Le port de Marseille sortira probablement de cette crise avec un chiffre d’affaires amputé de 20 % en 2020. Fin juin, les trafics globaux accusaient une baisse de 15 % par rapport à 2019. Qu’est-ce que cette situation vous inspire pour la suite?
Hervé Martel: Les trafics du port de Marseille Fos sont à l’image de la chute de la consommation et de l’arrêt de certaines productions. On sort d’une crise nationale provoquée par le projet de réforme des retraites et on vit une crise mondiale suite à l’épidémie. Heureusement, nous y sommes entrés avec une capacité d’autofinancement et un faible endettement – et armés d’une vraie dynamique. In fine, on anticipe une baisse de notre chiffre d’affaires de l’ordre de 30 à 35 M€, ce qui reste très significatif pour une structure de coûts fixes comme la nôtre, même si on a pu bénéficier de baisses de charges et de la suppression par l’État des dividendes de 2020 [de l’ordre de 4 ou 5 M€, NDLR]. Cela nous conforte dans notre volonté d’accélérer sur une logique de relais de croissance pour construire un autre modèle économique.
C’est en comptant sur nos investissements que l’on arrivera à créer de la valeur et à la transformer en revenu. Sur tous les orientations identifiées par notre « Grand projet stratégique » – valorisation de notre foncier, y compris pour des activités qui ne sont pas purement portuaires comme l’immobilier logistique ou la production d’énergies –, il y a matière à monter dans la chaîne de valeur.
Il y a de nombreuses filières en difficulté qui impactent vos trafics. La situation en sursis de quelques entreprises sur le territoire comme Arcelor vous inquiètent-elles?
H.M.: Le segment des vracs solides (– 20 %), hormis dans l’alimentaire grâce aux céréales (+ 21 %), a en effet été fortement impacté par la sidérurgie avec Arcelor, qui avait annoncé l’arrêt du deuxième haut-fourneau de Fos pour ensuite repousser l’échéance. Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu en termes de droits de port [10 % des escales et 15 % des tonnages du port, NDLR]. Il est question ici du maintien d’une activité qui irrigue une sous-traitance importante et de réinventer un modèle à la fois économiquement viable, avec un positionnement concurrentiel par rapport aux produits d’importation à bas coût, et plus respectueux de l’environnement, compte tenu des exigences des réglementations européennes en matière d’émissions de CO2. Réinventer une industrie durable est un enjeu stratégique pour ce territoire, a fortiori à Fos-sur-Mer, la zone industrialo-portuaire.
Excepté les mesures tarifaires, quels sont les leviers dont dispose le port de Marseille pour accompagner les filières en difficulté?
H.M.: Les questions tarifaires feront partie du plan d’accompagnement des secteurs en difficulté (lire ci-contre), mais on ne peut pas se contenter de pratiquer des soldes. Arcelor, par exemple, travaille sur un ensemble d’investissements. Sur un certain nombre d’entre eux, on peut être associé de diverses façons, au niveau de l’optimisation de leur approvisionnement, de l’évolution du process industriel ou environnemental avec de la captation de CO2.
Le conteneur souffre dans les ports français. La situation est-elle inédite selon vous?
H.M.: À Marseille, oui, car nous étions en croissance depuis une dizaine d’années. On limite la casse car la situation est pire ailleurs. Là aussi, je reste prudent mais optimiste. Les navires sont partis pleins de Chine et donc, si tout se passe bien, ils arriveront bien pleins dans les ports européens courant juillet. Au-delà, la vraie question est de pouvoir situer, dans le temps, un retour à la normale. Il existe actuellement des tas de projections à un, deux ou trois ans. Ce qui est certain, c’est que cette période a conduit les acteurs à acter des décisions stratégiques. Que l’on parle d’accompagnement de fermeture des hauts-fourneaux ou de modification de lignes maritimes, il faut qu’au moment où ça va bouger, les ports soient là.
Les ports européens ont annoncé des mesures commerciales fortes. La politique offensive de certains d’entre eux pourrait générer des éléments perturbateurs pour la compétitivité intra-européenne. Vous allez vous aligner?
