Devenir fournisseur de services logistiques de bout en bout

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Après avoir préempté le ciel, les leaders de la ligne maritime régulière ne semblent plus se contenter d’être de simples marchands de transport de port à port. Certains d’entre eux ont investi leurs substantiels profits dans la logistique terrestre. Opération: développer des relations plus étroites avec des gros chargeurs prêts à payer plus pour des services à valeur ajoutée.

Fin décembre, Søren Skou a rendu les clés de l’entreprise qu’il a dirigée à divers endroits pendant quatre décennies. Il a passé la barre du groupe A.P. Møller – Maersk à Vincent Clerc, qui pilote depuis 2019 les activités de transport maritime. Un passage de relais en forme de filiation, se plaisent à dire médias et consultants. La suite reste à écrire. Après près de sept ans à la tête du groupe, onze ans en tant que PDG de Maersk Tankers, Søren Skou part en retraite et laisse A.P. Møller – Maersk complètement métamorphosé. Il est l’artisan de la transformation d’un groupe aux actifs diversifiés vers un pôle recentré sur le transport maritime et la logistique en vue de créer un « géant de la logistique maritime intégrée », faisait-il valoir en 2019, et ainsi s’affranchir des cycles inhérents au transport maritime de ligne alternant baisse et hausse des volumes et des taux de fret.

Le groupe danois s’est en effet délesté des actifs pétroliers après avoir vendu en 2018 Maersk Oil à Total pour 7,45 Md$ (6,4 Md€) tandis que Maersk Drilling et Maersk Tankers ont été cédés à la holding de la famille Maersk, principal actionnaire du groupe. Il a ensuite restructuré l’organisation en agrégeant les activités des terminaux portuaires et de la ligne régulière au sein d’une même entité (Ocean).

6 Md$ dans la logistique

Mais surtout, dans le cadre de cette transformation à grande échelle, il a multiplié les acquisitions dans les activités logistiques, totalisant à ce stade quelque 6 Md$ d’investissement, afin d’acquérir des compétences, à terre, dans le domaine de l’entreposage et de la distribution (Performance Team, 545 M$), de la gestion sous douane (KGH Customs Services), dans les services de distribution BtoB et BtoC pour le commerce de détail, de gros et de l’e-commerce (LF Logistics pour 3,6 Md$, 223 entrepôts d’une capacité de 2,7 millions de m2 dans 14 pays d’Asie et de la région Pacifique), du traitement de commandes pour l’e-commerce (Visible SCM pour 838 M$, B2C Europe pour 86 M$, prise de participation dans Huub), de la mode et du lifestyle (ICL), de la livraison du premier et dernier kilomètre, en particulier pour les articles volumineux et encombrants (Pilot Freight Services pour 1,8 Md$) et de la logistique de fret spécial et hors gabarit (Martin Bencher Group rachetée en août pour 61 M$). Dans la logistique aérienne, le groupe danois a mis la main sur le transitaire allemand Senator International pour 644 M$.

Pour les trois premiers trimestres de 2022, le chiffre d’affaires des activités logistiques a atteint 10,6 Md$, et le résultat d’exploitation, 675 M$. Le segment a réalisé une croissance organique des revenus de 32 % avec une marge Ebit de 6,4 %. Pour l’instant, un virage bien opéré.

Investir tous les maillons

Cette volonté à devenir fournisseur de services logistiques de bout en bout est partagée. CMA CGM semble aussi vouloir développer des relations plus étroites avec des gros chargeurs prêts à payer plus pour des services à valeur ajoutée.

L’armateur français de porte-conteneurs a les moyens financiers d’investir tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement.

En 2021 et 2022, le groupe français a absorbé les activités logistiques (Commerce &Lifecycle Services) du grossiste américain en matériel informatique Ingram Micro, les spécialistes français du dernier kilomètre, Colis Privé, et de la logistique automobile Gefco, qui était passé sous actionnariat russe et qui a été rapatrié en France. Tous sont venus muscler sa filiale Ceva Logistics, qui serait passée, selon le groupe français, à la quatrième place mondiale dans le secteur de la logistique contractuelle grâce à CLS dont l’activité est axée sur le e-commerce et la logistique retour. Une position qui lui a coûté 3 Md$ pour un ensemble de 1,7 Md$ de chiffre d’affaires (11 500 salariés, 59 entrepôts). Ensemble, Ceva et CLS vont totaliser 1 100 sites dans 160 pays et 90 000 emplois. Et le3PL français étoffe ainsi son portefeuille dans les segments de la high tech, de la distribution et de la mode.

Le colis particulier, un marché aride

En janvier 2022, CMA CGM a pris le contrôle de Colis Privé en acquérant 51 % du capital de cet acteur clé en France dans la livraison du dernier kilomètre, cet interstice entre les plateformes logistiques et le client final devenu un maillon essentiel de l’e-commerce. Un marché aride pour être celui de l’impatience, du « tout, tout de suite ».

