En France, l’industrie sort d’un long hiver et veut croire à son Grand Soir. En attendant, elle vit une certaine renaissance et tous ses indicateurs – implantations, attractivité, investissements étrangers… – se réveillent. De quoi donner au pays une foi de charbonnier pour évangéliser le marché à l’idée qu’il y fait bon investir. À condition d’y trouver un bout de pelouse industrielle qui n’implique pas 30 mois de délai avant de démarrer les lignes de production.
La France est depuis plus de deux ans la première destination européenne des investissements internationaux et première porte d’entrée pour les industriels, selon les données officielles. En 2021, l’Hexagone a accueilli 1 222 implantations d’entreprises étrangères, clouant au pilori ses deux principaux concurrents en Europe, le Royaume Uni (933, + 2 %) et l’Allemagne (841, – 10 %).
Les investisseurs européens ont été à l’origine de deux projets sur trois, l’Allemagne en tête devant les États-Unis et le Royaume-Uni, selon Business France, l’agence chargée du développement international des entreprises françaises et des investissements internationaux en France.
Accélération de la réindustrialisation
Plus intéressant, l’Hexagone s’est distingué par l’accueil de 482 projets industriels (+ 49 %) soit près de 30 % du total. Cette donnée contraste avec les 145 au Royaume-Uni et les 106 en Allemagne. « Ceci est d’autant plus important que les supply chain sont en cours de reconstruction et que la France a un rôle important à jouer dans cette réorganisation », assure Business France.
Phénomène nouveau, près d’un projet industriel sur deux a été localisé dans un territoire de moins de 50 000 habitants. Les grandes métropoles régionales (le Grand Paris avec 20 % des projets, Lyon avec 5 %, Toulouse, Aix-Marseille-Provence ou Lille avec 3 % chacune) ont dû en effet partager la moisson l’an dernier.
L’effet sur ces données du dispositif « sites industriels clés en main » n’est cependant pas documenté. Pour relancer l’industrie en France, remédier à la lourdeur administrative et écourter les délais d’implantation réputés longs et lourds, Bercy avait sorti des cartons ce concept qui désigne des terrains prêt à l’emploi industriel et pour lesquels l’État garantit un délai de trois mois pour l’obtention du permis de construire et de neuf mois pour les autorisations environnementales. Pour ce faire, les préfectures se chargent en amont des études préalables à la construction et relatives à l’environnement et à l’urbanisme.
La promesse est belle, mais dans la réalité, les industriels font état d’un délai de 30 mois avant d’être pleinement opérationnels. Une durée jugée incompatible avec le temps économique.
Depuis le lancement du dispositif, 127 sites ont été sélectionnés, dont plusieurs sur du foncier des grands ports maritimes. Ils ont d’ailleurs été parmi les premiers labellisés.
Cher foncier
Parmi eux, Dunkerque a su profiter de l’aubaine offerte par la plateforme Zone Grandes Industries (ZGI, 160 ha) de Dunkerque-Port ainsi que Dunkerque Logistique internationale (DLI, 160 ha), cette dernière implantée à proximité immédiate des terminaux conteneurs et ferry et pensée pour la logistique de vrac sec et/ou à température dirigée.
Haropa Port a également été agréé pour deux zones, l’une sur le Grand canal du Havre, en lieu et place de la cimenterie Lafarge, et l’autre au sein du parc Eco-Normandie. Aussi, le terminal portuaire du Verdon à Bordeaux, en pleine reconversion suite à l’échec du conteneur, qui offre 37 ha à l’arrière des quais. Dans la foulée, l’autorité portuaire avait lancé un appel à manifestation d’intérêt pour l’implantation d’une ferme photovoltaïque à proximité immédiate. Comme un signal envoyé aux porteurs de projets décarbonés.
La réindustrialisation est gourmande en espaces et les collectivités font souvent face à une crise du foncier. D’où le franc succès du fonds « friches », intégré à France Relance, qui permet de réhabiliter des sites désaffectés et dont le troisième appel à projets lancé en février dernier a été doté de 100 M€.
Les estimations les plus récentes évaluent entre 90 000 et 150 000 ha la surface des friches industrielles en France: 10 à 20 % de ce gisement suffiraient à construire 5 000 ha de bâtiments productifs.
Pour cette raison, les zones industrialo-portuaires (ZIP) ont une grande vertu: leur foncier à prix accessible, qui est ailleurs le principal facteur limitant pour la réindustrialisation. Le foncier premium est passé de 150 à 500 €/m2 en cinq ans en valeur de sortie (prêt à l’emploi industriel) en première couronne parisienne et de 90 à 190 €/m2 en région lyonnaise par exemple.
