Extension du domaine d’influence. En 2022, les compagnies maritimes ont accéléré sur le changement d’aiguillage en tissant leur toile aérienne. Avec un trésor de guerre s’estimant en dizaines de milliards de dollars accumulés ces deux dernières années grâce à des taux de fret qui ont défié les cieux, ils ont l’aisance financière pour mettre en œuvre leur stratégie de « logistique intégrée ».
Les lignes d’horizon n’ont plus de frontières. Elles se brouillent en un continuum air-mer-terre. Les leaders du secteur – MSC, Maersk, CMA CGM – ont été, sur ce plan, hyperactifs l’an dernier. Pour s’affranchir des cycles inhérents au fret maritime alternant baisse et hausse des volumes, ils ont réservé une bonne partie de leurs substantiels bénéfices à la logistique à terre, secteurs à plus forte marge – stockage, entreposage, logistique contractuelle – mais aussi au fret aérien, territoire au ticket d’entrée particulièrement élevé et au niveau d’expertise tel qu’il éjecte rapidement les aventurières.
Le secteur aérien a connu un temps exceptionnellement lucratif durant la pandémie lorsque les avions passagers étaient cloués au sol et alors que le transport maritime connaissait une grande pagaille avec des pénuries de conteneurs, des annulations d’escales et de départs, des ports dépassés, un transport terrestre sous la contrainte des confinements et de la pénurie de chauffeurs routiers.
En fin d’année, les tarifs du fret aérien ont rejoint leurs équivalents maritimes dans la spirale descendante: ils ont perdu de l’altitude.
La liste des crises s’allongeant, avec quarante nuances de récession, « cela pourrait inciter les transporteurs à repenser leurs investissements », prédit Niall van de Wouw, analyste en chef du fret aérien chez Xeneta, une société de services numériques dans le maritime, connue pour son indice établi à partir des taux de fret aérien et maritime communiqués par les principaux chargeurs. L’économiste paraît convaincu que « lorsque les bénéfices diminueront en mer et que les transporteurs atteindront peut-être le seuil de rentabilité ou enregistreront une perte, ils réexamineront ces activités » et, par ailleurs, qu’il y aura, à un moment ou un autre, un recentrage sur leur cœur de métier, qu’il est toujours plus facile de gérer en périodes de turbulences.
Miroir aux alouettes?
Faut-il voir dans la « suspension temporaire » des opérations de CMA CGM aux États-Unis quelques signes avant-coureurs d’une conjoncture que les opérateurs anticipent plus âpre que prévu?
Après quelques mois d’opérations, CMA CGM Air Cargo, la jeune compagnie aérienne de l’armateur français de porte-conteneurs, a suspendu ses ventes d’espaces commerciaux vers Chicago et Atlanta depuis l’Europe pour louer les avions à European Air Transport, une compagnie aérienne de fret enregistrée auprès de DHL Express et à Qatar Airways Cargo (auquel elle avait acheté les quatre premiers A330-200F d’occasion), a révélé le média américain FreightWaves. Une décision qui paraît brutale et que le groupe a confirmée sans autre commentaire, au risque de rebuter ses clients et prospects dans un secteur où la fiabilité est une loi d’Airain.
Un mauvais signal pour l’ensemble des compagnies maritimes qui se sont lancées dans cette nouvelle aventure. L’échec de l’une d’entre elles retentira inévitablement sur la crédibilité des autres…