Pétrole, gaz et charbon : les flux revus et corrigés

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L’ordre mondial énergétique est en pleine mutation et la plupart des changements semblent irréversibles. La guerre entre la Russie et l’Ukraine, partie pour s’enliser, a eu pour effet immédiat de remodeler complètement les flux, qui vivent une épiphanie. Origines et provenances, tous les radars dansent la gigue.

Ces derniers mois, le marché mondial des énergies a évolué à un rythme effréné. Dans ce Monopoly guidé par le contournement des sanctions internationales frappant les énergies de base fournies par le voisin russe, les États-Unis et le Moyen-Orient avec le pétrole, le GNL et le charbon tirent de grands bénéfices.

Le continent américain est ainsi devenu le premier exportateur de GNL de l’Union européenne. L’Inde et la Chine sont désormais les premiers clients du pétrole russe. Le charbon, énergie du XIXe siècle, connaît un sursis, profitant des prix élevés et des tensions sur le gaz naturel qui le concurrence dans la production d’électricité en temps normal.

Mais les temps ne sont plus normaux. Achats, importations et transits russes de charbon (dès le 10 août) ainsi que de pétrole et produits raffinés (d’ici la fin de l’année) sont prohibés au sein de l’UE alors que le pays de Vladimir Poutine est le troisième fournisseur mondial de charbon et deuxième exportateur de pétrole brut.

Le gaz n’est pas encore concerné à proprement parler par un embargo, mais un accord a été adopté par l’UE projetant de réduire de 15 % la consommation d’ici mars. Le « jeu » autour de la maintenance supposée ou réelle de Nord Stream 1 n’amuse pas du tout les Européens, dépendants à plus de 40 % de la Russie avant l’invasion de l’Ukraine.

Charbon, le grand retour

Depuis mi-juin, Gazprom réduit en effet toujours plus ses livraisons européennes, invoquant les problèmes techniques et les programmes de maintenance, si bien que le gazoduc ne fonctionne plus qu’à 20 % de ses capacités. Or, les stocks européens, remplis à environ 60 % et qui doivent atteindre les 80 % d’ici novembre, dépendent de la stabilité de ces flux. Un jeu de pouvoir qui n’a pas de fondement technique, mord Bruxelles.

« Le marché a parlé: le charbon est en train de mourir », pouvait-on lire en 2019 dans un titre de la presse économique en réaction à la décision de Pékin de ne plus projeter de nouvelles centrales à charbon à l’étranger.

Le scénario a mal vieilli. Les cales des panamax débordent du vieux combustible et les zones de stockage portuaires, en manque de place, empiètent dans certains ports européens sur les espaces dévolus au minerai de fer dont la demande est partie en capilotade avec les confinements en Chine.

« Dans le contexte de la forte pression énergétique ressentie en Europe et en Asie, le charbon a de nouveau trouvé un point d’ancrage pour étendre sa présence dans le mix énergétique de nombreuses économies dans le monde. La situation en Ukraine et l’escalade des sanctions qui s’en est suivie n’ont fait qu’aggraver l’équilibre entre l’offre et la demande, poussant les producteurs d’électricité d’Europe et d’Asie à se battre pour garantir leur approvisionnement », confirme George Lazaridis, responsable des prospectives chez Allied Shipbroking.

Le courtier maritime a observé un bond de 10 à 20 % des importations de charbon en Europe. L’interdiction du charbon russe dans l’UE va priver le marché de 35 à 40 Mt.

Les États-Unis sont actuellement les plus grands fournisseurs en charbon thermique de l’Europe, avec des exportations qui ont bondi à 11,2 Mt au premier semestre, indique le courtier Intermodal, soit une augmentation de 91,6 % par rapport à l’année précédente.

À l’issue des six premiers mois de l’année, l’UE avait déjà acheté le même volume que sur l’ensemble de l’année 2021 (41 Mt), dont 14 Mt aux États-Unis et près de 13 Mt à l’Australie.

Branle-bas dans les ports

Malgré son prix élevé, le charbon sud-africain est aussi très apprécié des opérateurs des centrales à charbon qui, un peu partout en Europe – à la demande du Royaume-Uni, de l’Italie, de la Grèce, de la Pologne, de la République tchèque et de la Roumanie –, ont retardé les fermetures programmées.

L’accumulation des vraquiers au large du port de Rotterdam reflète l’activité intense autour du combustible. Entre le 9 mai et le 29 juin, leur temps d’attente moyen dans le premier port européen est passé de 48 à 186 heures. En cause, les flux de charbon (3Mt) en provenance d’Afrique du Sud selon VesselValues. « Les exportations du charbon n’y avaient pas été aussi vives depuis 2014 », indique le spécialiste. L’Afrique du Sud avait plutôt réorienté ses flux export vers la Chine. En France, l’Assemblée nationale a donné le 22 juillet le feu vert au redémarrage de la centrale de Saint-Arvold en Moselle dans le cadre du projet de loi pour la protection du pouvoir d’achat. Non sans difficultés logistiques: GazelEnergie, filiale du groupe tchèque EPH, est en train de mobiliser les anciens salariés et réorganiser ses flux logistiques pour pouvoir fonctionner dès octobre.

États-Unis, fournisseur de GNL

500 000 t de charbon seront nécessaires jusqu’au 31 mars 2023. Le groupe, qui importait du charbon russe, s’est réorienté vers les États-Unis, l’Afrique du Sud et l’Amérique du Sud. « Avant la guerre, le charbon arrivait de Russie par le rail. Désormais, tout le monde se tourne vers la mer et le fleuve. C’est la guerre des barges », indique un porte-parole de GazelEnergie. Outre la problématique de la disponibilité des barges, le groupe, qui avait délaissé le port de Dunkerque au profit de Rotterdam en 2017, est actuellement confronté à la sécheresse du Rhin qui le contraint à baisser les niveaux d’emport. Les barges doivent donc s’arrêter à une centaine de km de la centrale de Saint-Avold, le charbon étant ensuite rechargé sur des camions.

Avec le charbon, le GNL est l’autre grand conquérant. Les États-Unis ont pris l’ascendant sur la livraison mondiale l’an dernier. En 2021, l’UE des 27 avait déjà été le troisième plus grand importateur maritime mondial, avec une part de 15,8 %, derrière la Chine (20,2 %) et le Japon (19,7 %), selon les données du courtier maritime Banchero Costa.

Au cours des trois premiers mois de 2022, 22,1 Mt de GNL par voie maritime (dont 6,4 Mt pour la France) ont été acheminés vers les ports européens, un trafic doublé sur un an. Les États-Unis se sont engagés à augmenter leurs livraisons à l’Europe de 15 milliards de m3 par an en 2022. Les prix au comptant élevés ont en revanche freiné l’appétit de l’Asie. Ce repli n’est pas non plus sans lien avec la production nationale de charbon record, Pékin ayant donné la priorité à l’électricité à partir du charbon alors que les services publics chinois se sont largement retirés du marché spot pour se concentrer sur leurs volumes contractuels.

Le GNL, le charbon et même les hydrocarbures ont bien été aux affaires au cours du premier semestre. Les trafics semestriels des ports européens en portent toutes les traces.

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