Baltimore : le propriétaire du navire craint que sa limitation en responsabilité soit contestée

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Le chenal d'accès au port de Baltimore a rouvert au trafic maritime durant le week-end du 8 et 9 juin, deux mois et demi après l'effondrement du pont percuté par le porte-conteneurs Dali. Une nouvelle page s'ouvre, qui promet d'être longue et coûteuse. Point sur l'enquête en cours, les niveaux de responsabilité, les plaintes déposées...

Dans les clous du calendrier annoncé ou presque. Le trafic maritime a repris ses droits dans l'estuaire du fleuve Patapsco durant le week-end du 8 et 9 juin, deux mois et demi après l'effondrement meurtrier du pont Francis Scott Key, percuté le 26 mars par un porte-conteneurs Dali.

Depuis lors, le navire de 300 m, détenu et exploité par des sociétés singapouriennes (Grace Ocean et Synergy Marine) et affrété par Maersk, obstruait le chenal de navigation, réservé aux unités en charge du déblayage des débris du pont, tout en bloquant l’accès à une quinzaine de terminaux.

En attendant la réouverture, plusieurs couloirs de navigation avaient été aménagés mais il a fallu attendre le troisième pour envisager le passage de navires marchandes de plus grande taille grâce à un tirant d’eau de 10,66 m, soit les trois-quarts des navires qui empruntent traditionnellement la voie navigable.

Cette fois, le couloir de navigation a été restauré « à ses dimensions opérationnelles d'origine », à savoir de 213 m de large et avec un tirant d’eau de 15 m, a indiqué un communiqué du corps des ingénieurs de l’armée (Army Corp of Engineers).


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Faits d'armes

Cette ultime étape survient après quelques « faits d’armes » dont la plus spectaculaire a consisté à dégager, avec des charges explosives, la dernière section de la poutrelle du pont pour désencastrer le porte-conteneurs pris dans un écheveau de barres d’acier. Le navire avait préalablement été délesté de 180 conteneurs et il a été renfloué avant d'être déplacé à marée haute le lundi 20 mai jusqu'au Seagirt Terminal. Dans les prochaines semaines, il devrait être remorqué vers un chantier naval de la région de Norfolk, en Virginie.

En tout, quelque 50 000 t de ferrailles et de béton, dont des blocs de 300 à 500 t, ont été évacués vers le terminal polyvalent Tradepoint Atlantic, où ils ont été découpés en petits blocs pour être prêts au recyclage.

Place à l'instruction

Plusieurs procédures juridiques ont été lancées. Du côté de la partie civile, la ville de Baltimore a engagé deux cabinets d'avocats en vue d'intenter une action en justice pour les « dommages immédiats et à long terme » causés à ses administrés et aux intérêts de la ville.

La municipalité tiendra pour responsables, a-t-elle précisé, toutes entités impliquées dans les préjudices subis, le propriétaire, l'affréteur, le gestionnaire/exploitant, le fabricant du navire et autres parties tierces non exclus.

Les avocats représentant des employés de la route ont également ouvert le dossier devant les tribunaux alors que seules deux personnes ont survécu sur les huit personnes chargées ce jour-là de l'entretien du pont.

Une action collective a été intentée par les dirigeants de l'imprimerie American Publishing de Baltimore, dont le chiffre d'affaires a chuté de 84 % par rapport à la même période de l'année dernière. Le chef d'accusation contre le propriétaire stipule un « manquement à l'obligation d'assurer la navigabilité du navire qui a finalement conduit à la destruction du pont. »

Le FBI a pour sa part ouvert une enquête criminelle.

Limitation de responsabilité

De leur côté, Grace Ocean et Synergy Marine, le propriétaire et gestionnaire du navire ont déposé, eux, dès le 1er avril une requête conjointe auprès du tribunal fédéral du district du Maryland afin de limiter leur responsabilité à 43,7 M$ (la valeur du navire et de la cargaison affranchie du coût des réparations et du sauvetage), soit 1 à 2 % du coût gigantesque alors estimé de la catastrophe (2 à 4 Md$). En principe, c’est la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes qui s’applique.

Mais les États-Unis disposent de leur propre législation avec la loi de 1851 sur la limitation de la responsabilité (Limitation of Liability Act, LOLA). Elle permet au propriétaire du navire de limiter le montant total de sa responsabilité à la valeur du navire après l'accident (+ la valeur du fret en attente). Ce qui complique l'affaire car si le propriétaire du navire est reconnu responsable, les règles nationales (souvent plus strictes outre-Atlantique) entreront en jeu, en plus des règles internationales, selon les assureurs.

