13 Mt de céréales potentiellement concernés par cette mesure.
La phosphine est utilisée en fumigation pour traiter les cargaisons dans les cales des navires lors de leur transport. Il empêche la propagation d’insectes d'un pays à l'autre et rend ainsi les céréales plus sécures à la consommation. Mais sa manipulation n’est pas sans danger pour l’homme. En cas d'inhalation d'une dose importante, ce gaz à base de phosphure d'aluminium peut provoquer des troubles neurologiques ou respiratoires. La décision de l'Anses, qui remonte à octobre 2022, est sans doute motivée en partie par cet argument.
Exception toute française
Lors d’une séance à l'Assemblée nationale, Olivier Becht, le ministre délégué au Commerce extérieur, a laissé entendre qu’il « n'y a aucune règle européenne qui empêche l'utilisation de ce produit » lorsque les céréales sont à destination de l'exportation, à condition que le pays auquel il est destiné l'autorise lui-même.
Exception toute française en effet. L’autorisation d'utilisation de la phosphine a été renouvelée ces derniers mois dans la plupart des pays européens voisins.
« La France peut continuer à exporter des céréales vers des pays tiers, y compris après le 25 avril et elle va le faire dans le cadre du droit européen qui permet de déroger à l'interdiction », a assuré de son côté Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture. Le gouvernement cherche donc un « cadre juridique clair » pour continuer à autoriser la phosphine.
Cacophonie entre le gouvernement et l'Anses
L'Anses avait fait savoir en fin d'année dernière que l'autorisation de son utilisation ne serait plus renouvelée quand le produit est au « contact direct avec les céréales », une tolérance ayant été admise jusqu'au 25 avril.
L’affaire n’est pas sans créer une nouvelle polémique alors que le gouvernement et l'Anses ont des points de vue manifestement divergents sur le sujet. Certains s'interrogent même tout haut sur « la capacité de l'Anses à prendre une décision de cette importance sans concertation avec le gouvernement et sans tenir compte du contexte européen », a indiqué un député de la majorité Renaissance.
Pénalisant aussi pour les ports français
La décision serait lourdement préjudiciable au secteur agricole mais aussi à certains ports français, à commencer par Rouen, premier port céréalier européen, mais aussi à la Rochelle, et dans une moindre mesure à Dunkerque et Nantes-Saint-Nazaire.
Pour contourner le problème, certains pourraient être tentés de détourner leurs cargaisons de céréales vers des ports européens. Sans la guerre en Ukraine, l’évasion aurait pu profiter aux ports de la mer Noire tel le trio portuaire de la région d’Odessa voire à Mykolaïv. Mais dans les circonstances actuelles, la fuite des céréales françaises favoriserait plutôt Anvers, Gênes et Barcelone.
Adeline Descamps