Les fauteurs de troubles

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Seuls les mois à venir permettront de mesurer les effets prolongés sur l’économie mondiale de la grande désorganisation dans les chaînes d’approvisionnement qui a marqué l’année 2021. Si on manque de repères quant à la date de sortie du capharnaüm, les causes sont en revanche pleinement identifiées.

On ne compte plus le nombre de mentions dans la presse de l’expression « problèmes de la chaîne d’approvisionnement », souvent associés au « risque » et à la « menace » qu’ils font peser sur les « livraisons de Noël » à cette période stratégique de l’année pour le secteur de la grande et petite distributions. Selon un décompte de la Bank of America rapporté par Reuters, l’évocation du phénomène par les directeurs généraux des entreprises outre-Atlantique à l’occasion de la présentation de leurs résultats a augmenté de 412 % en un an.

Seuls les mois à venir permettront de mesurer les effets prolongés sur l’économie mondiale de ces tirages dans une mécanique d’approvisionnement bien huilée. Mais certains analystes évoquent déjà le « scénario toxique de stagflation » quand d’autres n’y voient que des obstacles sur le chemin de la reprise post-pandémique.

Début novembre, 2,36 MEVP (10 % de la flotte de conteneurs) et 181 635 500 tpl (20 % de la flotte de vraquiers) étaient stockés sur des navires au large des ports les plus congestionnées de la planète.

Dans une analyse qui a cherché à évaluer l’impact potentiel des perturbations du transport maritime de 2021 sur 2022, VesselsValue attribue manifestement les cahots (et chaos) de l’année à trois événements en particulier: Le premier, fondateur, ne fait pas débat: le Covid qui, en plus de générer des reports de consommation, en a modifié les usages. Le second est d’ordre structurel: la guerre commerciale entre la Chine et l’Australie. Le dernier, le blocage du Canal de Suez, a été de courte durée mais de très longue portée en termes de répercussions sur le chapelet portuaire.

Différends commerciaux

« L’embargo sur le charbon entre la Chine et l’Australie nous rappelle à quel point les marchés du transport maritime sont réactifs aux différends géopolitiques et à la demande de matières premières », justifie VesselsValue.

Il a en effet suffi que la diplomatie se froisse entre Canberra et Pékin, dès l’automne 2020, pour que cela chiffonne les matières premières. La brouille entre les deux pays, suite aux indélicatesses australiennes à propos de la toute-puissance de Huawei sur la 5G, et les mesures de rétorsion chinoise qui s’en sont suivies, ont fait de nombreuses victimes: les importations de boeuf, d’orge, de vin et de charbon, toutes sanctionnées par des droits de douane prohibitifs.

Si les tensions commerciales ne sont jamais bénéfiques pour le commerce mondial, elles ne stressent pas les PIB des pays de façon égale. Le charbon, mais aussi toutes sortes de minerais, restent les produits d’exportation les plus précieux de l’Australie. La Chine s’y achalande en grands volumes. La suite de l’histoire montrera pourtant que le segment du vrac sec en est ressorti plutôt gagnant dans la mesure où le repositionnement des flux maritimes a été favorable aux tonnes-milles, la Chine cherchant à s’approvisionner dans des endroits plus éloignés, comme l’Afrique du Sud.

Pour autant, au cours des six premiers mois de 2021, les capesize et néo-panamax ont effectué 17 % de voyages en moins sur la route entre Océanie et Asie et ont transporté 14 % de volumes en moins par rapport à la même période en 2020. Malgré cela, les navires n’ont jamais cessé d’affluer si bien que des centaines de vraquiers australiens ont constellé les côtes chinoises. Si certains ont fini par se dérouter vers le Japon, l’Inde et la Corée du Sud, d’autres ont « patienté ». Un terme bien léger pour désigner l’impassibilité du Topas (92 700 tpl) qui aura passé au total plus de huit mois au large de Jingtang…

Par une singulière pirouette dont l’Histoire a le secret, le nombre de vraquiers australiens en attente au large de la Chine a diminué d’environ 50 % récemment, selon les données de VesselsValue, non pas parce que les différends se sont aplanis mais parce le pays est confronté à des pannes d’électricité géantes provoquées par des pénuries de charbon, lequel assure toujours 60 % de sa production électrique. Contre toute attente, Pékin a ainsi libéré du charbon australien des stockages bloqués sous douane depuis près d’un an.

Grands chocs

Il aura fallu qu’un navire « géant », comme l’a désigné la presse généraliste, toujours très inspirée dans le choix de ses qualificatifs, se place en travers d’un canal de navigation essentiel au transit de marchandises entre Asie et Europe, pour faire une nouvelle démonstration de l’effet papillon et de son battement d’aile.

Le blocage pendant une semaine par l’Ever Given a eu des répercussions pendant une bonne partie du deuxième trimestre de 2021 aux deux extrémités de la chaîne, là où se concentre la production (la Chine) et se condense la consommation (Los Angeles et Long Beach).

L’engrenage par lequel le retard alimente le retard est désormais connu. La mécanique se répète depuis un an et demi.

Décélération

Un certain nombre d’indicateurs plaident néanmoins en faveur d’une atténuation des problèmes. À commencer par les taux de fret qui semblent s’assagir. Si les taux spot sont toujours historiquement élevés, ils commencent en effet à plafonner. L’indice composite World Container de Drewry a observé début novembre la plus forte baisse des prix spot au niveau mondial depuis plus de 12 mois. Même apaisement sur le front des vraquiers. Le Baltic Dry Index, qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, a diminué d’un tiers après avoir atteint en octobre le plus haut niveau depuis 2008. L’indice mondial des délais de livraison est un autre indicateur éclairant. Il s’est considérablement détérioré en octobre, tombé à 34,8 (inférieur à 50, il indique que les livraisons prennent plus de temps), soit le plus bas niveau jamais enregistré.

Les pénuries s’intensifiant, la demande se déplaçant vers les services, les stocks pourraient alors se reconstituer et inévitablement influer sur les goulets d’étranglement. C’est la théorie de Jefferies. Le ratio commandes/stocks dans la zone euro a déjà diminué. Certains fabricants se prépareraient même à ce que les pénuries… se transforment en surplus.

Ports mondiaux, rétrospective 2021

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