Le développement des capacités du port ivoirien est enclenché. La joint-venture entre Bolloré et APM Terminals va investir 400 M€ pour construire et équiper le deuxième terminal à conteneurs d'Abidjan. Le Côte d'Ivoire Terminal (CIT) devrait être opérationnel à la fin de l'année 2021. Il va redynamiser la course au changement de dimensions en Afrique de l’Ouest pour capter les lignes interocéaniques.
Le long du Golfe de Guinée, un chapelet de ports s’affaire depuis quelques années à creuser, draguer et forer de façon à approfondir leur chenal de navigation, à allonger leurs quais et les habiller de portiques à conteneurs dimensionnés pour traiter des géants à l’échelle africaine. Les porte-conteneurs de 8 000 à 14 000 EVP sont de moins en moins rares sur la rangée portuaire ouest du continent, dont les trafics ont été dopés par les importations chinoises. Depuis quelques années, la tyrannie du tirant d’eau s’exprime pleinement. Une sorte de précipitation s’est emparée des ports de la côte pour s’imposer en tant que hubs de transbordement et capter les navires-mères des lignes régulières interocéaniques.
Abidjan n’est pas le seul à vouloir concourir dans cette catégorie. Pointe-Noire, où Bolloré Ports et APMT sont aussi associés, avait été le premier port aux ambitions en eaux profondes. Depuis, Cotonou, Lomé, Kribi, Téma… ont tous soigné leur tirant d’eau pour le porter de 15 à 17 m.
Hub ouest-africain
Avec le lancement de la construction du deuxième terminal, Abidjan relance la dynamique. La coentreprise, délégataire de la concession de 20 ans pour exploiter le nouveau terminal d’Abidjan, a signé fin août le contrat avec la China Harbour Engineering Company (CHEC), déjà à l’œuvre sur de nombreux projets portuaires sur le continent, pour la construction de l’infrastructure. En augmentant la capacité du port, les porteurs du projet entendent positionner Abidjan comme LE port ouest-africain, porte d'entrée privilégiée vers les marchés enclavés de l’hinterland, Burkina Faso, Mali et Niger notamment, ainsi qu’en tant de hub de transbordement vers la Guinée (Conakry), la Sierra Leone (Freetown) et le Liberia (Monrovia).
1,2 MEVP
Le groupe français Bolloré et l'opérateur portuaire néerlandais APM Terminals, filiale du groupe danois Maersk, vont investir 400 M$ dans la construction et l’équipement. Le Terminal Côte d'Ivoire (CIT) devrait être opérationnel d'ici la fin de l'année prochaine. Au terme de la concession d'exploitation de 20 ans, les actifs seront restitués au Port autonome d'Abidjan (PAA)
Planifiée à côté du site de l'actuel terminal sur une emprise récupérée de 45 ha, l’extension qui vise à allonger le linéaire de quais de 1,1 km et à draguer un chenal de navigation de 18 m de profondeur (contre 11,5 m pour le terminal existant) va ajouter 1,5 MEVP par an de capacité à ce port qui n’atteint pas aujourd’hui le million d’EVP (800 000 EVP). Il va également lui permettre d’accueillir des porte-conteneurs de 14 000 EVP et de 350 m de long. Il sera doté de six grues à portiques post-panamax et équipé de 1 000 prises reefers.
La première phase du projet avait consisté à approfondir et élargir le chenal d'accès au canal Vridi, à agrandir le terminal existant (chantier achevé en 2015) et à lui adjoindre un terminal ro-ro. L’investissement, estimé à 80 M$ au total, a été pris en charge par l’autorité portuaire.
« Les compagnies maritimes ont commencé à déployer de très grands porte-conteneurs en Afrique de l'Ouest. Ils ont besoin d'installations en eaux profondes et de terminaux modernes capables de les gérer avec productivité. Un port plus efficace et plus compétitif, doté d'équipements de manutention des conteneurs de dernière génération et d'un tirant d'eau important, contribuera à réduire le coût de la manutention des marchandises et à alimenter la croissance du commerce et des volumes de transbordement », a fait valoir dans un communiqué Koen De Backker, le directeur général de CIT.
Abidjan attend l'effet coronavirus dans la sérénité d'une belle croissance
Chen Mili, directeur général de CHEC West Africa, et Koen De Backker, directeur Général du Terminal Côte d'Ivoire (CIT), lors de la signature du contrat de construction.
Échanges intra-régionaux problématiques
C’est précisément pour pouvoir attirer ces grands navires en Afrique que Bolloré Transport Logistics, qui assure depuis 2004 la gestion et l'exploitation du premier terminal du port d'Abidjan, a investi dans la gestion des terminaux de conteneurs d’une dizaine de ports le long du Golfe de Guinée. Avec Pointe-Noire, Kribi, Cotonou, Lomé et Tema, il dispose déjà de plusieurs ports dont le tirant d’eau leur permet d’être desservis par les lignes interocéaniques. Le groupe français a toujours soutenu que les coûts d’acheminement d’exportation des marchandises vers l’Afrique en dépendait.
Reste qu’une fois à quai, l’évacuation de la marchandise vers l’hinterland reste problématique. L’amélioration des réseaux ferroviaires fret reste une urgence. Bolloré, également opérateur ferroviaire en Afrique via trois concessions Sitarail (Côte d'Ivoire, Burkina Faso), Camrail (Cameroun) et Benirail (Bénin), semble d’ailleurs privilégier, dans ses investissements plus récents, le volet terrestre. Non sans difficultés. En dépit des milliards d’euros mis sur la table via des partenariats public-privé pour la desserte intra-régionale, les infrastructures restent inadéquates.
Forte concurrence pour Abidjan
Pour l’heure, le continent africain compte 7 ports enregistrant plus de 1 MEVP dont deux en Afrique de l’Ouest : Lomé au Togo (1,5 MEVP en 2019) et Tema au Ghana (1 MEVP). Lomé est incontestablement le port qui a connu ces dernières années le plus fort essor de la façade portuaire ouest-africaine. Il doit cette croissance à la construction en 2014 de Togo Terminal, un projet financé par Bolloré, et à la création du Lomé Container Terminal, porté par une joint-venture entre le n°2 mondial du transport maritime de conteneurs MSC, via sa filiale TIL, et le chinois China Merchants Holdings. Il doit surtout son succès à son statut de hub de transbordement.
MSC joue également la carte du port ivoirien de San Pedro auquel il est lié par un accord de concession d'une durée de 35 ans, si bien que MSC se plaît à dire que San Pedro pourrait très bien être le « troisième terminal » du port d’Abidjan.
Au Ghana, le port de Tema, entré dans le cercle des ports mondiaux millionnaires en 2018, a aussi le potentiel pour devenir le concurrent d'Abidjan. Quant au Port autonome de Cotonou, au Bénin, la gestion a été confiée en 2017 à l'opérateur flamand PAI (Port of Antwerp International) pour un mandat de trois ans renouvelable deux fois. L’extension est également au programme, tout comme les ambitions.
Adeline Descamps