C’est une page lourde d’une valeur inestimable qui se tourne pour le groupe Bolloré après plus de trois décennies de présence sur le continent africain. Sa première prise de guerre date de 1986 lorsque, grâce à son carnet d’adresses et ses relations politiques, Vincent Bolloré avait acquis, auprès de Suez, la Société commerciale d’affrètement et de combustible (Scac) dont l’appellation fleure toute une éqoque. Une opération qui a considérablement élargi les horizons de l’ex-papetier français, à la diversification alors encore embryonnaire, en lui permettant de prendre pied dans le transit et dans la manutention en France et en Afrique avec la Socopao. La fin des années 80 peut vraiment être considérée comme une période charnière pour le groupe français au vu du poids actuel des activités africaines dans le chiffre d’affaires de la multinationale. Elles auront été de tous temps une machine à cash mais aussi à litiges.
Vendu pour 5,7 Md€, Vincent Bolloré réalise une remarquable affaire alors que son empire africain, qui s’étend du Gabon (Owendo International Port) au Cameroun (Kribi) en passant par la Guinée (Conakry), la Côte d’Ivoire (Abidjan) et le Sénégal (Dakar), était estimé entre 2 et 3 Md€.
Quarante-deux ports
C’est à ce niveau de valorisation que le groupe français, qui avait déjà cédé ses activités portuaires en France à Maritime Kuhn en 2019, va donc se désengager de seize terminaux à conteneurs en Afrique centrale et de l’Ouest, sept installations ro-ro, deux concessions ferroviaires (Camrail au Cameroun, Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, plus Benirail au Bénin), et tout un ensemble d’entrepôts, de ports secs, d’agences maritimes… Au total, 42 ports, 280 entrepôts totalisant plus d’un million de m2, 87 agences maritimes (dont 74 africaines) et 250 filiales dans 49 pays. Les concessions en Inde (Tuticorin), au Timor et à Haïti sont comprises dans la cession.
Sitarail (près de 1 Mt de marchandises transportées sur les 1 260 km de voies ferrées) relie Abidjan en Côte d’Ivoire et Ouagadougou au Burkina Faso. Camrail (trafic de 1,5 Mt sur un réseau de 1 010 km, 600 000 passagers), qui connecte Douala à Ngaoundéré au Cameroun, s’insère dans le corridor de désenclavement du Nord-Cameroun, du Tchad et de la Centrafrique.
Au cours du premier semestre 2022 (dernières données distinctes connues), Bolloré Africa Logistics (BAL) a enregistré un chiffre d’affaires de 1,28 Md€ (2,3 Md€ en 2021), soit 27 % de l’activité transport et logistique.
D’après le dernier rapport d’activité (2021), l’ensemble des terminaux portuaires de BAL avaient traité 6,32 MEVP, 9,8 Mt de marchandises et 184 000 véhicules sur les terminaux ro-ro.
Monstrueuse prise pour MSC
Présent jusqu’alors en Afrique subsaharienne avec trois terminaux, à Lomé (Togo), qui a rapidement dépassé le million d’EVP, San Pedro (Côte d’Ivoire) et TinCan/Lagos (Nigeria), MSC, à travers sa filiale Til, devient d’un jour à l’autre un Hercule de la manutention portuaire.
La sortie de Bolloré du jeu portuaire africain conforte en outre l’ancrage des grands armateurs sur les quais du continent, MSC, Maersk et CMA CGM.
Du côté des manutentionnaires, c’est surtout l’émirati DP World qui occupe le terrain alors que les leaders du secteur – le singapourien PSA et le hongkongais Hutchison – restent singulièrement absents dans la région subsaharienne. Tout comme les Chinois, dont la présence se manifeste surtout dans la construction et le financement des infrastructures.
Vincent Bolloré, dont les liens avec de hauts dignitaires africains et l’éthique des affaires d’un autre temps ont nourri quantité d’articles de presse, était acculé par quelques scandales de corruption, notamment au Togo et en Guinée, pour lesquels le groupe a fini par plaider coupable en 2021.