Breakbulk : le port d'Anvers en a-t-il fini avec sa longue traversée du désert ?

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La fin du conventionnel n’est pas une tendance inéluctable. À Anvers, qui s’enorgueillit d’une culture séculaire dans le traitement du gros gabarit, on croit à sa pertinence. En dépit de la montée en puissance concomitante de deux redoutables concurrences. Pour preuve, l’attribution d’une concession dédiée au fret de projet.

En un concours de circonstances, en juin 2022, deux acteurs historiques du breakbulk du port d’Anvers ont fêté l’un, ses 150 ans d’existence (Zuidnatie, qui prête son nom à deux terminaux rive droite), et l’autre ses 175 années (C. Steinweg).

Zuidnatie, qui a acquis il y a dix ans DP World Breakbulk au Churchill Dock, traite un peu plus de 2 Mt de marchandises diverses à Anvers-Bruges. Fondé à Rotterdam, le groupe C. Steinweg, spécialiste des métaux et de l’acier, a créé la filiale d’Anvers en 1965 (450000 t) et opère à l’Albert Dock ainsi que sur la rive gauche de l’Escaut.

C’est cette longue tradition dans l’ingénierie logistique du précieux, hors norme, hors charge et d’exception que continue de vanter la direction du port belge.

En Europe, Anvers s’est longtemps enorgueilli d’une « vraie culture » du breakbulk avec ses 16 terminaux dédiés et un trafic qui dépassait il y a encore une décennie les 10 Mt. En ce temps-là, la tête de pont européenne du segment paraissait insubmersible tant elle creusait l’écart avec ses concurrents.

Deux redoutables concurrences

Depuis quelques années, le deuxième port européen subit la montée en puissance concomitante de deux redoutables concurrences.

La fusion en 2017 des deux ports néerlandais de Flessingue et Terneuzen et du port belge de Gand au sein de North Sea Port a suffi, par la simple addition des volumes traités par Gand (3,7 Mt) et des deux ports néerlandais (7,9 Mt), pour modifier le rapport de force dans le conventionnel européen.

Quant à la conteneurisation, elle ne se contente plus des biens de consommation et lorgne aussi sur les trafics, chasses gardées du conventionnel, à l’instar des fers et des aciers. Un danger pour Anvers, où 80 % des volumes conventionnels sont des aciers.

Environnement de marché disputé

Si l’expertise requise pour manutentionner ces cargaisons souvent de grande valeur a un effet rempart, la facilité d’expédition, la fréquence des services et les tarifs compétitifs du conteneur peuvent parfois l’emporter sur l’offre de services spécialisés.

Dans cet environnement de marché âprement disputé, les jeux ne sont pas tout à fait égaux. Chez North Sea Port, la grande conteneurisation n’y a jamais véritablement percé, mais le port s’est fait une place dans la pâte à papier, capitalise sur l’éolien offshore et bénéficie de trafics captifs avec la présence de sites sidérurgiques. De plus, le All weather terminal d’Euroports à Gand n’a plus rien à envier à ceux de Zuidnatie.

Tributaire de l’acier

Les années Covid n’ont rien arrangé. Et si les restrictions sanitaires ont touché sévèrement les deux leaders portuaires, les effets induits ne sont pas les mêmes. À Anvers, la pandémie s’est matérialisée par un trafic réduit à 6,6 Mt, en chute de 20,6 %. Le trio belgo-néerlandais a perdu 15 % de ses volumes, mais à 9,3 Mt, il a pris ses distances par rapport à son rival.

Une décennie difficile

Le repli historique d’Anvers en cette année noire, le plus sévère enregistré pour ses grands flux, n’est pas qu’une question de circonstances exceptionnelles. Il s’inscrit dans une série, si bien qu’en deux décennies, le port européen a perdu un tiers de sa substance.
Les débats pour relancer cette activité très convoitée en raison de son impact sur l’emploi et de sa valeur ajoutée agitent le landernau depuis de nombreuses années.

Sur les neuf premiers mois de cette année, le fret conventionnel s’affiche encore à la baisse (7,8 Mt, - 18,7 %), après avoir enregistré une hausse spectaculaire de 18,2 % au premier trimestre en raison d’un pic dans l’offre d’acier, qui s’explique par les nouveaux quotas d’importation entrés en vigueur le 1er avril, compensant l’interdiction des importa-tions russes d’acier.

Chez North Sea Port, le segment marchandises diverses/beakbulk était également en repli de 5,4 % fin septembre, à 7,3 Mt.

