En 2019, les ports de la côte ouest-américaine ont traité 15,6 MEV. Deux facteurs devaient en théorie limiter la croissance de cette façade. D’une part, le canal de Panama a rendu plus accessible la côte Est à des navires de 13 000 EVP. Par ailleurs, en engageant son pays dans une guerre commerciale, notamment avec la Chine, l’Amérique de Donald Trump a entraîné une compression (relative) des flux transpacifiques.
Le monde a changé dès les premiers mois de 2020 avec un effet inattendu. Avec les aides gouvernementales (chèque Biden de 1 500 $) mais l’impossibilité de s’offrir des services (loisirs et voyages), les Américains se retrouvent en sortie d’épidémie avec des capacités de consommation mécaniquement gonflées. La frénésie d’achat de biens manufacturés se traduit inéluctablement par une progression très forte de la conteneurisation entre les deux rives du Pacifique.
Si on applique ne serait-ce que 20 % de croissance en 2021 à la performance transpacifique de l’année 2020, on atteint un volume de 18 MEVP, soit 3 MEVP supplémentaires à décharger dans les ports américains. Cela représente 10 000 conteneurs de plus par jour. Or, à grands traits, le système portuaire et intermodal américain est taillé pour traiter 16 MEVP par an au travers de ce véritable tapis roulant qu’est la route maritime reliant l’Asie au continent nord-américain. Une cinquantaine de porte-conteneurs traverse ainsi le Pacifique en quinze jours. En moins d’un mois donc, les marchandises transitent de l’usine chinoise au point de vente américain via la mer puis la route ou le rail. Ce timing rapide permet de couvrir sans soucis tous les rendez-vous commerciaux qui jalonnent la vie américaine.
Jumboïsation
Tandis que les économies d’échelle ont fait jumboïser au maximum les navires entre Asie et Europe et ont justifié l’aménagement de terminaux de plus en plus grands sur le vieux-continent, l’Amérique est restée statique. Des unités de 10 000 EVP sont considérées comme suffisantes pour assurer la noria des allers-retours transpacifiques, et ce d’autant plus que les terminaux de la côte Ouest sont petits.
Dans les ports, et on le voit très bien à Los Angeles et Long Beach, les terminaux sont éparpillés. Généralement, les armateurs ne disposent que de deux à trois postes à quai et de peu de surface de stockage car, dans le système américain, le terminal n’a pas vocation à être une zone tampon. Les conteneurs sont vite dégagés en utilisant des châssis appartenant aux terminaux ou aux compagnies locales pour exécuter de très courtes destinations. Selon ce schéma, soit le conteneur rejoint directement un entrepôt afin d’y être dépoté pour la consommation locale, soit il est chargé sur un plus efficient camion de 53 pieds (16 m) et acheminé vers les grandes gares ferroviaires, sortes de landbridge vers les plateformes logistiques du centre-est américain.
Alors comment ce système portuaire, logistique et ferroviaire peut-il assumer d’un coup 20 % de croissance tout en assurant une gestion cadencée des vides dans l’autre sens? Et bien il ne peut tout simplement pas. Il manque des châssis, des trains, des personnels (pour des raisons sans doute plus syndicales). Ce n’est donc pas le transport maritime qui faillit, quand bien même les navires et les conteneurs manquent, c’est le système portuaire et logistique américain qui est dépassé.
L’année 2021 n’est pas un modèle de normalité. Mais elle a mis cruellement en relief les décennies de sous-investissement chronique dans le système portuaire de la côte ouest-américaine. L’automatisation testée à Los Angeles et Long Beach a certes un intérêt, mais elle se fait sur de petits terminaux et ne change pas fondamentalement la productivité spatiale. À l’administration Biden d’y allouer une partie de son grand plan national richement doté.