Les ZIP sont aussi les rares sites éligibles au dernier appel à projets lancé auprès des collectivités par le gouvernement (il était ouvert jusqu’au 30 juin): des sites industriels clé en main en taille XXL (au moins 300 ha). C’est la capacité estimée pour accueillir une grande usine de niveau mondial comme l’usine de semi-conducteurs de 17 Md€ qu’Intel a annoncé à Magdebourg en Allemagne ou un hub logistique de grand format dont Amazon détient les clés.
Bercy en cherche trois à cinq et vise la réimplantation d’activités stratégiques telles que les batteries électriques, les composants électroniques, les médicaments ou la production d’énergie.
Les ZIP bien placées
Faire des ports les leviers d’une attractivité nouvelle pour attirer les industries est un des volets de la stratégie portuaire nationale. Cela fait du reste quelque temps qu’il est demandé aux autorités portuaires de ne plus se comporter exclusivement comme bailleurs de surfaces à construire mais comme offreurs de solutions et de services… « Il y a quelques années, lorsque nous rencontrions des prospects et d’éventuels investisseurs, on leur disait: “Voilà, le port de Dunkerque, c’est 7 000 ha dont 3 000 disponibles.” On contractualisait en signant une autorisation d’occupation temporaire », indiquait, à l’occasion d’un débat tenu dans le cadre des Assises du Port du futur en 2021, Daniel Deschot, alors directeur commercial du Grand port maritime de Dunkerque, aujourd’hui à la tête du directoire. « Ce discours ne suffit plus. Il faut être en mesure d’offrir des terrains purgés de toutes les contraintes administratives de façon à ce qu’ils soient disponibles si ce n’est immédiatement du moins à courte échéance. » Dans tous les sondages auprès de prospects, il ressort en effet que l’attente jugée raisonnable par les porteurs de projets est de 10 à 12 mois avant de démarrer leur production.
Les critères d’appréciation ont en outre évolué: au prix du foncier/bâti et à la localisation du site se greffent des attentes en termes d’écosystème, de tissu d’innovation, de collaboration inter-entreprises, de labellisation environnementale… Ce qui réduit le champ éligible mais place les ports au premier rang de par leur historique en tant que ZIP, à condition d’être en mesure de présenter une offre plug and play.
Pour Dunkerque Logistique internationale, le port nordiste va jusqu’à proposer l’alimentation en énergie. Ainsi, un poste source, cofinancé par les collectivités et le port et réalisé par Enedis, est en mesure de sécuriser 50 % de l’énergie des futures implantations. C’est stratégique pour le territoire car la mobilité électrique figure parmi les filières-cibles visées par la région. Un atout pour être une terre à gigafactories.
Les flux logistiques visés concernent plus spécifiquement deux filières: la grande distribution, la région comptant de nombreux sièges d’entreprises du secteur et leurs entrepôts (effet Auchan), et les produits sous température dirigée, qui représentent à Dunkerque 1 Mt par an, roulier et reefers confondus.
Le 9e port du range Nord a concrétisé une quinzaine d’implantations industrielles au cours des cinq dernières années.
Conforme aux normes
Plus audacieux, le Parc logistique du pont de Normandie 3 (PLPN3) a été choisi par AG Real Estate France, qui a pris le risque financier d’y lancer un bâtiment sans location ou vente préalable aux utilisateurs.
Il s’agit sans doute de la plus grande plateforme logistique construite en blanc en France (92 000 m2, plus de 1 million de m3 de capacité de stockage). Les développements en immobilier logistique ont ceci d’intéressant qu’ils offrent des opérations réellement clé en main et intégrant les dernières normes environnementales.
Inaugurée il y a un an au Havre, la plateforme a été immédiatement préemptée et pour neuf ans ferme par JJA, propriétaire de quatre marques spécialisées dans l’équipement de la maison et de trois entrepôts de grande dimension (350 000 m2 de stockage). Avec 50 000 EVP projetés d’ici 2025 contre 20 000 aujourd’hui, JJA, dont les flux passent jusqu’à présent par Anvers, devrait devenir un des plus gros contributeurs au trafic du Havre, tête de pont de l’axe Seine.
