Énième coup dur pour Arctic LNG2, considéré il y a encore peu de temps comme un exemple en matière de a coopération énergétique entre Moscou et des entreprises internationales du secteur. En construction, le gigantesque projet (21 Md$) porté par le producteur russe de gaz Novatek est, après Yamal (Novatek) et Sakhalin 2 (dirigé par Gazprom), le troisième dans la production à grande échelle de gaz naturel liquéfié dans l'Arctique. Ils sont tous trois essentiels aux ambitions de la Russie, qui veut porter sa part mondiale de 8 % à 15 à 20% d'ici 2035 face à ses concurrents américains, qataris et australiens, soit un niveau de production d'environ 100 Mt par an.
Dans son dernier tour de vis à l'encontre de la Russie en guerre avec l'Ukraine, les États-Unis s'attaquent au programme qui prévoit la construction de trois trains de liquéfaction de GNL dans la péninsule de Gydan, à une trentaine de kilomètres de Yamal LNG, son clone qui exploite depuis 2017 les ressources de gaz du champ South Tambey au nord-ouest de la Sibérie.
D’une capacité de production de 6,6 Mt par an chacun, Arctic LNG2 devait être opérationnel à la fin du premier trimestre 2024 pour atteindre en 2026 sa pleine capacité.
Concrètement, les sanctions américaines peuvent dissuader les éventuels acheteurs et les transporteurs de livrer le gaz naturel liquéfié issu d'Arctic LNG 2, sous peine de mesures de rétorsion.
Financeurs internationaux en retrait
Dans le projet initial, d’un coût évalué à 21 Md$, Novatek (60 % des parts de la société Arctic LNG2) était associé à TotalEnergies (10 %), Japan Arctic LNG, China National Petroleum Corporation (CNPC) et China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), toutes trois également avec 10 %. Chacun étant autorisé à vendre du GNL en fonction de ses participations. Soit 11,9 Mt pour Novatek et 2 Mt pour les autres investisseurs.
Le groupe russe avait prévu de compléter son tour de table en levant quelque 10 Md$ pour financer le projet auprès de banques russes et étrangères. Mais à l'ère des sanctions occidentales, les banques internationales et les actionnaires ont suspendu tout financement.
Renonciation des actionnaires étrangers
Or avec ce nouveau coup de butoir, craignant un contrecoup des sanctions, les actionnaires étrangers d’Arctic LNG2 jettent l'éponge, suspendant leur participation et renonçant ainsi à leurs responsabilités en matière de financement et de contrats d'achat, a révélé le quotidien Kommersant, repris par Reuters.
Face à ce nouveau coup dur, comme le droit des contrats l'y autorise, Novatek a déclaré la force majeure sur les livraisons en GNL du projet, se voit désormais contraint de financer le programme par ses propres moyens et de vendre le gaz sur le marché au comptant.
TotalEnergies avait provisionné en mars 2022 la somme de 4,1 Md$ dans ses comptes en lien avec son retrait pour se conformer aux sanctions européennes interdisant l'exportation depuis le territoire de l'Union européenne de biens et technologies destinés à la liquéfaction du gaz naturel au profit d'une société russe.
Un retrait onéreux
BP avec Rosneft. Shell avec Gazprom. Equinor avec Rosneft. TotalÉnergies ou Technip Energies avec Novatek. Engie avec Nord Stream 2... les groupes pétroliers et gaziers ont successivement annoncé leur désengagement dans les projets en partenariat avec les grandes entreprises russes, à la tête desquelles se trouvent les oligarques proches du maître du Kremlin.
La major française est l'une des plus engagées sur un plan financier et capitalistique, précisément en raison de ses projets dans l’Arctique russe (20 % dans Yamal LNG et 10 % dans Arctic LNG 2). Mais étant également actionnaire de Novatek, TotalEnergies atteint les 21,5 %.
Ses intérêts sont de deux ordres : à la fois de propriété sur ses investissements et dans les contrats d’approvisionnement de long terme. Le groupe français, implanté en Russie depuis le début des années 1990, y produisait déjà 16,6 % de ses hydrocarbures et 30 % de son gaz avant la guerre.
Globalement, le retrait européen des projets arctiques russes coûte très cher aux compagnies pétrolières, comme l'analysait Hervé Baudu, professeur à l’ENSM et grand connaisseur des routes maritimes arctiques dans un entretien pour le JMM.
Les Japonais inflexibles sur Sakhalin
L’armateur japonais MOL a jusqu’à présent maintenu sa participation dans le projet Sakhalin LNG, qui exploite les riches gisements pétroliers et gaziers en mer d'Okhotsk au large de l'île de Sakhaline.
En octobre 2022, MOL avait annoncé la signature d’un contrat d’affrètement avec Sakhalin Energy LLC pour le méthanier Grand Mereya (147 000 m³). Le nouveau contrat assure en réalité la continuité de services avec le nouvel opérateur du projet, entité détenue par Gazprom et l’État russe, en relais à la désolidarisation de Shell, acculé à abandonner une participation de 27,5 %. La major britannique avait également un contrat d’achat pour environ 1 Mt par an à Sakhalin LNG.
Le Japon entre deux eaux
Au-delà, la position du Japon, pays tiers, est ambivalente. Si Tokyo participe aux sanctions contre la Russie depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, le pays se refuse à renoncer au gaz et au pétrole russes qui compromettraient sa sécurité énergétique. Les sociétés japonaises Mitsui et Mitsubishi, qui détenaient dans la précédente structure 12,5 % et 10 % des parts, sont restées au capital de la nouvelle entité-relais.
La société japonaise Sakhalin Oil and Gas Development Co (Sodeco), qui a pour actionnaire principal le ministère japonais de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (Meti), détient par ailleurs 30 % de Sakhaline-1.
Plus de la moitié de la capacité de production de GNL de Sakhaline-2 (9,6 Mt par an) est engagée auprès d'acheteurs japonais, et le gaz issu de ce gisement représente la quasi-totalité des importations japonaises de GNL en provenance de Russie.
Sécurité énergétique souveraine
La sortie de Shell de l'usine de gaz naturel liquéfié (GNL) Sakhaline-2 n'a pas d'impact sur les importations d'énergie du Japon, vient encore de déclarer le porte-parole du gouvernement japonais, Hirokazu Matsuno, alors que les principales compagnies pétrolières occidentales se sont désengagées.
Le Japon prendra les mesures nécessaires, tout en tenant compte de sa propre sécurité énergétique nationale, a-t-il ajouté.
De leur côté, les Européens continuent à acheter du GNL en provenance de Yamal.
Adeline Descamps