Le projet est hardi car Bolloré Ports s’expose avec cette démarche aux railleries de « green washing » qui ne manqueront pas de se manifester. Il est intéressant pour embarquer les ports africains dans un management environnemental dont ils n’ont pas de prime abord toutes les clés faute de ressources et de moyens. La puissance de frappe de Bolloré Ports, qui se revendique premier opérateur portuaire privé sur le continent africain avec 13 % de parts de marché, permet d’enrôler dans sa dynamique verte 13 terminaux à conteneurs (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun, Gabon, Congo, Togo, Guinée...) sur les 21 concessions portuaires qu’il détient dans le monde. Pour l’heure, les 7 terminaux ro-ro ne sont pas concernés par l’initiative et il n’en est pas fait mention.
Au niveau du groupe, la green attitude est une obligation imposée par sa taille et les réglementations. À cet égard, l’entreprise française revendique que 45 % de ses émissions des gaz à effet de serre (GES) scopes 1, 2, 3* pour l’ensemble de ses divisions sont aujourd’hui couvertes par une stratégie climatique objectivée (contre 27 % des émissions des scopes 1 et 2 en 2019). Selon le rapport d’activité, le groupe français a investi 49,2 M€ en 2019 dans des projets servant la transition énergétique et 20,5 M€ l’an dernier.
Cartographie consommations d’énergie de chaque terminal
La division Transport & Logistics à laquelle est rattachée Bolloré Ports, s’est pour sa part engagée à réduire ses émissions de GES de 43 % sur ses scopes 1 et 2 en absolu d’ici à 2027 pour l’ensemble de son réseau et de 30 % (base 2019) sur son scope 3. Sur les terminaux aujourd’hui visés, elle ne part pas d’une page blanche. En 2018, une étude avait été réalisée pour identifier les postes émetteurs de gaz à effet de serre de façon à réaliser une cartographie identifiant les consommations d’énergie de chaque terminal.
Entre 2019 à 2020, le passage à l’électrique a en outre permis de réduire de 6 % les émissions de GES relevant des scopes 1 et 2, ainsi passées de 114 412 à 107 406 t de CO2 équivalent. Et ce, en renouvelant notamment une partie du parc de portiques au profit d’e-RTG (désormais 23 % de son parc) et en équipant ses terminaux de tracteurs électriques que sa coentreprise Blue Solutions créée avec Gaussin a développés. Les premiers modèles ont rejoint le Abidjan Terminal en 2020, premier terminal en Afrique à les mettre en opération.
« Démarche inédite » dans les ports
Avec sa nouvelle initiative « Green Terminal », que le groupe présente comme inédite dans les ports, l’opérateur vise plus globalement l’empreinte carbone de ses activités. C’est-à-dire en allant au-delà des exigences de la norme ISO 14001, qui ne spécifie pas vraiment de niveaux de performance environnementale à atteindre.
Des démarches vertes ont été entreprises dans de nombreux ports dans le monde mais peu ont en effet « professionnalisé » la démarche en un système de management environnemental systématisant un ensemble de paramètres.
« Notre démarche comporte plusieurs volets : la construction d’infrastructures durables, l’acquisition d’équipements respectueux de l’environnement, l’implémentation de solutions digitales... Elle intègre toutes les initiatives qui favorisent une économie circulaire auxquelles s’ajoutent la formation et la sensibilisation des collaborateurs aux bonnes pratiques liées aux enjeux environnementaux », défend Philippe Labonne, directeur général adjoint de Bolloré Transport & Logistics et directeur général de Bolloré Ports, dans le document fourni par l’entreprise.
Pour valider la pertinence des critères retenus et sa méthodologie, Bolloré Ports a fait appel à la société de classification et certification Bureau Veritas. « À l’issue des audits, les terminaux les plus vertueux obtiendront le label et se verront délivrer une attestation de conformité, tandis que pour les autres, les conclusions serviront de guideline pour atteindre les objectifs visés », explique Jacques Pommeraud, directeur général Afrique, France et services aux gouvernements de Bureau Veritas.
Quatre niveaux de certification
Le scoring affiche quatre niveaux de certification. Les terminaux qui n’obtiennent pas un minimum de 50 % ne pourront être labellisés. Pour accompagner la mise en œuvre, la société de classification prévoit de déployer des auditeurs spécialisés.
