Dans le monde de la fabrication et de la location des conteneurs, les rapports de force sont vite établis. Trois entreprises chinoises, CIMC, SUFL et CXIC, assurent plus de 90 % de la production mondiale de conteneurs dry et la quasi-totalité des reefers. Trois autres dominent le marché de la location: Textainer, Triton et CAI. Au cœur de ce marché oligopolistique, un parallélépipède en métal, de la plus simple facture, est devenu en quelques mois une denrée rare et précieuse. Mais qui stocke actuellement sur l’eau ou transporte du vide. Loin de ses fonctions naturelles qui consistent à acheminer la marchandise de porte à porte avec rapidité, productivité et intermodalité.
Un seul exemple témoigne de cette incongruité. La valeur douanière totale des importations conteneurisées du port de Los Angeles (4,82 MEVP) s’est élevée à 211,9 Md$ en 2020, soit une moyenne de 43 899 $/EVP. Il y aurait donc actuellement à flot, dans la baie de San Pedro constellée de navires en attente, l’équivalent de 26,2 Md$.
Dans ce contexte, la location et la fabrication de conteneurs sont deux activités qui tournent à plein régime depuis le quatrième trimestre 2020. « Nous avons réagi rapidement à la forte reprise du conteneur en investissant massivement [890 M$, NDLR] dans de nouveaux conteneurs dès le second semestre 2020. La quasi-totalité de notre parc est louée », indiquait Olivier Ghesquiere, le PDG de Textainer, à l’occasion de la présentation de ses résultats annuels de 2020. Le taux d’utilisation moyen de son parc de conteneurs s’élevait alors déjà à 99,5 %. Le bailleur de boîtes a ensuite déboursé 925 M$ supplémentaires pour d’autres unités qui lui ont été livrées durant l’année.
Triton a de son côté engagé 1,7 Md$ dans de nouveaux équipements qu’il devait aussi réceptionner en 2021. Lors de l’annonce, Brian Sondey, le PDG de la société, avait indiqué qu’il « fallait désormais compter 3 500 $ pour un conteneur neuf de 20 pieds ». Il en coûtait 1 800 $ début 2020
Production au cordeau
À l’instar des compagnies, qui ont géré habilement la capacité des navires pour soutenir les taux de fret, les équipementiers chinois ont aussi appris à maîtriser la capacité de production pour maintenir à la hausse les prix des boîtes neuves auprès des compagnies maritimes et des sociétés de leasing. La conjoncture s’y prêtait. Prises par surprise par un boom inédit de la consommation, les compagnies se sont trouvées en défaut d’équipements tout en étant confrontées à une problématique de repositionnement des vides, les boîtes se trouvant séquestrées sur les quais du fait des arriérés accumulés pendant la pandémie et de la congestion qui s’est ensuite exacerbée.
« Il n’est pas dans l’intérêt du petit nombre d’usines chinoises contrôlant le marché mondial de produire en grandes séries et à cadence forcée. Elles gèrent de façon à maintenir les prix à un niveau élevé et à maximiser leurs revenus », indiquait en début d’année 2021 Timothy Page, le directeur financier de CAI International. « C’est une nouvelle dynamique dans notre industrie. Et je pense qu’elle va se maintenir. » Le dirigeant avait en tête l’année 2020 où les fabricants chinois avaient joué le volume plus que le prix.
Au cours des neuf premiers mois, les fabricants de conteneurs ont construit l’équivalent de 4,95 MEVP, soit 208 % de plus qu’en 2020, selon le consultant néerlandais Dynamar. China International Marine Containers (CIMC) s’arroge une grande part des quelque 5 millions de conteneurs fabriqués depuis le début de l’année avec 2,14 MEVP, devant ses deux autres compatriotes, Shanghai Universal Logistics Equipment (SULE, 1,25 MEVP) et CXIC (760 000 EVP).
Dans le reefer – 338 000 EVP fabriqués depuis le début de l’année, en hausse de 65 % sur une base annuelle –, il n’y a que quatre opérateurs, parmi lesquels CIMC (132 000 EVP) et un autre chinois, Singamas (126 000 EVP). CIMC s’est en outre positionné pour acquérir MCI, filiale de Maersk spécialisée depuis 1991 dans la fabrication de conteneurs et, depuis deux ans, plus spécifiquement réorientée vers la boîte frigorifique. Avec cette opération, l’asiatique devrait encore renforcer son assise avec une part de marché de plus de 50 %. La concentration en Chine de la fabrication de ces actifs devenus stratégiques, de surcroît par trois entreprises contrôlées par l’État chinois, ne questionne paradoxalement pas à un moment où la réindustrialisation et la relocalisation monopolisent les débats sur « le monde de demain ».
Migration de la fabrication
La fabrication de conteneurs a en fait migré de la Corée du Sud vers la Chine dans les années 1990, explique Drewry. Depuis lors, la Chine n’a cessé d’accroître sa part de marché si bien qu’elle l’a dominé ces quinze dernières années. Le classement du britannique diffère toutefois de celui du néerlandais Dynamar. Drewry octroie à CIMC une part de marché de 42 %, loin devant Dong Fang International Containers (DFIC) à 26 % et CXIC à 14 %.
Plus inquiétant, selon les professionnels, une grande partie des conteneurs fabriqués ces derniers mois ont été rapidement absorbés par la demande. Mais que fera le marché de toutes ces boîtes employées là où elles sont désespérément nécessaires aujourd’hui mais fatalement accessoires demain? « On ne se retrouvera pas avec un excès de conteneurs car le marché était en pénurie bien avant qu’on en soit là », rassure Olivier Ghesquiere.
Selon Alphaliner, les 100 premières compagnies mondiales de transport maritime par conteneurs exploitent actuellement un parc de 24,44 MEVP, à bord de plus de quelque 5 500 porte-conteneurs. Sur cet ensemble, 11,39 MEVP relèvent de la seule propriété des armateurs, Maersk en tête avec un parc de 2,36 MEVP et China United Lines à l’extrémité du classement avec 599 EVP.
Elles louent par ailleurs l’équivalent de 13,05 MEVP auprès des sociétés de leasing. MSC exploiterait la plus grande flotte de conteneurs loués avec plus de 2,83 MEVP et Dalian Trawind, la plus petite, avec 345 EVP… Les chargeurs, qu’ils soient Beneficial Cargo Owners (BCO, exportateur direct), transitaires ou NVOCC, peuvent aussi détenir des conteneurs. Mais leur nombre n’est apparemment pas estimé.