Les rapports de force se redessinent à la faveur des commandes

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L’embellie du secteur redonne de l’appétit aux compagnies pour les navires neufs. C’est même une tendance générale au sein des dix premiers transporteurs mondiaux de conteneurs pour se saisir d’une demande de transport qui s’affole. Au sein de leur cercle, les lignes sont mouvantes et les écarts se resserrent.

Dans un contexte de marché terne avec une demande de transport en fond de cale, la course à la capacité est une stratégie suicidaire. Dans une économie de pénurie de l’offre mais de demande solide, elle est une arme fatale pour capter des parts de marché. Et dans des conditions où la demande s’avère volatile, friable et mouvante avec des contraintes environnementales fortes? Les nouveaux navires peuvent rapidement devenir des « actifs échoués » (stranded assets). Pris en tenaille entre le changement d’aiguillage imposé par les exigences climatiques, qui ne se fera pas sans rupture technologique dans les moteurs et carburants, et une demande de transport qui s’emballe, les armateurs doivent gérer au cordeau leurs capacités pour ne pas compromettre les comptes d’exploitation. Or leur leadership s’exprime aussi dans leur flotte. La dynamique actuelle du marché redonne confiance aux compagnies qui, à de très rares exceptions (Maersk et ONE), ont toutes relancé la machine pour charpenter leur flotte. Elles gagent manifestement sur un effet durable de la demande de transport, pour l’heure plutôt artificiellement gonflée par les retards accumulés dans les ports du fait de la crise sanitaire et par une consommation dont le centre de gravité s’est déporté sur les biens de consommation faute de loisirs et de services.

Parmi les autres rapports de force en gestation des derniers mois, c’est indubitablement MSC qui crée l’événement. Le transporteur genevois et numéro 2 mondial de la ligne régulière est distancé par le leader mondial Maersk de 8 918 EVP. Mais l’italo-suisse a près de 1 MEVP en commandes répartis sur 60 navires quand le danois n’en a que 255 100.

MSC-Maersk, sans match

Les deux partenaires au sein de l’alliance 2M détiennent à égalité 16,9 % de parts de marché chacun. Et dire qu’ils se battent pour exercer le leadership sur les trafics Est-Ouest serait surfait. Maersk ne livre pas bataille, assumant même le fait de ne pas partager cet objectif, plus affairé à donner corps à sa stratégie d’intégration logistique en aval. Il réserve donc ses liquidités à son ancrage dans des activités logistiques et il l’a prouvé à plusieurs reprises l’an dernier.

MSC, qui a surpris le monde au cours des derniers jours de décembre par son offre de reprise sur les actifs portuaires africains du groupe Bolloré, a, depuis plus d’un an, une faim de loup qu’il ne parvient pas à apaiser et pour laquelle il aura décaissé plus de 2 Md$. En 2021, la compagnie de la famille Aponte, devenue en 2004 la deuxième au niveau mondial par la capacité conteneurisée, a été hyperactive sur le marché de l’affrètement, de la construction neuve et de l’achat de seconde main. C’est en juin qu’elle avait franchi le cap fatidique des 4 MEVP pour la première fois de son histoire.

Elle a été incontestablement le premier client mondial des chantiers navals avec un carnet de commandes qui représente 23,5 % de sa flotte en exploitation. L’entreprise, italienne par son actionnariat familial, a redoublé d’appétit au cours des derniers mois de l’année. Des sources industrielles sud-coréennes lui ont prêté une commande de 1 Md$ pour six navires de 15 000 EVP au GNL au constructeur HHI. Si l’accord était conclu, il témoignerait en outre d’un changement de posture, MSC ayant plutôt donné jusque là sa préférence aux chantiers chinois.

Les dernières opérations connues de l’année ont porté à 124 le nombre de porte-conteneurs de seconde main acquis par l’entreprise depuis fin 2020. Et à quel prix! En novembre, alors que deux porte-conteneurs de 5 000 EVP auraient été acquis au prix faramineux de plus de 200 M$, un record pour des navires de cette taille et de leur âge, le numéro 2 mondial du transport maritime de conteneurs était identifié comme l’acheteur mystère. Par ailleurs, pour se conformer aux réglementations, l’armement, dirigé depuis quelques mois par Søren Toft, ancien directeur d’exploitation de Maersk, a certes opté pour le « pari pragmatique » – le GNL – mais avec un risque mesuré, en concluant des contrats d’affrètement à long terme pour onze navires de 15 300 EVP avec Eastern Pacific Shipping et en motorisation « LNG ready ».

