Once upon a time in… Los Angeles, où la situation d’engorgement ne semble pas vouloir s’arranger en dépit des différentes mesures annoncées pour y pallier, telles que l’ouverture en continu des deux ports jumeaux de la baie de San Pedro (à ce jour, TTI est le seul des 13 terminaux du complexe portuaire à offrir des opérations 24h/24) ou la taxe de séjour pour tout conteneur non évacué au delà d’une durée déterminée (plus de six jours s’ils sont destinés au transport ferroviaire ou neuf jours s’ils doivent être évacués par camions).
Entre octobre et novembre, la situation s’est même dégradée. Près de 90 navires attendaient toujours, mi-novembre, au large des côtes californiennes avec un temps d’attente moyen de 18 jours. À la mi-octobre, lorsque la Maison-Blanche s’est inquiétée d’un risque de « breakdown » dans les approvisionnements pour les fêtes de fin d’année, il y en avait « seulement » 58 à l’ancre et au mouillage. En revanche, le nombre de conteneurs qui tombent sous le coup de la Container Dwell Fee, une amende susceptible de faire rentrer des dizaines de millions de dollars par jour dans les caisses portuaires, s’est résorbé sous le seul effet de la menace coercitive. Le 12 novembre, il n’y avait plus que 40 700 boîtes jonchant les quais depuis plus de neuf jours dans les deux ports alors qu’ils étaient au nombre de 59 800 le 9 novembre. Globalement, au cours des deux premières semaines de novembre, Los Angeles et Long Beach ont réduit d’environ un tiers le nombre de conteneurs abandonnés sur les quais depuis plus de neuf jours. Avant le début de l’immense vague d’importations déferlant sur le continent américain, à la mi-2020, les conteneurs destinés à l’hinterland ne stationnaient pas sur les quais plus de quatre jours et les boîtes appelées à être chargées sur les trains pas plus de deux jours. Le 23 novembre, au vu des « progrès continus » observés dans les terminaux, la Container Dwell Fee était reportée pour la troisième fois.
17 Md$ pour les ports
C’est dans ce contexte que le président Biden a présenté un vaste plan d’investissement en faveur des infrastructures de transport. Baptisé Action Plan for America’s Ports and Waterway, il comprend notamment 17 Md$ pour les ports. Une somme proche de celle allouée aux aéroports (25 Md$) mais dérisoire au regard des 110 Md$ pour les routes et les ponts. Il est également prévu 5 Md$ pour des projets routiers et ferroviaires desservant les ports à l’appellation suggestive (Infrastructure for Rebuilding America et Consolidated Rail Infrastructure and Safety Improvements). Ce serait, de l’avis des commentateurs, la première fois qu’une enveloppe pour la logistique terrestre est prévue dans le cadre d’un programme de réhabilitation ferroviaire. L’initiative fait partie des quelque 1 200 Md$ d’investissements publics dégagés au titre du plan de relance, que le Congrès a fini par valider après de difficiles négociations.
« Nous transportons actuellement des volumes records de marchandises en utilisant des infrastructures construites par nos parents et, dans de nombreux cas, nos grands-parents », a justifié tout en se défaussant John Porcari, l’homme que Joe Biden a désigné pour remédier à la « problématique portuaire ».
Prêt pour l’action
À court terme, 240 M$ seront alloués à la modernisation des ports, aux autoroutes maritimes et aux réseaux de fret du pays. Le programme devrait être prêt pour l’action dans les 45 prochains jours, selon un communiqué de presse publié par la Maison Blanche. Dans les 60 jours, l’administration de Joe Biden identifiera les projets de construction et/ou de modernisation des infrastructures portuaires obsolètes (mobilisation de 4 Md$) puis, avant trois mois, les ports clefs seront classés en fonction de leur caractère prioritaire.
« Ces investissements créeront des emplois bien rémunérés et aideront l’Amérique à être plus compétitive que la Chine », soutient le dossier de presse de l’administration américaine. Selon Dynamar, le continent nord-américain compte une douzaine de ports de plus d’1 MEVP, totalisant 46,9 MEVP. Seuls quatre d’entre eux figurent parmi les 50 premiers mondiaux, le premier étant Los Angeles et il n’émerge qu’au 18e rang. Aucun ne figure dans le top 10, les ports chinois s’arrogeant le haut du classement mondial depuis des années.
Records de trafics
Les deux portes d’entrée américaines, par où arrivent 40 % des importations conteneurisées du pays, auront réussi un exploit en cette année atypique: enregistrer des records absolus de trafics en dépit d’une congestion sans équivalent dans le monde. Long Beach vient de connaître pour la seconde fois le mois d’octobre le plus chargé de son histoire avec 789 716 EVP. Bien qu’à des niveaux exceptionnellement élevés, le trafic est en retrait de 2,1 % par rapport à octobre 2020 (il avait manutentionné 806 603 EVP), en raison de la « capacité limitée des terminaux maritimes », déplore Mario Cordero, le directeur général de Long Beach.
Les importations ont diminué de 4,3 %, à 385 000 EVP en octobre sur une base annuelle, tandis que les exportations ont augmenté de 6,6 %, à 122 214 EVP. Les conteneurs vides refluent (– 2,4 %) pour atteindre 282 502 EVP.
De janvier à octobre, le deuxième port à conteneurs le plus actif du pays a enregistré un volume de 7,88 MEVP, en croissance de 21 % par rapport à la même période en 2020. Il est bien parti pour franchir les 9 MEVP d’ici la fin de l’année, explosant les 8,1 MEVP consacrés en 2020.
Los Angeles, un blast
Son frère jumeau de la baie de San Pedro est lui en passe de passer le cap des 10 MEVP, seuil qu’il avait du reste franchi en juin sur 12 mois (10,8 MEVP contre 9,2 MEVP pour le précédent exercice). Depuis le début de l’année, Los Angeles a totalisé 8,2 MEVP (+ 28 %) et a connu en septembre le mois le plus chargé de ses 114 ans d’histoire avec 903 865 EVP.
Les importations de conteneurs pleins ont atteint 468 059 EVP en septembre alors que les exportations ont chuté de 42 % à 75 714 EVP par rapport à la même période de l’année précédente. Los Angeles n’avait pas connu pareille situation à l’export depuis 2002. Un phénomène que les chargeurs américains attribuent à la pénurie de conteneurs consécutive au fait que les transporteurs réserveraient leurs capacités au sens Asie-Amérique du Nord, nettement plus lucratif. Un conteneur à l’import rapportant actuellement au transporteur jusqu’à 30 fois plus qu’à l’export, il cherche en toute logique à maximiser le repositionnement des vides en Asie. Au détriment des boîtes pleines à exporter.
Les conteneurs vides ont en effet bondi de 28 % par rapport à l’année dernière, à 360 092 EVP. Los Angeles a ainsi véhiculé une valeur marchande de 259 Md$, reflétant la forte consommation de biens manufacturés par les Américains.
Ralentissement de la demande
S’appuyant sur les données de la consommation américaine publiées par le US Bureau of Economic Analysis (BEA) en septembre, Sea-Intelligence estime que la consommation américaine est revenue à son niveau pré-pandémique en septembre mais tout en restant supérieure à celle des services.
Mais tous les experts en conviennent désormais: la baisse de la demande n’aidera pas, à court ou moyen terme, à réparer la chaîne d’approvisionnement qui s’est brisée en touchant ses limites, incapable d’absorber les à-coups de la demande.