Le continent fut le moins touché par la dernière grande crise mondiale de 2008 car les économies africaines étaient, pour la plupart, en dehors des circuits financiers spéculatifs qui ont provoqué la chute de l’économie à l’échelle planétaire.
Les deux têtes de pont portuaires du Golfe de Guinée que sont Téma et Lomé rivalisent de performance et de productivité. Les records s’enchaînent avec 139 mouvements réalisés en 60 minutes à Meridian Port Services en août dernier, alors que le seuil historique des 10 900 mouvements sur une seule escale a été dépassé en avril à Lomé. Les puristes apprécieront le remarquable 37,9 mouvements d’un portique en une heure sur le MSC Marina en février dernier. La lutte à distance que se livrent APMT-Bolloré Ports sur le port ghanéen et TIL/MSC sur le port togolais met en lumière l’incroyable saut qualitatif de la manutention conteneurisée subsaharienne. Et la mise en opération du nouveau terminal TC2 à Abidjan, avec des équipements de dernière génération, devrait encore stimuler une compétition toujours plus féroce entre manutentionnaires.
Ces cadences de manutention sont possibles car les volumes à charger/décharger sont plus conséquents, et les porte-conteneurs toujours plus grands. Le dernier rapport de Dynamar est de ce point de vue éclairant: le navire moyen a doublé de taille en huit ans, passant de 1 900 EVP de capacité à 3 800 EVP. Cela n’est pas si spectaculaire sauf que sur le sillon phare Asie-Afrique de l’Ouest, le porte-conteneur est passé de 2 600 EVP de capacité moyenne à 6 400 EVP. Au-delà du seul effet cascade du repositionnement des unités dû à la surcapacité mondiale, c’est bien la longueur du trajet nautique et les stops stratégiques sur l’Océan indien qui entretiennent ce que l’on peut qualifier de « gigantisme maritime subsaharien ». Preuve, s’il en est, que la marchandise attire le navire, et non l’inverse.
Lomé « nourri » par MSC
Lomé est en quelque sorte le « Living Lab » de cette tendance actuelle. En devenant le 5e port conteneurisé d’Afrique en 2019 et le premier entre Tanger Med et Durban, Lomé traduit sur le plan portuaire ce que l’armateur suisse MSC ambitionne de déployer sur le continent africain: un vrai hub au cœur du continent au service des économies africaines. Le port togolais n’est pas situé au carrefour de routes maritimes orthodromiques et stratégiques comme Tanger. Il est plutôt à l’intersection de trois logiques: celle historique du trade avec l’Europe du Nord, puis de la Méditerranée avec l’avènement de hubs intermédiaires comme Las Palmas ou même Algésiras; celle d’avenir que constitue la route vers le sud pour rejoindre l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie et évidemment la Chine; et enfin celle probablement qui finira par s’imposer avec les Amériques, incluant la zone Caraïbe et l’isthme panaméen.
Lomé continue d’être boosté par la stratégie armatoriale du deuxième plus important transporteur de fret africain devant CMA-CGM et derrière Maersk.
Kribi affranchi
D’autres ambitionnent de faire peu ou prou la même chose, mais en s’affranchissant d’une trop grande dépendance vis-à-vis d’un seul acteur dominant. C’est le cas du Port Autonome de Kribi au Cameroun, dernier né en mode greenfield de la côte centrale africaine. Après trois années d’opérations, Kribi affiche 25 Mt, plus de 400 000 EVP et plus de 1 000 escales depuis son inauguration commerciale en avril 2017, alors même que les connectivités routières et ferroviaires tardent à se concrétiser. Le port camerounais n’est pas qu’une interface portuaire en eaux profondes, mais plutôt un ensemble industrialo-logistique qui vise à accélérer la transformation régionale des matières premières, agricoles et forestières. L’unité de transformation de cacao sur la zone économique attenante aux installations portuaires demeure un symbole qui devrait faire des émules. Selon Michaël Mama, directeur de l’exploitation du PAK, une dizaine d’entreprises ont déjà leur agrément et une vingtaine d’autres auraient confirmé leur engagement pour investir et opérer sur Kribi.
Son succès tiendra dans la capacité du gouvernement camerounais à propulser un ensemble économique et industriel qui servira autant le partenaire chinois, premier client et fournisseur du Cameroun, que les consommateurs et producteurs de toute l’Afrique.
La connectivité comme levier
Il y a un dernier élément qu’il faudra observer de près dans les statistiques portuaires de 2020: la quote-part des trafics intra-Afrique. Que l’on parle de cabotage, de transport maritime courte distance ou encore de feedering, la connectivité maritime pourrait être le levier pour faciliter les échanges entre les États du continent. À condition toutefois que quelques verrous soient levés: des processus douaniers transparents et dématérialisés, des surcoûts de manutention sur les petites unités corrigées, des équipements portuaires pour traiter des volumes dans des conditions de compétitivité.
La compétition se porte bel et bien sur l’aptitude des grands ports maritimes africains à traiter avec qualité et fiabilité les navires qui nourrissent les grandes routes internationales. L’amélioration de la connectivité maritime internationale, attestée par les travaux de la CNUCED, doit se prolonger sur les segments intra-africains. Ce sera aussi une manière de pallier les carences du maillage multimodal terrestre du continent.