H.M.: On ne restera pas à l’écart de ce mouvement. La Commission européenne a autorisé des dérogations aux règlements européens. Notre plan de relance sera aussi dans la continuité directe du pacte d’engagement élaboré au mois de février à la suite des mouvements sociaux. L’ensemble des mesures commerciales représente un effort de notre part de l’ordre de 6,5 M€.
Si chacune de ces mesures opère à la loyale dans le cadre fixé par le règlement européen, c’est bien. Si on sort de ces équilibres avec des aides d’État, on enclenche une spirale perdant-perdant. Il faut rester vigilant et faire des choses raisonnables.
Le conseil d’administration de l’Autorité portuaire de Barcelone a pourtant approuvé un plan de réduction des droits portuaires qui, pour la première fois, est programmé sur plusieurs années.
H.M.: S’engager sur une baisse des recettes de 30 % sur des temps plus longs, sans aide extérieure, en investissant beaucoup et tout en tenant une trajectoire financière me paraît difficile. Pour être tout à fait honnête je ne sais pas comment ils le font en restant dans les clous du cadre légal. En tout cas, nous réfléchirons à notre politique tarifaire globale pour l’année prochaine, notamment pour accompagner au mieux les secteurs les plus fragiles. Cela se fait certes par des mesures tarifaires mais aussi en actionnant tous les éléments de compétitivité pour un armateur.
Et quels sont, selon vous, les éléments de compétitivité pour un armateur?
H.M.: On est en train de finir les investissements sur la rotule à Fos, qui va permettre de joindre les terminaux conteneurs Eurofos et Seayard [aménagement d’un nouveau quai de 240 m de long et 17 m de tirant d’eau portant le linéaire à 2,6 km. Mise en service prévue au troisième trimestre, NDLR]. Ce projet va aussi améliorer la circulation des trains et prévoit un engagement de 22 M€ pour une opération en plusieurs phases et une mise en service à horizon 2023. Les nouveaux portiques et les cavaliers hybrides d’Eurofos vont apporter de la capacité supplémentaire. Nous avons également un programme de connexion électrique des navires à quai (Cenaq) pour l’activité voyageurs pour 20 M€. Les logiques d’investissement se poursuivent par ailleurs dans la logistique.
Pas une ligne ne va bouger sur le grand projet stratégique que vous n’avez toujours pas présenté?
H.M.: En 2020, le budget est maintenu. Ayant perdu deux mois, nous envisageons d’investir 57 M€ cette année sur les 70 M€ initialement prévus. Pour cela, on va emprunter 35 M€. À l’automne, on ajustera la trajectoire financière s’il le faut pour les années qui viennent. Mais je n’aurai pas les moyens d’emprunter 35 M€ par an pendant cinq années. Toutes les opérations se poursuivent et, à vrai dire, on n’a pas très envie de les arrêter car elles sont nécessaires au développement du port et s’inscrivent de surcroît sur les créneaux d’investissements qui sont, à mon avis, plutôt dans l’air du temps en ce moment: transition énergétique, économie circulaire, relocalisation, réindustrialisation…
La paix sociale, on en parle?
H.M.: Nous sommes tous à peu près d’accord pour éviter la fuite des trafics chez nos voisins. Je ne pense pas qu’on aura, dans votre média, une déclaration de la CGT s’engageant à ne plus jamais faire grève. En revanche, affirmer ensemble que la fiabilité et le service à nos clients sont primordiaux, cela me semble être l’état d’esprit aujourd’hui des différents acteurs. Maintenant, il y a sur ce territoire de vrais sujets sur des entreprises en difficulté. Cela va générer des crispations. Dans une période où les trafics deviennent de surcroît incertains, c’est évidemment plus compliqué.
Marseille Fos concède un effort commercial de 6,5 M€
Conteneur : réduction jusqu’à 50 % des droits de port pendant quatre mois à partir de septembre.
Ro-ro, ro-pax et transport de voitures: maintien de réduction des droits de port de 30 % à partir de septembre et pendant trois mois.
Transbordement: remise supplémentaire de 50 % des droits de port pendant 4 mois a` partir de septembre.
Moratoire sur les pénalités sur les volumes de trafic pour les conventions de terminaux soumis à la réalisation d’objectifs.
Remise sur frais de stationnement pour les paquebots. La tarification en place prévoit normalement qu’à partir du 21e jour de stationnement, le coût journalier augmente de manière significative [600 €/j, NDLR].