Contrôler la supply chain, le nouvel enjeu

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Que la bataille se porte sur la maîtrise du fret ou sur celui de l’information, les compagnies maritimes semblent vouloir se réapproprier la connaissance de leurs clients et celle de leurs flux que seuls maîtrisent aujourd’hui les freight forwarders. Pour certaines, cette stratégie prend la forme d’une intégration de chaque maillon du transport. Pour la majorité, les outils numériques servent de cheval de Troie.

Sous l’effet en partie de la sophistication et de la maturité des outils numériques, l’environnement de la supply chain se transforme. Les frontières entre les différents métiers se brouillent. De nouveaux venus émergent, remettant en cause l’ordre établi. La pression concurrentielle s’intensifie. Les « digital freight forwarders », acteurs en chef de la désintermédiation avec leurs solutions automatisées faciles à utiliser, marchent sur les plates-bandes des transitaires. Les géants du e-commerce, devenus des pivots du commerce international, internalisent la logistique. Les trublions de l’e-commerce Amazon et Alibaba se sont aventurés dans le secteur.

Sans doute moins inquiétantes pour les commissionnaires de transport et transitaires, les compagnies maritimes empiètent aussi sur leur pré carré dans le but d’offrir un transport complètement intégré, de porte-à-porte, incluant donc la logistique terreste voire plus. Ces initiatives prennent plusieurs formes, jusqu’au-boutiste comme celle de CMA CGM, avec l’acquisition de Ceva Logistics, la création d’une division de fret aérien dotée d’une flotte de quatre A330-200F détenue en propre et qui depuis Liège dessert Chicago, New York, Atlanta, Dubaï et Istanbul. Le groupe CMA CGM a également mis un pied dans le rail. Et il est entré dans le ferroviaire par la grande porte avec l’acquisition de Continental Rail, l’un des principaux opérateurs espagnols privés dans le transport de marchandises. De surcroît bien positionné dans le transport intermodal de conteneurs entre les principaux ports espagnols.

Provocations suicidaires?

Mais cette pénétration dans le terrestre peut aussi prendre une expression moins radicale comme celle de Maersk avec l’intégration de Damco, jusqu’alors filialisée, dans le cadre de sa grande réorganisation interne démarrée il y a plusieurs années et des investissements dans des entreprises de la logistique de l’e-commerce.

Encore limitée, ces stratégies relativement nouvelles, qui pourraient s’apparenter à une provocation suicidaire – les commissionnaires sont aussi de grands clients des compagnies – n’est cependant pas de nature à bouleverser les équilibres en place. Mais elles témoignent de la volonté de certains acteurs de mieux contrôler la supply chain ou le portefeuille clients. La digitalisation des services s’avère à cet égard une pierre angulaire tout-en-un pour à la fois s’adresser directement aux clients, fournir une offre de bout en bout adaptée à leurs besoins, récupérer des flux de transport et d’informations confisqués par les logisticiens voire avoir la possibilité de mettre la main sur le marché des « petits chargeurs ».

L’accélération digitale dont ils ont fait preuve ces derniers temps ne trompe pas. Maersk a ainsi lancé sa nouvelle plateforme numérique Maersk Flow, dans le cadre d’une stratégie consistant à offrir plus de services à valeur ajoutée. Fin 2018, le danois avait ouvert le bal numérique en présentant une offre de réservation de conteneurs en ligne, « aussi facile que pour réserver un billet d’avion ».

Depuis, ZIM, Hapag-Lloyd, CMA CGM, Evergreen, MSC… ont développé leurs outils pour que les chargeurs puissent – en quelques clics et en moins d’une minute, 24h/24 et 7j/7 – gérer directement leur fret, de la réservation en ligne avec confirmation immédiate (valeur ajoutée du système) jusqu’au dédouanement pour certains. Chez CMA CGM par exemple, tous les canaux de vente y sont passés: devis instantanés, réservations (en une seule étape), connaissements électroniques, tracing et tracking des conteneurs, paiement en ligne des factures, estimation des coûts en temps réel, y compris simulation des surestaries.

Faim d’acquisitions

En retard de plusieurs trains sur les freight forwarders qui ont depuis longtemps investi le champ numérique, jamais à court de contradictions, les compagnies maritimes, parfois concurrentes, souvent partenaires, se sont organisées au sein de la Digital container shipping association (DCSA) avec pour objet de lever les verrous à la digitalisation du fret maritime via l’interopérabilité notamment.

Maersk, qui a fait de l’intégration logistique une de ses priorités stratégiques, pousse encore plus loin la logique. Le leader mondial a investi depuis le début de l’année, via des acquisitions ou participations au capital, dans trois entreprises de la logistique BtoC: l’américaine Visibly Supply chain (VSCM), la néerlandaise B2C et la start-up portugaise Huub. La première exploite neuf centres aux États-Unis, revendique le traitement de 200 000 commandes par jour et la livraison de 200 millions de colis par an. L’offre principale de B2C Europe concerne, elle, les services de livraison de colis pour les détaillants et les marques ainsi que pour les opérateurs logistiques. La dernière propose une gamme complète de solutions logistiques pour les détaillants de mode en ligne, du suivi de la production à l’expédition, comprenant donc la gestion des stocks, l’exécution des commandes, l’emballage, etc. Les algorithmes de la plateforme analysent également les ventes pour anticiper les réapprovisionnements et éviter les ruptures de stocks. « Cette acquisition nous permet d’enrichir notre offre omnicanale. Il sera ainsi beaucoup plus facile pour nos clients de se concentrer sur leur activité principale, à savoir la production et la vente de marchandises et non sur l’expédition », indique dans le communiqué de presse Vincent Clerc, vice-président exécutif et directeur général de Ocean &Logistics d’A.P. Moller – Maersk.

Stratégie payante

Durant le premier trimestre, la division Logistique et Services de AP Moller – Maersk a vu son chiffre d’affaires augmenter de 42 % pour atteindre 2,04 Md$. Au second trimestre, le segment a encore progressé, enregistrant 2,18 Md$ de recettes, en hausse de 38 % en un an (+ 270 M$). Les précédentes acquisitions de Performance Team, un spécialiste américain de l’entreposage et de la distribution (545 M$ en investissement pour Maersk) et de KGH Customs Services n’y sont pas étrangères.

Les « anciens » du marché ne sont pas en reste. Tout en investissant pour développer des solutions alternatives air-mer-terre, ils ont également procédé à des acquisitions dans le domaine de l’e-commerce. D’autant qu’à mesure que la demande en commerce électronique augmente, les effets se font sentir sur le transport intermodal.

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