Haropa a initié une autre démarche de façon à adresser une proposition de valeur « qualifiante » à ses prospects. En sollicitant les services de l’école d’ingénieurs ISEL, Institut supérieur d’études logistiques, les services portuaires parviennent à modéliser de façon précise un certain nombre de données concernant un prospect ou un client, agrégeant les flux, l’implantation des entrepôts, des sites de production, des ports de chargement et déchargement d’un prospect… Avec cette cartographie précise de sa logistique, les services commerciaux du premier port français à conteneurs sont en mesure de présenter à leurs clients ou prospects différents scénarios sur leurs flux au départ d’un port défini, leurs implantations dans telle ou telle zone jusqu’aux effets induits s’ils optent en pré– et post-acheminement pour le rail. En incitant son prospect à une réflexion de bout en bout, Haropa met un pied chez un futur client.
Industrialisation et décarbonation
En Provence, territoire du premier port français tous trafics confondus, la barre des 83 projets d’investissements aboutis a été franchie en 2021, dont une douzaine en lien avec le maritime et la logistique.
Spécialiste de la logistique portuaire, Xp Log a investi dans une plateforme logistique de 24 000 m2, construite sur les 120 000 m2 aménagés par Virtuo Proprety, en proximité des terminaux à conteneurs de Fos-sur-Mer.
Pour cette filiale du groupe Sealogis, il s’agit du deuxième entrepôt logistique en France. En se positionnant dans le sud, « nous accompagnons la croissance de nos clients vers l’Italie, l’Espagne et également vers le bassin rhodanien », indique Olivier Jean-Baptiste, directeur général de Xp Log.
Eranova a choisi Port-Saint-Louis-du-Rhône, non loin de Fos, pour implanter un démonstrateur industriel de transformation d’algues vertes en biomatériaux. Une première étape avant un investissement programmé de 63 M€ dans la construction d’une usine sur le territoire. « L’entreprise vise l’exportation sur le pourtour du bassin méditerranéen », a expliqué Philippe Lavoisier, président fondateur d’Eranova, en février lors de l’inauguration du démonstrateur. La production de près de 400 t/an de biomatériaux est envisagée dans un premier temps, puis « nous en sortirons près de 30 000 t avec l’usine en projet ».
Ces derniers développements confortent le port phocéen dans ses investissements pour s’inscrire en tant que hub producteur d’énergies décarbonées. Plus de 2,2 Md€ ont été engagés autour de ses bassins ouest par EDF, TotalEnergies, Engie… Le projet Masshylia, visant la production d’hydrogène vert, et Jupiter 1000, démonstrateur industriel du Power-to-Gas piloté par GRT Gaz, sont épinglés tels des blasons dans toutes les plaquettes de communication du territoire. CMA CGM vient de rejoindre les neuf partenaires de Jupiter 2000, dont la première pierre avait été posée fin 2018 au sein de la plateforme d’écologie industrielle Piicto (Plateforme industrielle et d’innovation Caban Tonkin) sur la ZIP de Marseille.
Capter les investissements
Le démonstrateur, qui dispose de deux électrolyseurs (construits par McPhy Energy) et de réacteurs de méthanisation (fournis par Khimod et le CEA), a produit ses premières molécules d’hydrogène à l’été 2019 à partir d’énergie renouvelable issue des éoliennes de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Étape importante pour le démonstrateur, un des électrolyseurs avait injecté pour la première fois de l’hydrogène dans le réseau de transport de gaz de GRT Gaz en février 2020. Un second électrolyseur a ensuite été mis en service en novembre 2021.
Pour accélérer sa réindustrialisation, le Grand port maritime de Marseille a contracté avec l’agence de promotion du territoire Provence Promotion un accord de prospection totalement intégré. Il concerne trois zones prioritaires de démarchage, la Chine, l’Inde et le Golfe. Mais au-delà, l’agence accompagne le travail par filières qu’a initié le GPMM en identifiant les entreprises qui « émettent des signaux faibles d’investissements ».
C’est dans ce cadre, et en s’appuyant sur un partenaire académique aux États-Unis, que 250 entreprises cibles ont été décelées. À suivre.
Avec la guerre en Ukraine, qui a bouleversé l’approvisionnement en gaz, pétrole et consorts, la disponibilité des énergies qui se raréfient et surtout la stabilité de leurs prix vont devenir des critères prioritaires dans les futures décisions d’implantation. Cela peut redistribuer les cartes sur le champ de bataille de la réindustrialisation. Pour cette fois, les ports français ne sont pas les plus mal lotis en Europe. Ils ont en magasin l’outillage suffisant pour soutenir la concurrence avec leurs grands voisins européens.