La congestion portuaire a été le grand corps malade mondial de 2021. Mais les ports français ne sont pas vraiment concernés par le phénomène. Faut-il s’en réjouir ou le déplorer?
J-P.C.: Nous avons connu jusqu’alors un système extrêmement huilé pour l’activité régulière avec des escales rythmées, paramétrées selon des heures d’arrivée déterminées, avec une fréquence bien identifiée de tous. Nous passons à un autre mode de fonctionnement qui requiert une réactivité et une adaptation bien plus forte qu’auparavant.
On peut à la fois le déplorer – car qui dit congestion dit volumes –, mais paradoxalement, tous nos ports ont été réactifs et prompts à récupérer des escales qui n’étaient pas prévues. Et les trois portes d’entrée françaises – Le Havre, Marseille et Dunkerque – ont bien tiré leur épingle du jeu.
Parce qu’elles ont été flexibles et réactives?
J-P.C.: Tout à fait et, avec elles, l’ensemble de leurs places portuaires, les opérateurs de terminaux, les pilotes et remorqueurs, etc. Les trafics de 2021, supérieurs à ceux de 2019, font foi. Je pense que cette réactivité n’a pas échappé non plus aux clients. Pour le reste, la destinée des escales ne dépend pas des stratégies portuaires, aucun port n’est propriétaire de ses trafics. Je ne suis pas non plus convaincu que la congestion se résume à la seule question du volume.
La stratégie portuaire nationale a été présentée en janvier 2021 après un long parcours. Est-ce que cette feuille de route, qui fait surtout la part belle à l’axe Seine, est toujours à la hauteur de leurs enjeux?
J-P.C.: On dispose d’une feuille de route qui, pour la première fois, a été bâtie avec les régions. Elle peut donner le sentiment d’un tropisme sur les trois portes d’entrée du pays, mais on a d’une part besoin de locomotives et, d’autre part, elle est en phase avec une vision portuaire articulée autour de grands axes maritimes. Elle nous permet d’avancer sur des objectifs et des enjeux, nombreux, notamment sur les questions de biodiversité et de transition énergétique. C’est capital parce que très souvent, dans le modèle économique de nos ports, les volumes énergétiques pèsent en termes de chiffre d’affaires.
La création de zones économiques spéciales est à l’étude. Quels sont les points d’intérêt de l’UPF à cet égard?
J-P.C.: Pour proposer à la commercialisation un certain nombre de nos zones, industrielles ou logistiques, il nous faut des opérations qui soient livrables rapidement, avec des procédures d’autorisation accélérées et à la fiscalité allégée pour des activités autour de la transition énergétique par exemple. La loi Climat et résilience, publiée en août, y répond en partie.
L’initiative « Choose France » a établi le concept de « sites clefs en main » [terrains pour lesquels l’État garantit des délais écourtés pour les autorisations, NDLR] et permet ainsi de tranquilliser l’industriel sur la maîtrise de son calendrier. Mais en matière d’attractivité, le port ne sera jamais qu’un site parmi tant d’autres en France et en Europe.
En condamnant les centrales à charbon, la loi Énergie Climat a sanctionné certains trafics portuaires qui n’ont pas encore trouvé de relais de croissance. Le concept de ports en tant que hub d’énergies vertes est séduisant mais encore à l’état de projection.
J-P.C.: Je ne suis pas d’accord. Tout dépend de ce que l’on entend par relais de croissance. De quoi parle-t-on? Si deux millions de tonnes de charbon ont disparu des ports d’importation sans avoir été compensées, je vous l’accorde. Mais ce n’est pas le cas. Ces deux dernières années, le conteneur par exemple est en forte croissance. Dans les ports de l’Atlantique, les activités générées par les éoliennes ont créé et du trafic et de la valeur ajoutée.
L’activité portuaire ne doit pas être appréhendée que par le bout de ses seuls tonnages, car on n’est pas de garantie qu’ils progresseront éternellement. S’il ne doit plus y avoir de moteurs thermiques produits en Europe en 2030, il faut se préparer dès à présent au fait qu’il y aura moins d’énergies fossiles et donc moins de certains trafics.
