La fabrication de batteries électriques est devenue un des emblèmes de la réindustrialisation du Vieux Continent et de reconquête de son autonomie face à une Chine toute puissante qui a saturé le marché jusqu’à contrôler l'amont et l'aval, depuis l’extraction en métaux critiques, parmi lesquels l’indispensable lithium utilisé dans les batteries des véhicules électriques et dans le stockage de l'énergie, jusqu'à la production des composants des cellules et des batteries.
Si l'Europe est responsable de plus d'un quart de l'assemblage mondial des véhicules électriques, elle n'abrite pas la majeure partie de la chaîne d'approvisionnement, à l'exception du traitement du cobalt (20 %), note l'Agence internationale de l'énergie.
La Chine traite aujourd'hui près de 90 % des terres rares et contrôle plus de la moitié du traitement et du raffinage de lithium dans le monde, indique de son côté l'analyste ING.
50 projets autour de la fabrication de batteries électriques annoncés en Europe
À l'heure actuelle, encore rares sont les usines en activité en Europe. En revanche, les projets se multiplient à grande vitesse et à grande échelle, une cinquantaine étant référencés sur le vieux continent donc quatre en France, tous localisés dans le Nord de la France, en partie sur le foncier portuaire du port de Dunkerque. Ils doivent entrer en production d’ici à 2025-2026.
Si les projets se concrétisent, la demande de l'Union européenne pour les seules terres rares devrait être multipliée par cinq d'ici à 2030 et celle de lithium par douze d'ici à 2030.
Une nouvelle dépendance ?
« Nous devons éviter de redevenir dépendants, comme nous l'avons été pour le pétrole et le gaz », avait déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, à l’occasion de la présentation d’un règlement visant à garantir l'accès de l'UE à un approvisionnement « sûr, diversifié, abordable et durable » en matières premières dites critiques (la liste a été réactualisée*) et stratégiques, dont la demande devrait exploser.
Dans cette catégorie entrent notamment les technologies clés dans le cadre des ambitions écologiques/énergétiques et numériques de l'Europe, mais aussi celles essentielles aux secteurs aéronautique, spatial et de la défense.
S'attaquer aux addictions
Présentées en mars, les mesures contenues dans la législation sont censées s'attaquer à la dépendance à l’égard de fournisseurs d'un pays tiers en situation de quasi-monopole, la Chine pour ne pas la nommer. Ce qui ne sera pas sans répercussions (négatives et positives) sur le transport maritime.
Le texte vient en complément de la réforme de l'organisation du marché de l'électricité et du règlement pour une industrie « zéro net », qui vise à accroître la production européenne de technologies clés neutres en carbone.
Ce dernier est une réponse directe aux aides d'État chinoises et américaines annoncées. Outre-Atlantique, l’Inflation Reduction Act (US inflation reduction Act) va allouer 369 Md$ en subventions et incitations fiscales aux fabricants de technologies vertes et aux investissements dans la fabrication de batteries.
Le niveau d’investissement européen n’est pas clairement mentionné mais il serait de l’ordre d’une petite poignée de milliards. Pas de nature à rivaliser.
Extraction, transformation et recyclage
Le texte de loi a été pensé pour que l’extraction sur le sol européen permettre de produire au moins 10 % des besoins annuels de l’UE, notamment le lithium, le cobalt et les terres rares, complétée par un recours au recyclage à hauteur de 15 % tandis que la transformation in situ doit en garantir au moins 40 %.
Parallèlement, l’UE, qui ne sera jamais autosuffisante en matière d'approvisionnement en matières premières, veut s’affranchir de son addiction mono-sourcing, s’assignant pour objectif de ne pas réaliser plus de 65 % de ses achats auprès d'un seul pays tiers.
« Les accords commerciaux que nous avons conclus avec le Chili et ceux à venir avec l'Australie ou l'Indonésie contribueront à soutenir des chaînes d'approvisionnement durables et résistantes. Des liens commerciaux plus étroits et plus diversifiés sont le moyen de réduire nos dépendances et les vulnérabilités qui en découlent », assure Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de l'UE et commissaire chargé du commerce.
Pour que ces projets puissent être rapidement sur rails, les législateurs promettent un accès au financement facilité et des délais d'autorisation raccourcis (24 mois pour les permis d'extraction et 12 mois pour les permis de traitement et de recyclage). La loi doit maintenant être examinée par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne avant d'être adoptée.
60 mines de nickel et 17 exploitations de cobalt nécessaires
Selon l'AIE, l'augmentation de la demande de batteries pour véhicules électriques nécessitera à elle seule 50 nouveaux projets de production de lithium, 60 mines de nickel et 17 exploitations de cobalt d'ici 2030 pour atteindre les objectifs mondiaux en matière d'émissions nettes de carbone, en supposant une capacité de production annuelle moyenne de 8 000 t pour le lithium, 38 000 t pour le nickel et 7 000 t pour le cobalt.
La dépendance à l'égard de la Chine pour le raffinage et le traitement des métaux des batteries pourrait diminuer considérablement, assure une étude réalisée par Transport & Environment : plus de 50 % de la demande de lithium raffiné en Europe pourrait provenir de projets européens d'ici à 2030, notamment ceux de RockTech Lithium, Vulcan Energy Resources en Allemagne ou Imerys en France.
Deux tiers des besoins en cathodes (électrodes entrant dans la composition d'une batterie) pourraient être garantis d'ici 2027 par les investissements d'Umicore en Pologne, Northvolt en Suède ou encore de BASF en Allemagne.
Une dépendance fatale
« L'interdiction des voitures thermiques dans l'UE en 2035 a déjà stimulé de nombreux investissements. La moitié des cellules de batteries lithium-ion consommés en Europe y sont déjà fabriquées », précise Julia Poliscanova, responsable des véhicules et de l'e-mobilité chez T&E, qui craint cependant que l'Europe n'ait pas la puissance de feu financière pour rivaliser dans la course mondiale avec Les États-Unis et la Chine.
« En 2021, les prix du magnésium ont grimpé en flèche en raison des pénuries d'approvisionnement causées par les restrictions de production imposées par la Chine pour limiter la consommation d'énergie. La pénurie de magnésium en Chine a menacé l'industrie européenne, notamment les secteurs de l'automobile, de la construction et de l'emballage », rappelle Ewa Manthey, spécialiste des matières premières chez ING. Le magnésium entre dans la production d'alliages d'aluminium, absorbant 50 % de la consommation totale du métal argenté.
Vertige de l’effet papillon. Une crise électrique en Chine peut provoquer une pénurie de magnésium en Europe, qui peut entraîner une carence d'aluminium qui peut nuire à la production automobile européenne.
Adeline Descamps
*La liste de l'UE réactualisée comprend 34 matières premières critiques parmi lesquelles l'aluminium/bauxite, le charbon à coke, le lithium, le phosphore, le cobalt et les terres rares légères.