Maersk détourne ses navires du Royaume-Uni. CMA CGM évite Savannah… Depuis des mois, la congestion portuaire fait la loi dans les services et décide du sort des escales qui valsent pour ne pas compromettre les programmes. En vain. Les retards concernent deux porte-conteneurs sur trois selon les estimations de Sea-Intelligence.
À Felixstowe, premier port à conteneurs britannique avec 36 % des importations conteneurisées du Royaume-Uni, la compagnie danoise a réinitialisé en octobre ce qu’elle avait mis en œuvre cet été: oublier un temps ce terminal parmi les plus touchés au niveau mondial, décharger dans des ports européens et livrer les îles anglaises par feeders. « C’est mieux que d’avoir un navire qui attend au mouillage pendant quatre, cinq ou six jours pour obtenir une place à quai », a indiqué Lars Mikael Jensen, responsable du réseau commercial mondial de Maersk, dans un entretien au Financial Times.
Déjà saturé en temps normal, Felixstowe, opéré par Hutchison, est en outre impacté par une grave pénurie de chauffeurs routiers dans le pays si bien que Boris Johnson a dû accorder, dans l’urgence, 10 500 visas de travail provisoires à des chauffeurs étrangers pour y suppléer, jusqu’à décembre. Maersk y a également suspendu le retour des conteneurs vides tout comme Evergreen et CMA CGM. Le leader mondial de la ligne conteneurisée a également choisi de faire l’impasse sur les boîtes vides à London Gateway, tout comme Hapag-Lloyd.
Minimiser les retards en maximisant les escales
Cosco a tranché pour opérer une escale sur deux à Anvers dans le cadre de son service hebdomadaire, exploité par les plus grands de ses porte-conteneurs (de 18 980 à 21 230 EVP) et commercialisé sous le code NEU2 par Ocean Alliance. In fine, le service se réduit en Europe à trois escales – Le Pirée, Rotterdam et Hambourg –, pour filer ensuite directement… à Shanghai.
Le numéro quatre mondial de la ligne régulière a en outre radié Rotterdam de toutes les traversées pour huit des dix navires (13 100 à 14 000 EVP) opèrant sur son service AEU7 (alias NEU3 d’Ocean Alliance) pour ne garder que Hambourg, Zeebrugge et Felixstowe. En revanche, les deux seules unités qui maintiennent leur escale dans le port néerlandais seront des poids lourds de 19 et 21 000 EVP, les CSCL Pacific Ocean de China Shipping et le Cosco Nebula. Au total, ce service, en gestation depuis septembre, aura connu quatre mois de perturbations.
Maersk et MSC, partenaires de 2M, tentent aussi de minimiser les retards en maximisant les escales, par exemple en concentrant le fret de plusieurs services sur un seul. Ainsi les marchandises à destination d’Anvers ont été massifiées sur les services AE-6 /Lion et AE–55/Griffin.
Grands écarts
En se basant sur le transit-time de tous les navires opérant sur 17 boucles à destination de la Chine, Alphaliner a estimé à 18 jours le retard moyen à l’arrivée en Chine après une rotation entre l’Asie et l’Europe du Nord. C’est dire qu’il faudrait déployer au moins 44 extra-loaders de 14 000 à 24 000 EVP pour maintenir une fréquence de navigation hebdomadaire.
Dans ces circonstances, le mastodonte CMA CGM Louvre (23 112 EVP), qui a incroyablement honoré sa rotation en 12 à 13 semaines, fait figure exception car les retards font les grands écarts : 54 jours pour le HMM Hambourg, 36 jours pour le Moscow Maersk ou encore 23 jours pour le MOL Truth.
Le parcours du HMM Stockholm (23 792 EVP) est éloquent: il a effectué sa rotation avec 34 jours de plus que ce qui était prévu, portant la traversée à 118 jours dont 42 auront été nécessaires pour la seule rotation européenne entre Algesiras, Rotterdam, Hambourg, Anvers et Tanger Med.
Aucun trade n’est épargné. La route transatlantique souffre tout aussi clairement de la congestion. Seuls deux des neuf navires qui ont regagné le Benelux après leur boucle entre Europe du Nord et la côte Est des États-Unis ont opéré dans les délais prévus.
Les MSC Uberty, déployé dans une des boucles de 2M, a été l’un des deux navires d’un service d’alliance à revenir à temps à Anvers pour son prochain voyage. Cette ponctualité s’est faite au détriment des escales du Havre (vers l’ouest), de Newark (vers l’ouest), de Baltimore et de Charleston. En fait, le navire n’a déchargé et chargé aux États-Unis qu’à Norfolk, Savannah et Newark (vers l’est).
Aussi, l’état d’encombrement est biaisé dans la mesure où les porte-conteneurs, notamment les plus imposants en taille, ont réduit la vitesse pour ne pas avoir à attendre. Alphaliner soutient même que certains naviguent à huit nœuds. À cette vitesse, ils ont besoin d’une semaine pour relier Sines, au Portugal, à Anvers, en Belgique, quand il faut habituellement un peu plus de deux jours.
De l’influence sur les taux de fret
La congestion portuaire reste le facteur clef influençant la trajectoire des taux de fret, qui ont commencé à marquer le pas en octobre mais tout en étant encore plus de dix fois supérieurs aux niveaux d’avant la pandémie.
Certains analystes soutiennent que la demande pourrait se replier, du moins temporairement, le pic de la haute saison étant passé.
Le PDG de Maersk, Soren Skou, n’est pas vraiment de cet avis. Dans une conférence de presse, il indiquait que« la logistique à terre sur les marchés américains et britanniques, fortement importateurs, ne suit pas le flux de marchandises en provenance d’Asie. L’ensemble du système est devenu un gigantesque goulet d’étranglement », évoquant les centaines de ses navires servant d’entrepôts flottants. « Une trop grande partie de notre capacité est immobilisée à l’extérieur des ports. » Hapag-Lloyd ne s’attend pas non plus à une normalisation de la situation avant la fin du premier semestre 2022 au plus tôt alors que 5 à 10 % de sa capacité sont actuellement bloqués par l’engorgement des ports.
À quel niveau les tarifs de transport vont-ils se stabiliser? « Pas en deçà des niveaux d’avant Covid mais pas sensiblement plus élevés après 2023 », répond en gascon l’anglo-saxon Daniel Richards de MSI.
À partir de 2023-2024, quand les quelques centaines de navires récemment commandés (381 fin août) seront livrés, la même question se posera aussi… mais sans doute différemment.
« C’est la clef de l’évolution des taux de fret une fois que les facteurs spécifiques à la pandémie auront été éradiqués », estime le consultant. « Livrer plus de 2 MEVP par an, soit près de 10 % de la flotte, pendant plusieurs années consécutives, n’est pas sans conséquences. Mais ce sera un véritable test pour savoir si le secteur a vraiment laissé le monde d’avant derrière lui pour de bon. »
Adeline Descamps