Dans une conjoncture marquée par la guerre en Ukraine, des nouvelles tensions géopolitiques et des coûts élevés de l’énergie, « qui ont une influence sur le marché », commente un porte-parole du port belge qui ne nous a pas donné accès à la direction, « le segment résiste avec des volumes en phase avec la période prépandémique. Les flux (-17,6 %) reflètent la baisse de la production et de la demande européennes d’acier, principale marchandise dans nos volumes de diverses ».

Porte de sortie pour les fabricants européens

À Anvers-Bruges, porte de sortie pour les fabricants européens qui exportent vers le continent nord-américain ou d’entrée pour les importations en provenance de l’Asie, la fin du conventionnel n’est pas considérée comme fatale. Même si la part de ce trafic, autrefois poids lourd, finit par ne plus rien peser (autour de 2 à 3 % du trafic global contre près de 15 % chez son concurrent).

« Nous prévoyons une forte croissance et notre objectif est bien de maintenir notre part de marché, qui reste la plus élevée en Europe, poursuit le porte-parole. Ce type de fret permet de préserver l’activité de nos terminaux, de sécuriser des emplois qualifiés et maintenir un savoir-faire spécialisé. Nos dockers sont réputés pour leur expertise dans le traitement des produits sidérurgiques qui exigent une préparation, une manutention et un arrimage de qualité. »

Rentabilité et Rapidité

Grâce aux investissements « permanents » des opérateurs dans leurs infrastructures (PSA Breakbulk a engagé plus de 11 M€ au cours des deux dernières années), Anvers peut faire valoir plusieurs arguments, à commencer par la réduction des coûts logistiques.

« Lorsque l’acier laminé à chaud sort des différentes lignes de production, il a déjà été coupé à la dimension voulue, explique la communication du port. Les centres de service se chargent également de l’emballage et de l’étiquetage de l’acier découpé dans le port, sans qu’il soit nécessaire de les transporter ou de les faire manipuler par un tiers. »

Les services portuaires mettent en outre en avant le terminal breakbulk couvert. « Pour l’acier de haute qualité, c’est un atout indispensable », est-il indiqué.

La certification de plusieurs opérateurs par le London Metal Exchange (LME) signifie par ailleurs que les billettes d’acier et les métaux non ferreux, négociés à travers les contrats du LME, peuvent être stockés in situ. Les volumes traités, le nombre d’escales (200 par mois) et l’approche dite personnalisée « garantissent des coûts et des temps d’arrêt réduits pour le client. Pas de dommages, pas d’accidents. Rentabilité et rapidité sont donc des atouts majeurs », vante le porte-parole.

Intérêt marqué pour le fret de projet

Comme la plupart des places portuaires qui ont des ambitions dans le conventionnel, Anvers-Bruges s’intéresse au fret de projet.

À cet égard, il devra se frotter à Rotterdam, qui a beaucoup d’activités offshore, voire à Haropa, le port de l’axe seine, qui affiche une vraie politique commerciale dédiée aux colis lourds et au hors gabarit, jouant sur les complémentarités multimodales fleuve-rail-route.

Pour concrétiser ses ambitions dans le project cargo, la direction portuaire a fléché une zone de 15 ha au sein du bassin Churchill. Cette darse, qui occupe une position centrale dans la zone portuaire à la rive droite de l’Escaut, est le centre névralgique de l’activité breakbulk. Les grands noms du conventionnel s’y concentrent, comme NHS, Zuidnatie et PSA.

À l’issue d’un appel d’offres, la concession a été attribuée à PSA Breakbulk, joint-venture entre le Singapourien PSA, le numéro un mondial de la manutention portuaire, et Felbermayr, groupe autrichien parmi les plus grands spécialistes européens du transport lourd.

« Le projet commun de ces deux entreprises est en parfaite adéquation avec nos objectifs. Le breakbulk génère une forte valeur ajoutée dans le portefeuille de notre port, il est donc primordial que nous continuions à mettre en valeur ces marchandises », a répété à cette occasion Jacques Vandermeiren, le CEO du port d’Anvers.

« Ce segment reste une priorité absolue pour notre port. Anvers est depuis des siècles le port de marchandises diverses par excellence en Europe. Nous disposons donc en interne de la qualité, de l’expérience et de la flexibilité requises pour pro- poser des solutions adaptées », a ajouté Annick De Ridder, échevine du port.

Quant à PSA, il prévoit d’installer une grue d’une capacité de levage de 750 t et vise un fret en lien avec le pôle pétrochimique voisin du port , revendiqué comme étant le deuxième plus grand au monde.

« La transition énergétique requise dans toutes les industries au cours des prochaines années entraînera la (re)conversion des installations et donc des flux de marchandises, ce qui valide notre concept », explique Dennis Verbeeck, directeur général de PSA Breakbulk, qui entend offrir un guichet unique pour les cargaisons à grande échelle.

Adeline Descamps

 

 

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