Des mesures de confinement strictes ont été appliquées en Corse. Quel est l’impact de la pandémie sur les finances de Corsica Linea?
Pierre-Antoine Villanova: C’est un drame économique puisque nous avons perdu environ 75 % de notre chiffre d’affaires en mars, avril et mai. Nous avions prévu pour 2020 un chiffre d’affaires de 250 M€, nous finirons certainement l’année avec 40 M€ de moins. Avec 15 % de croissance par an depuis quatre ans, nous avions de quoi passer cette étape, mais nous avons fait une demande de prêt garanti par l’État (PGE) pour un montant de 5 % de notre chiffre d’affaires. Quant aux effectifs, passé le choc du 15 mars, nous nous sommes mis en ordre de bataille. Nous avons été contraints de mettre fin aux 150 CDD. 250 de nos 870 salariés sont au chômage partiel. 40 % de nos sédentaires sont en télétravail, 20 % se rendent sur les quais ou au bureau. Nous n’avons pas de plan de réduction des effectifs, mais ce sont les CDD que nous devions recruter en juin pour la saison qui vont pâtir de la crise.
Vous restez confiants pour le reste de la saison?
P-A.V.: Sur la Corse, la capacité passagers des navires augmente progressivement. Actuellement [entretien réalisé en juin, NDLR], nos réservations en Corse sont en dessous de 10 % par rapport à 2019. L’île est une destination rassurante pour les Français. Certes la saison sera moins bonne que les précédentes, mais il n’y aura pas de drame. En revanche, nous n’avons aucune visibilité sur l’Afrique du Nord. Nous avons dû revoir notre plan de flotte initial, qui était de trois navires sur le Maghreb et cinq sur la Corse. Notre nouveau navire ANepita sera finalement positionné en Corse car nous n’avons aucune information sur les conditions de reprise en Algérie. D’ailleurs, nous demandons à l’État qu’il applique les mêmes mesures que sur le transmanche en procédant à une extension de la période du chômage partiel. Nous avons investi dans les scrubbers pour quatre navires, dans le courant de quai, dans la construction d’un ferry au GNL. Afin de poursuivre nos investissements en faveur de la transition énergétique, nous avons besoin du soutien financier de l’État. Pourquoi ne pas créer un PGE Transition Environnementale?
La crise sanitaire a-t-elle modifié votre stratégie?
P-A.V.: Elle a accéléré la stratégie mise en place depuis trois ans portant sur la transition environnementale et la conscience des enjeux sociétaux. La pandémie a révélé la nécessité de soutenir l’économie locale même si cela coûte plus cher. À bord, nous achetions des célèbres pâtes italiennes. À compter de la semaine prochaine, ce sera Colomba en Corse qui nous fournira. Les 140 000 baguettes par an que nous commandons pour nos navires ne seront plus préparées sur le continent mais en Corse. La prochaine étape concernera l’achat du poisson. Dans le domaine de la réparation navale, la logique est similaire avec une préférence pour Sud Moteurs. Nous avons l’intime conviction qu’il faut se battre pour défendre le pavillon français. L’erreur à ne pas commettre étant de vouloir retrouver à tout prix sa zone de confort. Il faut naviguer localement. Il y a quinze ans, la décision a été prise de tout produire en Chine. Si la stratégie prônée par le gouvernement fonctionne, nous devrions moins importer et exporter davantage. Aujourd’hui, la relance du pavillon français consistera à considérer un navire comme une usine relocalisée avec des marins français.