Dans cette impétuosité, MSC n’a de rival qu’Evergreen (près de 1,48 MEVP). La taïwanaise, septième dans le classement mondial d’Alphaliner, a 67 porte-conteneurs en cours de construction, qui étofferont sa flotte actuelle de 204 navires. Les quelque 600 000 EVP de capacité supplémentaire représentent plus de 40 % de sa flotte en exploitation, championne mondiale toutes catégories de ce point de vue. Elle est de surcroît une adepte de la grande taille avec au moins douze unités de 24 000 EVP, dont six confiées aux chantiers chinois Jiangnan Shipyard et Hudong Zhonghua et six autres au sud-coréen SHI. Certains ont déjà été livrés. L’Ever Ace, avec ses 23 992 EVP, est ainsi devenu le plus grand porte-conteneur au monde.

Cosco-CMA CGM, affaire soldée

CMA CGM (12,6 % de parts de marché mondial avec une capacité de 3,17 MEVP ) a repris en 2021 la troisième place du classement mondial que lui avait ravie Cosco, son partenaire de Ocean Alliance (11,6 % de PDM avec 2,93 MEVP). Un peu plus de 150 000 EVP les séparent, en incluant leurs commandes, respectivement 54 et 32 navires (491 657 et 585 272 EVP). À l’avantage très net du français.

Avec sa dernière commande de douze nouveaux porte-conteneurs de 13 000 EVP (au GNL), HMM va pour sa part approcher le cap du million d’EVP et ainsi rejoindre le cercle fermé des dits « super transporteurs », ces grands faiseurs dont la flotte offre une capacité supérieure au million d’EVP: Maersk, MSC, CMA CGM, Cosco, Hapag-Lloyd, ONE et Evergreen.

L’État coréen n’a jamais caché cet objectif pour son fleuron national après la faillite de Hanjin. Le huitième transporteur mondial, largement subventionné par la banque publique Korea Development Bank (KDB), son principal actionnaire et plus grand créancier, a alloué 1,57 Md$ à cette dernière commande qui va porter sa flotte à 87 unités. La compagnie sud-coréenne reste néanmoins loin derrière Evergreen. Mais HMM partage avec ses consœurs asiatiques – Cosco, Yang Ming, Wan Hai et Evergreen – le fait d’être sortie de cette année avec des résultats financiers radicalement transformés. Ses capacités positionnées sur les routes les plus lucratives et une part importante de ses ventes étant réalisées sur le marché spot où la moindre boîte coûte une fortune, la compagnie a profité à plein de la surexcitation actuelle du marché du conteneur. Sa santé éclatante est d’autant plus notable qu’elle sort d’une décennie grise.

Hapag-Lloyd: garder le droit de jouer

L’introduction, entre avril et septembre 2020, de sa série de porte-conteneurs de 24 000 EVP pour le compte de THE Alliance (Hapag-Lloyd, ONE, Yang Ming), qu’elle a rejoint cette année-là pour dix ans, est tombée à pic pour cueillir les fruits. Pourtant, cette agressivité commerciale aurait pu lui être fatale si la demande n’avait subitement décollé. Elle l’a au contraire assise dans un statut de grand opérateur Est-Ouest.

Le parcours de la plus petite des taïwanaises du top 10, mais la plus rentable, est intéressant. Elle se démène depuis des mois pour gagner des places et elle s’approche grandement de sa compatriote Yang Ming tout en distançant largement l’israélienne ZIM. Le transporteur attend 41 nouveaux navires (251 368 EVP supplémentaires), soit plus de 38,5 % de sa flotte en exploitation. Et elle a ouvert sa flotte aux néo-panamax (13 000 EVP) avec neuf unités en commande et quatre autres acquises auprès de l’armateur grec Marinakis.

Pour l’allemand Hapag-Lloyd, préserver son droit d’entrée dans la cour des grands reste plus que jamais d’actualité. Certains analystes en font une proie pour la consolidation. Avec 7 % de parts de marché, le numéro 5 mondial de l’activité régulière est largement distancé par les quatre premières compagnies. Il se trouve dans une position délicate avec une offre de capacité de 1,75 MEVP. En réaction, il a multiplié en un an les commandes (22 navires, près de 500 000 EVP, dont des 23 500 EVP). Sa stratégie est encore peu lisible, mais il semble privilégier les investissements dans les quais plutôt que dans les navires.

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