Secteur diabolique par excellence, l’enfant terrible du transport maritime est rompu aux montagnes russes émotionnelles. Mais le début de l’année a été particulièrement éprouvant pour ce segment du fret, particulièrement exposé à la demande chinoise. Vorace en matières premières, a` commencer par le charbon et le minerai de fer en provenance du Brésil ou d’Australie, dont sont gourmandes ses centrales électriques et aciéries, la Chine engloutit 35 % des importations de vrac sec par voie maritime. Le virus a porté l’estocade à un secteur que la mise en œuvre de la réglementation de l’IMO 2020 et le ralentissement saisonnier des échanges pendant le Nouvel An chinois avaient déjà mis à plat.
La situation s’est rapidement matérialisée dans les taux de fret. De janvier à mars et pour la première fois de son histoire, le Baltic Dry Index (BDI), l’indice qui reflète chaque jour les tarifs pratiqués sur les vingt routes de transport en vrac de matières sèches jugées représentatives du marché, est resté négatif, atteignant son plus bas niveau des vingt dernières années. Très rapidement, le gonflement des stocks a mis la pression sur les prix du minerai de fer, la Chine pesant environ pour environ 65 % dans les importations mondiales. La plupart des aciéries chinoises ont réagi en ajustant à la baisse leur production, si bien que les cargaisons se sont raréfiées. Inévitablement, l’indice des capesize, vraquiers d’une capacité d’environ 180 000 tpl assurant notamment le transport du charbon et du minerai de fer, a plongé et est resté en zone négative tout au long des six premiers mois de l’année. Le segment sortait à peine du choc provoqué en 2019 par la fermeture de mines de fer du géant Vale suite à la rupture du barrage de Corrego do Feijao dans le sud-est du Brésil.
De 4 000 à 19 000 $/j
La reprise de l’activité industrielle de la Chine, la réouverture progressive des économies industrialisées et la nécessité de réapprovisionner les usines ont donné un coup de fouet au marché.
Mi-juin, le BDI est enfin repassé au-dessus des 1 000 points d’indice, son plus haut niveau depuis le 24 décembre. Le 17 juin, le revenu journalier moyen des capesize s’établissait à 19 036 $ par jour (contre un peu plus de 4 000 $ en mai). Au 1er juin, les propriétaires perdaient encore plus de 11 000 $ par jour.
Retour du scénario de 2016
Les perspectives restent néanmoins moroses. Dans un point de conjoncture, l’organisation maritime internationale Bimco rappelait à quel point l’histoire bégaie. Les connaisseurs de ce marché gardent en mémoire la sinistre année 2016 où s’étaient cumulés le ralentissement de l’activité économique mondiale, la faiblesse de la demande de vrac sec en Chine et une offre excédentaire gonflée par la plus grande vague de livraison de navires que le marché ait jamais connue. Cette année-là, le taux d’utilisation de la flotte de vraquiers avait également touché le fond de cale. Cette fois, la baisse de la demande s’est associée à une récession planétaire et à une surcapacité pour se liguer contre le vrac sec. « C’est le cocktail du pire des deux mondes, celui de l’offre et de la demande » indique Peter Sand, l’analyste en chef du Bimco.
Plan de relance chinois
À l’effet pandémie s’en ajoute en effet un autre, celui des changements de fond dans la politique industrielle chinoise au profit « d’initiatives d’écologie circulaire ». Les aciéries chinoises ont en effet commencé à abandonner les hauts-fourneaux, qui utilisent le minerai de fer dans leur production, au profit des fours électriques à arc qui peuvent s’en passer. Certes, les importations de fer vont encore augmenter, mais pas dans les proportions initialement prévues. Selon la Cnuced, la projection de croissance annuelle n’est plus que de 6 % alors qu’elle était annoncée autour de 19 %.
Pour l’heure, il est beaucoup attendu de la générosité du plan de relance chinois.
À la suite de la crise financière mondiale de 2008, Pékin avait mis en œuvre des mesures de relance budgétaire de grande envergure, qui avaient largement profité au vrac sec. Mais le fait que le gouvernement chinois ait suspendu son objectif de croissance économique pour 2020 est « aussi une indication qu’il ne promet plus de croissance économique à tout prix », décrypte Peter Sand, pour lequel un massif plan de relance de la Chine reste pourtant « l’un des seuls facteurs susceptibles de sauver la rentabilité du marché cette année et éviter une redite de 2016 ».
Le scénario du pire: offre en hausse, demande en berne
La flotte de vraquiers devrait augmenter de 2,5 % cette année alors que la demande est en berne. Inévitablement, la concurrence sur les cargaisons à transporter va mettre sous tension les tarifs de fret. Aussi le nombre de navires retirés de la flotte cette année, à l’instar du Brésilien Vale qui a condamné 25 de ses VLOC, est-il perçu comme une bonne nouvelle pour les fondamentaux du marché.
Les importations chinoises en baisse d’un tiers en 2020
Dans une étude publiée fin mai, la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) évalue la baisse possible des importations chinoises pour 2020 à un tiers. Elles passeraient cette année de 48,6 Md$ à 33,1 Md$ et porteraient sur les produits énergétiques, les minerais et les céréales.