Si la condamnation de certains trafics n’est pas un problème, la transition en est un.
J-P.C.: Un port gagne sa vie en louant des espaces et des mètres carrés et en touchant des droits de port marchandises et navires. Aujourd’hui, ceux en lien avec les énergies fossiles pèsent lourd en effet. La transition à gérer reste donc un problème et sa durée, une inconnue. Car elle dépend notamment de paramètres liés à l’environnement politique et réglementaire. En France, on rentre de surcroît dans un cycle électoral. Certaines décisions politiques ne sont pas neutres pour les ports.
Le paquet législatif Fit for 55, qui trace la feuille de route climatique de l’UE, ne l’est pas davantage. Quelles sont les propositions que l’UPF fait valoir dans les consultations en cours?
J-P.C.: Parce qu’il y a urgence climatique et une pression sociale importante, les ports ont conscience qu’ils doivent apporter des réponses à ces sujets. Pour les investissements dans l’alimentation électrique à quai par exemple [le déploiement des infrastructures de carburants de substitution dans les principaux ports est une des mesures du Fit for 55, NDLR], les schémas de financement peuvent paraître relativement accessibles puisque l’UE s’est engagée à un soutien massif. C’est bien plus compliqué.
C’est-à-dire?
J-P.C.: Qu’est ce qui va obliger un navire à se brancher à quai, a fortiori si le navire produit son énergie à bord à un certain prix? L’exploitant ne va pas forcément accepter de l’acheter plus cher. Or le dispositif d’alimentation électrique dépend de paramètres qui diffèrent d’une place portuaire à l’autre. L’investissement requis ne sera donc pas le même.
Avec l’Espo [association des ports européens, NDLR], nous sommes à peu près tous d’accord sur le fait que les ports doivent apporter leur contribution mais qu’il faut que, dans le même temps, les armateurs aient une obligation à se connecter aux installations aménagées. Aussi, dans le sillage des navires-mères, il y a toute une économie autour des lignes feeders, dont le modèle repose sur les escales. Sans homogénéité de traitement pour les ports d’une même ligne de feeders, il y a des risques d’exclusion en termes d’escales.
Des rapports sur la non-compétitivité des ports français sortent et ressortent chroniquement. Dans quel état d’esprit les recevez-vous à chaque fois?
J-P.C.: J’entends ce qui est dit sur les retards en termes de desserte de l’hinterland, de report modal, etc. Mais je regrette que l’on ne soit pas plus avisés sur les causes. Un port s’inscrit dans une chaîne globale. Si au plus fort de la crise, des ports exportateurs de céréales, comme La Rochelle et Rouen, ont performé, c’est bien parce que les pré– et post-acheminements sont de qualité remarquable. Quand vous n’avez plus de trains de voyageurs et uniquement du fret, je vous assure que les trains circulent bien mieux en effet!
Quels sont, selon vous, les éléments constitutifs de la compétitivité-coût portuaire?
J-P.C.: L’observatoire du coût du passage portuaire donnera à cet égard des réponses, à condition de partager les données. Or les seuls éléments de tarification connus aujourd’hui sont ceux des ports et ce ne sont pas forcément ceux qui sont les plus dimensionnant. Par ailleurs, si le service est à la hauteur, le prix n’est pas forcément le paramètre le plus discuté. Il y a bien d’autres critères de performance à intégrer, comme la qualification de la main d’œuvre, la fiabilité, la qualité des infrastructures, la manutention, les services, etc. Les ports n’ont pas à rougir de leur performance.
Finalement, pour vous, compétitif peut être et français et portuaire?
J-P.C.: Je ne comprends pas en effet cette tendance à l’auto-flagellation permanente en France. Les réponses ne sont pas simples du tout, mais je ne connais pas de sujets qui le soient de nos jours. La période est intellectuellement très stimulante. Les ports ne sont plus considérés comme des aménageurs-bétonneurs mais comme des gestionnaires d’espaces à la fois industrialo-portuaires et naturels. En cela, ils sont de véritables acteurs responsables de leur environnement. C’est autrement plus enthousiasmant.