Dans les clous par rapport au calendrier annoncé en décembre 2022 après avoir obtenu les autorisations réglementaires pour acquérir le périmètre de Bolloré Africa Logistics (BAL) pour 5,7 Md€, MSC annonce le nom de la nouvelle entité qui va chapeauter ses activités. Un empire rentable dont le chiffre d’affaires s'est élevé à 2,6 Md€ en 2022 (+ 300 M€ par rapport à 2021) et qui comptait, lors de l'annonce de la vente, 42 ports, 16 terminaux à conteneurs parmi les plus actifs (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun, Gabon, Congo, Togo, Guinée-Conakry…), deux concessions ferroviaires, sept terminaux ro-ro, deux terminaux à bois et un terminal fluvial. Le groupe suisse devait récupérer une activité de manutention conventionnelle et les opérations shipping des 87 agences dont 74 en Afrique, 11 sur la péninsule ibérique, et deux en Asie-Pacifique.
Aujourd’hui, l'opération désormais ficelée, le champ d'action a évolué. Il est question de 22 concessions portuaires et ferroviaires, 66 ports secs et deux terminaux fluviaux ainsi que d’un réseau de 250 agences logistiques et maritimes.
Africa Global Logistics (AGL), filiale du numéro un mondial de la ligne maritime conteneurisé, sera le nouvel employeur des quelque 21 000 salariés répartis dans 49 pays dont 47 en Afrique, apparemment repris dans leur ensemble. C’était une garantie qui avait été donnée fin décembre pour calmer les inquiétudes des personnels des filiales. La direction de MSC avait également assuré qu’il « respecter[ait] l’ensemble de ses engagements vis-à-vis des gouvernements, notamment ceux concernant les concessions portuaires ». Sans remise en cause donc des contrats quand bien même l'actionnaire a changé.
Le changement dans la continuité
Le groupe de transport maritime de la famille italienne Aponte avait en outre reconduit Philippe Labonne, une figure historique de Bolloré (président de Bolloré Africa Logistics, directeur général adjoint de Bolloré Transport & Logistics et directeur général de Bolloré Ports) au top management de la nouvelle entité. Un geste jugé élégant dans la profession en France.
Depuis le 21 décembre 2022, Bolloré Africa Logistics était passé dans le giron de sa filiale Shipping Agencies Services.
Filialisée et autonome
« Africa Global Logistics continuera d'opérer en tant qu'entité indépendante avec le soutien total et la puissance du groupe familial MSC », indique sommairement le communiqué du groupe, fidèle à sa réputation de concision.
L'armateur suisse a donc choisi de ne pas rattacher son activité existante de transport terrestre et de logistique Medlog à l’ex-BAL comme son homologue français CMA CGM a pu le faire en versant CMA Log dans l'escarcelle de Ceva Logistics, l’ex-commissionnaire suisse acquis en 2018 par l'armateur français et pilier de sa stratégie de transport de porte-à-porte.
MSC cherche sans doute à préserver les intérêts commerciaux de part et d’autre, la compagnie étant notoirement connue pour sa volonté de ne pas froisser sa clientèle commissionnaire alors que sa nouvelle filiale entend se positionner en tant qu’opérateur logistique multimodal (portuaire, logistique, maritime et ferroviaire). Mais il ne dit rien des développements à court et moyen terme et de la stratégie si ce n’est des propos convenus qui relèvent des effets de communication.
Que faire en Afrique ?
Le groupe basé à Genève répète ce qu’il avait déjà dit, à savoir son engagement à contribuer à la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) et à assurer la connectivité du pays.
