Irish Ferries, le nouveau venu à Calais, est surtout présent sur les traversées entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, s’affichant en leader entre Dublin et Hollyhead et entre Rosslare et Pembroke. Son positionnement sur la traversée du détroit de la Manche vise ainsi à « renforcer les capacités et la fiabilité du pont terrestre pour les importateurs et les exportateurs irlandais » en leur proposant « un seul opérateur maritime pour un service intégré. » Mais ce landbridge à travers l’Angleterre et le pays de Galles, pont terrestre qui maximise le trajet routier entre l’Irlande et le continent en limitant les traversées maritimes aux points les plus étroits de la Manche et de la mer d’Irlande, est remis en cause par le Brexit. Les compagnies proposent désormais des trajets maritimes plus longs mais directs vers l’Irlande, afin de ne pas avoir à sortir de l’Union européenne et d’éviter les formalités liées à la traversée des frontières du Royaume-Uni. Ce contournement est vu à Calais comme une « concurrence marginale », selon les mots du président du port. Même si les volumes sont sans commune mesure avec le nombre de camions entre Douvres et Calais, les liaisons directes entre le continent et l’Irlande se multiplient, visant en particulier le port de Rosslare, sur la côte sud-est de l’île.
Dunkerque en tête de pont
DFDS, qui propose depuis vingt ans une navette ro-ro entre Dunkerque et Douvres (dont le trafic camion a d’ailleurs progressé de 4 % en 2020) a lancé en janvier depuis Dunkerque une navette quotidienne avec le port irlandais de Rosslare. Trois navires, transportant des camions complets comme des remorques non-accompagnées, effectuent la traversée en vingt-quatre heures. Preuve du succès de cette nouvelle relation maritime, deux mois après le lancement, DFDS a annoncé avoir transporté 10 000 unités de fret avec un coefficient de remplissage des navires de 90 %. Depuis avril, un quatrième navire est même parfois positionné sur Dunkerque-Rosslare. « Cette offre répond à un besoin car le Brexit occasionne une redistribution des cartes sur la desserte de l’Irlande », explique Jean-Claude Charlo, directeur général de DFDS France. Le port de Dunkerque affiche fièrement son statut de tête de pont du continent vers la verte Érin. « Avec huit rotations hebdomadaires depuis et vers l’Irlande, Dunkerque est devenu en l’espace de quatre mois, le port continental européen affichant le plus grand nombre de rotations de services rouliers vers l’Irlande », souligne Daniel Deschodt, directeur commercial du port de Dunkerque.
Le Brexit stimule l’offre
L’Irlande n’est d’ailleurs pas la seule destination visée par le port nordiste puisque le Brexit offre paradoxalement à Dunkerque des opportunités pour renforcer ses liaisons maritimes vers la Grande-Bretagne elle-même. Containership, filiale intra-européenne du groupe CMA-CGM, avait ajouté dès novembre 2020, en préparation du Brexit, une nouvelle escale à Dunkerque sur sa ligne reliant Rotterdam à Dublin. En janvier dernier, le finlandais a lancé un nouveau service, cette fois entre Dunkerque et les ports anglais de Bristol et Liverpool. Il ne s’agit donc plus de contourner la Grande-Bretagne mais de mieux la desservir avec des conteneurs plutôt que des remorques routières pour faciliter le passage en douane et éviter du temps d’attente aux chauffeurs. Et avec dans l’idée de faire de Dunkerque, à nouveau desservi depuis peu par les plus grands porte-conteneurs de CMA-CGM de la ligne FAL1, un hub de transbordement pour relier les ports anglais aux grandes lignes conteneurisées deepsea.
« Devenir un port de transbordement à destination de la Grande-Bretagne, non seulement depuis le continent européen mais aussi pour les marchandises en provenance du monde entier, c’est une stratégie que nous avons initiée il y a dix ans, profitant de notre positionnement géographique, précise Daniel Deschodt. Le transport maritime de courte distance, de ce point de vue, est un complément au transport transocéanique au même titre que peuvent l’être le ferroviaire ou le fluvial. »
Au total, le port de Dunkerque est relié à 25 ports britanniques ou irlandais pour un trafic annuel de plus de 17 Mt. Dernier service mis en place: l’ajout d’une escale à Dunkerque sur la ligne Unifeeder entre Anvers et la côte est de la Grande-Bretagne à destination du ports anglais de Teesport et du port écossais de Grangemouth.