À compter de cette année, les 13 terminaux à conteneurs seront audités tous les ans par Bureau Veritas à partir de ce standard. Sur les projets « greenfield », la démarche « Green Terminal » sera enclenchée dès la phase d’étude, comme cela a notamment été le cas pour le nouveau port de Tibar Bay au Timor oriental qui entrera en service à partir de 2022.
Olivier De Noray, directeur général Ports et Concessions, considère pour sa part que la démarche va servir d’autres chantiers. « Elle va renforcer nos investissements dans les plateformes digitalisées collaboratives, le désengorgement des villes portuaires et l’amélioration de la desserte des territoires enclavés. Naturellement nous allons mettre à contribution dans le cadre de ce label les solutions intermodales afin de réduire la congestion urbaine, fluidifier le transport de marchandises et limiter ainsi l’impact sur l’environnement », s’enflamme-t-il.
Huit piliers
Le label repose sur huit piliers (cf plus bas). L’un d’entre eux porte sur la construction d’infrastructures conformes aux standards internationaux. Pour chaque nouveau projet de construction ou de réhabilitation d’infrastructures, le concessionnaire assure que près de 10 % du budget total sont déjà consacrés à l’achat de matériaux de construction d’origine naturelle ou recyclables. Ses efforts portent par ailleurs sur la réduction des dépenses énergétiques liées aux installations électriques ou aux systèmes internes comme le chauffage, la climatisation ou l’éclairage.
À terme, il a pour ambition d’obtenir la certification EDGE (Excellence in Design for Greater Efficiencies) délivrée par l’IFC, membre du groupe de la Banque mondiale, pour l’ensemble de ses terminaux portuaires. Une première étape a déjà été franchie avec le nouveau terminal à conteneurs de Tema au Ghana qui l’a obtenue en 2019 pour l’ensemble de ses bâtiments. Deux autres vont être concernés : le Côte d’Ivoire Terminal (CIT), second terminal à conteneurs (1 100 m de quai) du port d’Abidjan dans lequel Bolloré a investi 400 M€. D’une capacité nominale de 1,5 MEVP par an, il devrait débuter ses activités fin 2021. Le second est Tibar Bay à partir de 2022.
Une situation portuaire disparate
L’affaire n’est pas simple. Les terminaux présentent une diversité de situations en fonction de leur ancienneté, modernisation ou extension. Ainsi, certains apparaissent d’ores et déjà plus performants que d’autres.
Engagé dans des travaux d’extension depuis 2018, Meridian Port Services (MPS), joint-venture réunissant Bolloré Transport & Logistics, APM Terminals Ghana Ports and Harbours Authority (État du Ghana), aurait ainsi réduit de 36 % ses émissions de GES en l’espace de trois ans. Ramenée aux volumes manutentionnés, son intensité carbone a été de l’ordre de 5 kg de CO2 équivalent/EVP sur l’exercice 2020 contre 9 kg de CO2 éq./ EVP en 2018, selon les données de l’entreprise.
Inauguré en 2018, après plus de deux ans de travaux d’extension, Freetown Terminal a profité de l’installation de portiques électriques qui auraient permis de diminuer de 22 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux engins de manutention thermiques.
De même, l’Owendo Container Terminal (OCT) au Gabon aurait abaissé de 9 % ses émissions globales et de 33 % l’intensité carbone émise par conteneur manutentionné grâce à une électrification progressive de ses équipements alors que le parc s’est étoffé.
Il va falloir désormais faire converger l’ensemble vers les standards mais en tenant compte de leurs spécificités. Bolloré Ports n’a pas spécifié l’enveloppe financière qu’il comptait allouer à ce projet ou le niveau d’investissement qu’il juge nécessaire pour verdir les installations qu’il gère.
Adeline Descamps
* Le scope 1 couvre les émissions directes de gaz à effet de serre provenant des installations. Le scope 2 concerne les émissions indirectes de GES associées à la production d’électricité, de chaleur ou de vapeur importée par les activités. Le scope 3 les émissions de GES liées à l’exécution de ses services de transport.