De leur côté, les équipes de Bolloré Africa Logistics, qui ont dévoilé le 30 mars, en présence de représentants de MSC, les contours de leur nouvelle marque, n’en disent pas davantage sur le fond si ce n’est des évidences. La société fournira « des solutions logistiques sur mesure, en améliorant la connectivité des territoires », « accélèrera ses investissements en vue de développer ses capacités et de faciliter l’importation et l’exportation des marchandises » et « répondra aux défis du commerce intra-africain, de la transition énergétique, de la croissance démographique du continent, de l’amélioration du cadre de vie et de la digitalisation de l’Afrique. »
La filiale de MSC devrait aussi pérenniser le travail entrepris par Bolloré pour verdir ses terminaux portuaires (Green Terminal) et déclare « mobiliser ses collaborateurs, sous-traitants et fournisseurs en vue de réduire l’impact de ses activités sur l’environnement ».
Ancrage des armateurs
« Cette nouvelle marque renforce notre ambition d’être un partenaire logistique de confiance pour nos clients en Afrique et dans le monde, tout en soulignant notre engagement à innover et à participer aux côtés des États et partenaires de l’Afrique aux transformations du continent », mentionne Phillipe Labonne, le président de AGL, dans le communiqué de AGL.
Au-delà des éléments de langage, un fait : MSC est devenu avec ses nouveaux actifs un colosse portuaire en Afrique alors qu'il était jusqu’alors présent avec trois terminaux, à Lomé, qui a rapidement dépassé le million d’EVP, San Pedro (Côte d’Ivoire) et TinCan/Lagos (Nigeria).
La sortie de Bolloré du jeu portuaire africain conforte en outre l’ancrage des grands armateurs sur les quais africains – MSC, Maersk et CMA CGM parmi les plus introduits sur le jeune continent –, alors que Hapag-Lloyd a récemment manifesté son intérêt pour le jeune continent.
Du côté des manutentionnaires, l’émirati DP World occupe le terrain alors que les leaders mondiaux de la manutention portuaire, qui sont asiatiques – le singapourien PSA et le hongkongais Hutchison Ports – restent singulièrement absents de l’Afrique subsaharienne. La présence chinoise s’exprime, elle, surtout dans la construction et le financement des infrastructures, moyennant de coûteuses contreparties.
Des voies ferrées
Dans la corbeille, MSC met aussi la main sur deux concessions ferroviaires : Camrail (trafic de 1,5 Mt sur un réseau de 1 010 km, 600 000 passagers) qui connecte Douala à Ngaoundéré au Cameroun, et Sitarail (près d’1 Mt de marchandises transportées sur les 1 260 km de voies ferrées) qui relie Abidjan (Côte d’Ivoire) et Ouagadougou (Burkina Faso).
D’après le dernier rapport d’activité disponible (2021), l’ensemble des terminaux portuaires de BAL avaient traité 6,32 MEVP (versus 5,54 MEVP en 2020), 9,8 Mt de marchandises et 184 000 véhicules sur les terminaux ro-ro.
Mise en service d’Abidjan
Parmi les projets qui ont marqué l’actualité de BAL ces derniers mois figure notamment la mise en service du second terminal à conteneurs d’Abidjan, qui a nécessité un investissement de 400 M€. Avec 37,5 ha et 1 100 m de quais, Côte d’Ivoire Terminal est en mesure de traiter 1,5 MEVP par an.
Kribi Conteneurs Terminal (KCT), unique port en eaux profondes du Cameroun, opérationnel depuis 2018, devrait voir sa productivité boostée grâce à l’apport de cinq nouveaux portiques de parc et d’une grue mobile. Congo Terminal a dépassé le seuil du million de conteneurs manutentionnés en 2021 avec 1 003 734 EVP exactement. Le port de Tibar au Timor oriental, que Bolloré ambitionne de positionner en tant que hub de transbordement régional, est entré en service.
En Égypte, où les intérêts s’aiguisent dans le conteneur, Bolloré fait partie du consortium sélectionné par l’Autorité générale de la zone économique du canal de Suez pour gérer pendant 30 ans un terminal roulier à Port-Saïd, dont le début des opérations était prévu début 2023.
Adeline Descamps