Au cours du premier trimestre, l’indice Baltic Capesize s’est établi en moyenne à 17 126 $/j, soit 275,7 % au-dessus des 4 558 $/j pour la même période de 2020, et 1,1 % au-dessus de 16 944 $/j enregistré au dernier trimestre 2020, indique Goodbulk qui est le premier opérateur de vraquiers à avoir communiqué sur son exercice trimestriel. « Les trois premiers mois de l’année ont été les plus forts jamais enregistrés depuis 2014 et c’est la première fois qu’un premier trimestre est supérieur au précédent depuis 2009 ». Pour l’un des plus grands propriétaires de capesize (22 sur une flotte de 23 navires) ces « taux robustes » sont corrélés aux fortes exportations de minerai de fer du Brésil qui ont augmenté de 18,3 % pour s’établir à 77,7 Mt au premier trimestre. « En mars, les exportations de minerai de fer en provenance du Brésil et de Port Hedland (en Australie) d’où sont expédiés environ deux tiers des exportations du pays, ont apporté 14,8 Mt supplémentaires sur le marché et principalement aux capesize. »
La demande mondiale d’acier dont le minerai de fer constitue le premier ingrédient, continue quant à elle à être portée par la Chine. La production a encore augmenté d’environ 15 % au cours du premier trimestre, établissant un nouveau record, tandis que les prix de l’acier et les marges des usines se situent à des niveaux supérieurs à dix ans.
Au cours du premier trimestre, indique encore Goodbulk dans son analyse du marché, la Chine a importé 50,1 % de plus de céréales et d’oléagineux (maïs, blé et soja). Les taux des panamax et supramax sur lesquels sont notamment chargés les céréales, ont vu les taux de fret atteindre des sommets décennaux en mars.
Contraste saisissant
Pour ce qui le concerne, Goodbulk a enregistré un TCE (Time Charter Equivalent) de 14 592 $/j pour les capesize et de 12 954 $/j pour son unique panamax en trois mois. En comparaison, ses grands navires gagnaient en moyenne 10 851 $/j il y a un an à la même période et le panamax était en deçà de tout entendement économique, avec 1 864 $ par jour.
« Avec un carnet de commandes à un niveau historiquement bas, un rebond de la demande de vracs mineurs et de charbon, ainsi qu’une croissance régulière des volumes de minerai de fer et de céréales, le marché du vrac sec est prêt à bénéficier d’un environnement solide en 2021 et en 2022 », assure la société cotée.
L’assurance du PDG de Goodbulk, John Michael Radziwill, contraste avec le sentiment d’extrême prudence qui prévaut d’ordinaire dans le vrac. Les analystes partagent néanmoins cet enthousiasme. Ils rivalisent même dans les phrases qui claquent pour décrire la situation.
Le vrac sec est « parti pour la course », a déclaré Joakim Hannisdahl, analyste de Cleaves Securities, dans ses nouvelles perspectives trimestrielles. Ben Nolan, expert du secteur chez Stifel, envisage un possible « Shangri-La du vrac sec » tandis que Nick Ristic, de Braemar ACM Shipbroking, opte pour un inattendu: « les taureaux sont de retour en ville » (« The Bulls are back in town »).
Signal de la santé mondial
Bref, le vrac sec est de retour. Et à travers lui, c’est la santé économique mondiale dont il s’agit. Car il est à lui seul un baromètre reflétant la demande de matières premières, le niveau de la production industrielle, de la consommation de l’acier et de la conjoncture de la construction.
Les niveaux de négociation des produits dérivés des contrats de fret à terme (FFA) de ce marché hautement spéculatif indiquent également une vigueur continue. D’après Clarksons Platou Securities, les contrats de capesize pour mai ont clôturé à 32 007 $, ceux du troisième trimestre à 26 843 $/j et à 23 504 $/j pour le dernier trimestre de l’année.