Le territoire est ardu (se frotter à l’expérience client et à une forte pression tarifaire car personne ne veut payer le prix de la livraison). L’enjeu est économique (résoudre l’équation du dernier kilomètre est ardue). Le marché est colonisé par les géants du colis express: UPS, Fedex, DHL, La Poste, les grandes plateformes numériques, mais aussi une kyrielle d’acteurs plus petits qui ont investi l’aire de jeu ces dernières années et dont fait d’ailleurs partie Colis Privé (cf. plus loin).

Fondée en 1993 par Yves Rocher en réaction aux énièmes grèves de La Poste, cédée ensuite aux dirigeants du groupe aixois Hopps, la nouvelle acquisition se présente comme le premier opérateur privé de livraison à domicile en France avec 63 millions de colis (2021) distribués grâce à un maillage de l’Hexagone au petit point, au travers de quatre hubs et de 110 agences pour desservir 200 acteurs du e-commerce. Présent aux côtés des deux fondateurs (39 %) et d’Amazon (10 %), le groupe CMA CGM n’exclut pas la prise de contrôle totale.

Au chevet de Gefco

En avril, c’est au chevet de Gefco, commissionnaire de transport particulièrement réputé pour la logistique sur véhicules finis, que s’est penché le transporteur français. Sous le pilotage attentif et avisé de Bercy, il a ainsi pu sortir de l’impasse la pépite française devenue russe de la logistique automobile.

Embarrassé par son encombrant actionnaire Russian Railways, propriété de l’État russe et à ce titre placé sous sanction et présidé par Oleg Belozerov, un proche de Vladimir Poutine, la situation de l’entreprise basée à Colombes n’était plus tenable.

Mais la situation n’a fait que précipiter les choses. En réalité, Oleg Belozerov faisait valoir depuis plusieurs années sa volonté de se retirer du capital dont il est le puissant actionnaire depuis 2012 avec 75 % des titres. Il les avait acquis auprès de l’ex-PSA (devenu ensuite Stellantis), qui avait toutefois souhaité maintenir sa présence à hauteur de 25 % aux côtés des chemins de fer russes.

Oleg Belozerov avait confié en 2020 à Rothschild & Co et à JP Morgan un mandat de vente. C’est sans doute à cette époque que CMA CGM avait été approché.

À quel prix a-t-il acquis les 100 % des titres? CMA CGM n’a pas pour habitude de partager le montant de ses emplettes. L’armateur ne s’est pas non plus épanché sur le passage de témoin avec Stellantis, que va sans doute superviser le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI).

La seule certitude est que RZD avait acquis l’entreprise en 2012 au prix de 800 M€. Compte tenu de ses difficultés (un chiffre d’affaires de 3,8 Md€, en repli de 19,7 % en raison de la crise sanitaire) et du peu d’investissements dont elle a bénéficié ces dernières années, elle n’a pas été emportée à ce prix-là.

Parmi les 3PL « Third Party Logistics » – dénomination pour désigner les logisticiens tierce partie dont les métiers couvrent la gestion des opérations de transport, en propre et/ou en qualité de commissionnaire, ainsi que la logistique contractuelle –, Gefco figure au 20e rang mondial d’après le dernier classement publié par Armstrong &Associates qui classe les logisticiens par le chiffre d’affaires.

Présent dans 47 pays, l’entreprise emploie environ 11 500 personnes dans le monde, dont plus de 3 000 en France. Son dernier chiffre d’affaires, avant cession, s’établissait à 3,8 Md$. La crise sanitaire, qui a particulièrement impacté le secteur automobile, l’a amputé de 20 points de croissance.

Pour quelles contributions?

Appelée à contribuer davantage à l’ensemble mais encore marginale, la logistique a apporté 4,34 Md$ à l’édifice financier de CMA CGM contre 3,8 Md$ au cours du précédent trimestre. Le redressement est lent mais réel. Les bénéfices d’exploitation avant charges sont croissants, passés de 270 à 359 M$ sur un an, mais la marge reste faible (8,3 %) et s’est dégradée de plus d’un point entre le deuxième et le troisième trimestre.

CMA CGM n’est jamais très prolixe sur le redressement de la logistique contractuelle, qui se conçoit pourtant comme un axe de diversification majeure sous la houlette de Rodolphe Saadé. La logistique automobile Gefco, dont l’acquisition a été finalisée fin juillet, « a contribué au chiffre d’affaires du segment Logistique à hauteur de 750 M$ », précise le groupe, qui indique également qu’Ingram Micro CLS et Colis Privé ont respectivement contribué à ce même chiffre d’affaires à hauteur de 375 et 64 M$.

L’actualité des prochains mois devrait réserver sur ce sujet d’autres glissements de terrain. Si les actionnaires valident la proposition, le transitaire allemand DB Schenker, filiale de l’opérateur ferroviaire allemand Deutsch Bahn, sera à vendre.

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