Cherbourg en pointe vers l’Irlande
Profitant de sa situation géographique, Cherbourg émerge aussi en tant que port pivot vers l’Irlande. En janvier, Irish Ferries a transporté 9 000 remorques sur sa ligne Dublin-Cherbourg, contre 3 000 un an plus tôt. L’armateur a donc positionné en février un nouveau navire sur cette liaison pour effectuer des renforts ponctuels les week-end.
Stena aussi a diligenté des navettes entre Cherbourg et Dublin au printemps mais n’envisage cependant pas de pérenniser cette liaison. L’armement suédois a en revanche doublé depuis décembre 2020 la capacité de la ligne qu’il exploite entre Rosslare et Cherbourg: un roulier d’une capacité de 3 000 mètres linéaires a été ajouté, tandis que le ro-pax qui assurait cette liaison a été remplacé au cours du printemps par un autre de plus grande capacité: le Stena Embla. Cet E-Flexer était initialement prévu pour la ligne Belfast-Liverpool. Son exploitation entre la France et l’Irlande est prévue pour une durée de douze mois et ainsi répondre à la nouvelle donne liée au Brexit.
Brittany Ferries a également mis en place une nouvelle ligne dédiée spécifiquement au fret entre le port breton et Rosslare. D’ailleurs, comme à Calais, le recours au ferroviaire est envisagé à Cherbourg par la compagnie bretonne, en prolongement de la traversée maritime de la Manche. Une autoroute de la mer est attendue entre le port du Cotentin et Bayonne, qui permettra le transport de remorques non-accompagnées entre l’Irlande et l’Espagne.
Complémentarité entre ferroviaire et maritime
Associée dans cette opération avec la SNCF, Brittany Ferries affirme que le retard pris dans le démarrage de cette autoroute ferroviaire est davantage imputable au Covid qu’au Brexit. Il reste par ailleurs encore quatre ponts à adapter sur l’itinéraire. Cette complémentarité entre ferroviaire et maritime présente un certain nombre d’avantages selon la française: elle pallie la pénurie de chauffeurs routiers, permet de desservir des régions comme Bayonne où le port n’est pas forcément adapté pour recevoir de grands ferries, et de gérer plus facilement de petits flux de camion avec un coût moindre que celui de l’affrètement d’un navire sur une route plus longue. Lors du lancement de la ligne Cherbourg-Rosslare, le président de l’armement breton, Jean-Marc Roué, s’était dit « profondément convaincu que l’avenir de Brittany Ferries passe par deux impératifs: un renouvellement de la flotte et le renforcement des liens avec l’Irlande. Avec l’arrivée du Galicia en 2020 et celle du Salamanca au printemps de 2022, nous misons clairement sur de nouveaux navires flagships, plus ambitieux et plus respectueux des enjeux de la transition énergétique. »
Le Galicia, premier navire de classe E-Flexer entré en flotte chez Brittany Ferries qui l’a affrété après de Stena, va être rejoint par deux autres – le Salamanca en 2022 et le Santona en 2023 – qui seront propulsés en GNL. La compagnie suédoise frète aussi un E-Flexer à DFDS: le Côte d’Opale qui doit rejoindre cet été la ligne Calais-Douvres. Enfin, Stena a aussi prévu des E-Flexer pour les exploiter directement. Trois ont déjà été mis en service en mer d’Irlande: les Stena Estrid, Stena Edda et Stena Embla, ce dernier assure en outre des traversées entre l’Irlande et Cherbourg. Stena doit encore prendre livraison en 2022 de deux autres, dont la longueur est supérieure puisqu’elle atteint 240 m. Les lignes auxquels ils seront affectés n’ont pas encore été dévoilées.