Comment le port de Dunkerque a-t-il traversé 2021?
Maurice Georges: En nette reprise par rapport à l’année dernière, en particulier sur les segments fortement affectés en 2020. Les vracs solides ont bien récupéré. En revanche, pour les vracs liquides, l’année est sensiblement similaire à l’an dernier et bien en retrait par rapport à 2019 qui avait été exceptionnelle.
Pour ce qui est du transmanche, le trafic est toujours déprimé mais nous notons un réel développement du transport maritime à courte distance, notamment avec la république d’Irlande et la Grande-Bretagne. La ligne vers l’Irlande est un vrai succès. Nous avons vu passer en novembre le 40 000e camion et, en cela, nous sommes en avance sur les hypothèses.
Sur le conteneur, il n’y avait pas eu de baisse en 2020. La croissance est forte, de 30 % aussi bien en volume qu’en EVP avec des boîtes pleines, et de 40 % par rapport à 2019. Fin décembre, le terminal des Flandres [filiale de Terminal Link, détenue à 91 % par CMA-CGM et à 9 % par le port, NDLR] devrait avoir atteint les 700 000 EVP [463 000 EVP en 2020]. Nous sommes en avance sur nos prévisions.
Concernant vos investissements programmés, quels sont les dossiers sur lesquels vous avez particulièrement avancé cette année?
M.G.: D’abord, pour accompagner la croissance du conteneur, nous avons décidé avec les opérateurs du terminal des Flandres une extension rapide du site de façon à augmenter la capacité de terre-pleins sur 14 ha dont 8 auront été livrés cette année. Ces dernières années, nous avions allongé les quais mais nous avions besoin d’aller au-delà. D’ici fin 2022, le terminal disposera d’une capacité de 1,5 MEVP
Quelles sont les priorités de votre projet stratégique?
M.G.: Il se traduit par des co-investissements pour l’accueil des industries. L’implantation dans la zone industrialo-portuaire sur la commune de Gravelines de SNF, acteur mondial de la chimie de l’eau [ses produits contribuent soit à traiter et recycler l’eau, soit à économiser l’énergie et réduire l’empreinte carbone], dont le chantier a démarré le 9 juin, s’inscrit dans cette dynamique de mobilisation collective tout au long de la phase d’études et de sélection des sites. Cet investissement de 160 M€ devrait permettre de créer 160 emplois directs à partir de 2023. Il générera des flux à l’export pour le port.
De la même façon, la démarche collective a payé pour que les zones Grandes Industries et Dunkerque Logistique International Sud soient labellisées « sites industriels clefs en main » [terrains pour lesquels l’État garantit un délai de trois mois pour l’obtention du permis de construire et de neuf mois pour les autorisations environnementales, NDLR].
Du fait de votre positionnement géographique, votre zone de chalandise est préemptée par votre grand voisin belge. Vous êtes un peu coincés au sud-ouest par Le Havre Quelle place doit occuper Dunkerque sur le range nord?
M.G.: On ne sent pas particulièrement coincés quand on a un tel niveau de croissance, du trafic pour l’hinterland qui se développe, une ligne Asie-Europe qui se porte très bien et à pleine charge et quand, en plus, on est capables d’offrir à nos clients de la capacité par le biais de nos zones logistiques qui permettent de fidéliser du trafic. La FAL1 de CMA CGM fonctionne bien grâce aux investissements physiques réalisés dans l’hinterland et par la promotion avec Norlink [fédération régionale des acteurs de la chaîne logistique, NDLR] pour offrir des services multimodaux enrichis, notamment ferroviaires, jusqu’à l’Europe du Nord. En témoigne notre part de transbordement qui a dépassé les 35 %. Nos taux de croissance nous suggèrent que le terminal de Flandres présente un risque de saturation avancée.
Vous allez alors pouvoir sortir des cartons des projets qui visaient il y a quelques années déjà à accompagner le développement conteneur et à augmenter vos capacités d’accueil maritimes?
M.G.: Nous avions porté en effet au débat public en 2017 le projet CAP 2020, qui prévoit une extension des quais vers le sud du terminal à conteneurs. Parmi les éléments conditionnant son déclenchement, il y avait, en dehors du montage financier, le critère de croissance. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies. Nous espérons bien pouvoir donner les premiers coups de pioche d’une première phase de 1 000 m d’ici 2022-2023.
Le Brexit tient toutes ses promesses vous concernant. L’Irlande devient une pièce essentielle. Il semble que vous affichez le plus grand nombre de rotations de services rouliers vers cette destination. Pas d’effet éphémère sur l’Irlande?
M.G.: L’offre est saturée par la demande. DFDS porte de grandes ambitions au départ de Dunkerque. Il y a une très forte demande en Europe pour des ro-pax. Donc les opérateurs étudient finement le meilleur endroit pour positionner leurs navires. Pour autant, le marché n’est pas ouvert à tous. C’est une traversée longue qui n’a d’intérêt que si vous pouvez l’offrir dans des conditions optimales, et a fortiori pour les chauffeurs routiers. Il faut aussi des navires avec de bonnes capacités nautiques car ce sont des mers agitées avec des escales de 24 heures. La ligne irlandaise est souvent présentée comme une opportunité liée au Brexit, mais il faut apprécier cette route comme un déclencheur pour une demande de short sea.
Après avoir bien développé le fluvial, vous vous attelez au ferroviaire. Pour quels projets?
M.G.: On a historiquement un solide réseau ferroviaire. Sur la partie ouest, il y a des faisceaux, utilisés autrefois pour le vrac solide vers la Lorraine. L’idée est de préserver cet atout en allant au-delà afin d’avoir une bonne connexion ferrée sur l’ensemble de nos zones en développement. Nous allons privilégier des infrastructures réalisables dans un délai de deux ans. En matière multimodale, les entreprises ne sont intéressées que si l’offre est de qualité et rapidement disponible.
Le GNL suscite des débats et n’est pas considéré comme une énergie d’avenir. Comment appréhendez-vous ce marché?
M.G.: Le marché du gaz est ce qu’il est. Et actuellement, il y a une très forte demande en Europe et ailleurs. Le GNL restera une énergie de transition mais pendant de nombreuses années.
Pour nous, il est intéressant de coupler cette opportunité avec les développements de CMA CGM. C’est pour cette raison que nous avons entrepris une démarche de terminal « LNG ready ».
Nous pensons à des solutions pour inciter les compagnies à souter à Dunkerque.
Qu’avez-vous à gagner avec le Canal Seine Europe?
M.G.: C’est complètement cohérent avec la stratégie multimodale du port. Notre ambition est d’utiliser cet outil pour récupérer, sur notre axe, des trafics alimentés par les ports du range nord. En amont et en aval du canal vont se développer des plateformes logistiques qui vont fixer des trafics et des flux ferroviaires. Nous ne considérons pas le canal comme un simple tuyau mais comme un vecteur d’investissements logistiques dans le nord de la France. Notre intérêt est donc d’y être bien branchés.
Un aiguilleur du ciel qui atterrit sur les quais, ce n’est pas banal.
M.G.: Il y a pourtant des points communs entre les écosystèmes aérien, maritime et portuaire: la culture du client transport, l’exigence de la navigation, les notions de performance, de qualité et de sécurité. J’y retrouve des domaines qui étaient les miens dans le transport aérien et je découvre même de nouvelles choses, passionnantes, qui relèvent du développement industriel et de l’intégration multimodale dans les ports.
*projet financé par l’État (7 M€), le Grand Port maritime de Dunkerque (3 M€), la Région (2 M€) et la communauté urbaine de Dunkerque (2 M€).