Selon les révélations du Baltimore Sun, le propriétaire du porte-conteneurs a engagé la société de lobbying Blank Rome Government Relations pour veiller auprès des autorités américaines à ce qu'aucune modification ne soit apportée à la loi de 1851 sur la limitation de la responsabilité.

Les concernés ont beaucoup à perdre au vu des indemnisations qui pourraient être demandées si la limite de responsabilité demandée est rejetée. Dans ce cas, toutes les parties à l'affaire seront libres de déposer des réclamations, et le montant pourrait rapidement atteindre des sommets.

Les conseils du maire de Baltimore soutiennent que le navire a été exploité « de manière délibérée, imprudente et négligente ». Sur ce plan, la clarification de la question de la responsabilité sera déterminante, y compris s'il y a eu défaillance technique.

Enquête en cours

Dans un rapport préliminaire, publié en mai, les experts du National Transportation Safety Board (NTSB) ont fait part des premiers éléments de l’enquête sur l'origine de la perte de puissance de l'ensemble des moteurs. Ils doivent encore préciser l'état des systèmes d'alimentation électrique du navire et de la conformité du carburant souté (à New York).

Selon les enquêteurs, le navire a subi quatre pannes électriques. La première s'est produite la veille de l'accident lorsqu'un membre de l'équipage a fermé par erreur un clapet d'échappement lors d'une opération de maintenance, ce qui a provoqué l'arrêt d'un des moteurs diesel et une perte de puissance du navire. Le navire se trouvait alors encore dans le port de Baltimore.

La dernière, fatale, lui a fait perdre la direction et la propulsion si bien que le navire s’est encastré dans le pylône du pont. Elle a eu lieu quatre minutes avant l'accident, lorsque des disjoncteurs électriques se sont déclenchés de façon imprévue, rendant le navire aveugle, avant que le courant soit rétabli temporairement avant de s'éteindre à nouveau, cette fois à 320 m de la passerelle. L'équipage a indiqué ne pas avoir été en mesure d'actionner le gouvernail pour se diriger.

Des coûts d'indemnisation élevés

Comme présumé au vu des opérations, plus difficiles que prévu, et des coûts en conséquence plus élevés, l'avarie commune a été déclarée par le propriétaire du navire. La mesure implique un partage des coûts avec les chargeurs, dont le montant finalement payé ne sera connu que longtemps après la livraison de la cargaison...

D’après Moody's Ratings, quelque 80 réassureurs différents couvrent les assureurs du navire. Pour rappel, les risques insuffisamment ou non garantis par les polices d’assurance maritimes classiques (particulièrement les dommages causés au tiers et à l’environnement, où la responsabilité civile de l’armateur entre en jeu), sont couverts par ces mutuelles d’assurance maritime, qui se réassurent mutuellement en partageant les sinistres supérieurs à 10 M$.

Ainsi, le Britannia, le P&I du navire, ne sera responsable qu'à hauteur des 10 premiers millions de dollars. La tranche comprise entre 10 et 100 M€ sera partagée entre les 12 membres de l'International Group of P&I Clubs (IGP&I). Au-delà de 100 M$ et jusqu’à 2,1 Md$, un autre pool de réassureurs (« Group general excess of loss ») prend le relais.

Les P&I auront cependant la charge de l'indemnisation des familles des personnes décédées ou blessées dans l'accident. Les effets dominos sur la chaîne d'approvisionnement ne relèvent pas en revanche de leur périmètre.

Reconstruction du pont

Chubb, l'un des géants du secteur de l'assurance des biens, est identifié comme l'assureur principal du pont Francis Scott Key, qui pourra engager à son tour une poursuite contre un tiers. Les opérations sont déjà enclenchées, l'autorité des Transports du Maryland ayant lancé un premier appel d'offres dont la date limite est fixée au 24 juin. Selon les médias locaux, le groupement lauréat sera annoncé cet été et la conception finale, choisie dans le courant de l'année 2025. Le pont devrait être achevé à l'automne 2028. Coût estimé : 1,7 Md$.

Conformément à un engagement rapide d'un président en campagne électorale, le gouvernement fédéral devrait y apporter son écot.

Adeline Descamps

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