Traduisant l’ébullition du secteur dont la plupart des opérateurs sont cotés en bourse, la perspective de bénéfices exceptionnellement élevés génère un afflux soudain de capitaux. Mi-avril, les actions d’Eagle Bulk ont bondi de 9,7 %, celles de Diana Shipping de 7,5 %, de Genco Shipping &Trading de 7,4 %, de Star Bulk et de Safe Bulkers de 6,4 %, et de Golden Ocean de 6,1 %.
Appréhendé sur un an, Eagle Bulk apparaît comme le plus performant avec une hausse de 259 % son titre, devant Grindrod Holdings (+ 208 %) et Breakwave Dry Bulk Shipping ETF (+ 176 %).
Eagle Bulk, TCE élevé
Eagle Bulk, qui a pourtant encaissé deux années de pertes (35 M$ en 2020, 21,6 M$ en 2019), est aussi le plus actif des opérateurs sur le plan des acquisitions. Le spécialiste américain de vrac sec a acheté sept navires au cours des derniers mois, notamment auprès de son concurrent Scorpio Bulkers qui, épuisé par les montagnes russes émotionnelles du secteur, a opté pour le retrait du vrac sec.
Son PDG, Gary Vogel, anticipe une forte demande de navires (les siens opèrent dans le bassin atlantique). Et pas exclusivement pour alimenter l’usine du monde qu’est la Chine. Les programmes de relance économique d’envergure lancés par les pouvoirs publics ont fait rebondir les investissements dans les infrastructures nécessitant des matières premières telles que l’acier, le bois et le charbon.
Ces dernières années, Eagle Bulk a remplacé 52 % de sa flotte par des navires plus récents, ce qui a permis de réduire sa consommation de carburant d’environ 15 %,
Sur les 52 vraquiers qui composent sa flotte, 45 sont équipés de scrubbers.
Pour le premier trimestre, 93 % de sa flotte a été employés à un TCE de 15 085 $/j, « représentant ce qui sera probablement le TCE le plus élevé que la société ait atteint depuis plus de neuf ans », souligne le PDG.
Obstacle environnemental
Pacific Basin qui exploite 91 handysize et 41 supramax, estime pour sa part que la surchauffe du marché des conteneurs profite aussi au vrac sec.
« Nos prix sont élevés mais les taux de fret de conteneurs le sont encore davantage et cela incite les marchandises qui peuvent passer au vrac à le faire, assure Mats Berglund, PDG de l’opérateur de Hong Kong. Les porte-conteneurs de taille similaire à nos vraquiers gagnent 40 000 $ contre 16 000 à 20 000 $/j pour les nôtres ».
Le dirigeant note le retour de cargaisons de breakbulk, d’acier, de grumes… « alors qu’ils auraient été transportés par conteneurs ». La plupart de ses navires opèrent actuellement à des taux particulièrement élevés.
Le bon rythme du marché a conduit Pacific Basin à étoffer sa flotte, notamment dans les segments ultramax et supramax, en se fournissant sur le marché de l’occasion dont les prix ont augmenté de 20 à 30 % en un an. Le marché S&P est ragaillardi par les taux actuellement élevés. Il est aussi aidé par la frilosité des propriétaires de flotte et des exploitants à la perspective de commander aujourd’hui des navires neufs dont on ignore encore s’ils seront conformes aux nouvelles prescriptions environnementales ou amortis quand les technologies seront matures et qu’il faudra alors renouveler la flotte.
Le carnet de commandes est en effet à un niveau bien bas. Selon Cleaves, il ne représente actuellement que 5,6 % de la flotte mondiale.
Les taux ont augmenté de 88 % au cours des six derniers mois mais les dépenses mensuelles pour les nouvelles constructions « sont en baisse de 31 % par rapport à la moyenne de 515 M$ par mois pour 2020. Un niveau qui était déjà inférieur de moitié à la moyenne des dix années précédentes. »