Baptiste Maurand, DG port du Havre : « La crise n’a fait que renforcer nos certitudes »

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Comme la plupart des grands ports maritimes français, Le Havre vient d’encaisser deux coups durs et a eu peu de répit entre les mouvements sociaux des mois de décembre et janvier et l’émergence de la crise sanitaire. Est-ce que vous limitez néanmoins la casse?

Baptiste Maurand: Globalement, fin mai, les volumes étaient en baisse de 30 % par rapport à la même période de 2019, tant sur les conteneurs que sur les vracs liquides, les deux drivers de l’économie portuaire. Les mois d’avril et de mai ont été sévèrement affectés par le ralentissement de l’économie mondiale. Avec les avions cloués au sol et le monde en confinement, il n’y a pas eu d’appels de pétrole brut ni de produits raffinés au Havre en avril. Mais nous savons par expérience que les niveaux de vracs liquides devraient revenir plus rapidement à la normale. C’est mécanique, le déconfinement générant une reprise d’activité. On compte sur juillet pour apporter les premiers signaux de cette reprise.

Plus incertaine est sans doute la reprise du conteneur. Compte tenu de votre connexion à ce marché, vous restez malgré tout sereins même si les armateurs maintiennent leur blank sailing encore quelques mois?

B.M.: Le conteneur et le roulier sont les deux filières sur lesquelles nous travaillons à marche forcée depuis le début de l’année et qui sont d’ailleurs couvertes par l’accord de place portuaire [signé le 3 mars avec l’ensemble des professionnels afin de relancer l’activité grâce à des mesures commerciales sur le principe de partage des surcoûts et fléchées vers les filières les plus impactées, NDLR]. En dépit des blank sailing, Le Havre n’a pas perdu de services. Il y a eu effectivement des suspensions provisoires ou des modifications de fréquence. Mais dans les arbitrages récents, nous restons dans le schéma de certains transporteurs comme le premier point d’entrée, parfois, et comme le dernier point export avant le retour vers l’Asie ou vers l’Amérique.

« Un nouveau concept de transbordement semble émerger », dit l’Association internationale des ports, en référence au fait que ces hubs seraient finalement les grands gagnants de la perturbation générale. Vous confirmez?

B.M.: Il faut distinguer le transbordement et l’hinterland. En baisse de 40 %, le transbordement au Havre a fait les frais du recentrage de certains armateurs, comme MSC, sur le range nord-européen. En revanche, sur l’hinterland [sur un trafic de 2,8 MEVP au Havre en 2019, 2,1 MEVP concernent ces boîtes qui vont et viennent au-delà des terminaux maritimes, NDLR], la baisse est plus limitée, à – 20 %. C’est une maigre consolation mais sur ces deux segments, on peut terminer l’année sur des perspectives moins douloureuses. Mais la grande question demeure: est-ce qu’il faudra une ou plusieurs années pour retrouver les niveaux que nous escomptions d’ici à 2024?

Les ports ont été, sans préavis, en première ligne sur un plan opérationnel. Quels enseignements en tirez-vous?

B.M.: Je saisque le mentionner est très rebattu. Mais rester opérationnel 24 h/24, 7 j/7 dans le cadre d’un confinement décrété avec des contraintes opératoires fortes n’était pas une évidence. Cependant, tous les plans de continuité d’activité (PCA) de l’ensemble des ports ont fonctionné. Je reste convaincu que cette crise, qui a requis une extrême coordination de l’ensemble des services, renforcera l’esprit de place portuaire. Elle a aussi conforté l’idée selon laquelle l’axe Seine était bien l’échelle sur laquelle nous devons opérer. La crise a permis d’éprouver le fonctionnement du système en temps réel, Rouen et Gennevilliers offrant des solutions pour des conteneurs bloqués ou des espaces saturés. Si le secteur routier a bien résisté, la crise a également révélé la nécessité du report modal. On voit bien que l’on est capable d’évacuer massivement des boîtes que lorsqu’on a accès à ce type de mécanisme-là. La massification n’est pas une découverte mais cela a néanmoins permis de démontrer l’efficacité de certains nos outils. Le terminal multimodal a, en plus d’autres prestations, joué un rôle de relais entre les différents maillons de la chaîne. La pertinence de l’axe Seine se vérifie aussi sur un plan financier. On sait que les crises frappent des ports plus que d’autres. L’intérêt est aussi de pouvoir se soutenir sur le plan financier, qui reste quand même le nerf de la guerre.

À combien estimez-vous l’impact financier?

B.M.: Nous anticipons la perte de chiffre d’affaires à 40 M€. La mauvaise année que nous allons probablement enregistrer n’est pas imputable à la seule épidémie. Dans cette perte, il y a aussi le contrecoup de la fermeture de la raffinerie Total, suite à un incendie qui a endommagé la colonne de distillation principale. Nous serons néanmoins en capacité de maintenir les investissements prévus – 75 M€ – mais amputés de 15 M€, les chantiers ayant été décalés à l’instar de l’aménagement des postes 11 et 12 sur Port 2000. Mais l’essentiel est que soient maintenus les 600 M€ d’investissements nécessaires à notre développement [programme voté en 2018 prévoyant le parachèvement de Port 2000, l’accès fluvial à Port 2000 appelé la « chatière », et vers l’éolien, NDLR]. Néanmoins, la trajectoire financière sera fortement surveillée pour les années prochaines.

Entre crise et relance, les ports européens se sont lancés dans une course aux mesures exceptionnelles. Vous allez suivre?

B.M.: Nous avons, à l’échelle d’Haropa, consenti un effort de trésorerie d’une valeur de 20 M€ sur le seul port du Havre: toutes les factures domaniales et de loyer à échoir au 30 mars ont été reportées au 10 juillet pour tous nos occupants, qu’ils soient à Rouen, au Havre ou à Paris. Nos accords de place, signés au début de l’année, ont été bouclés. Lors d’un conseil de surveillance extraordinaire le 15 mai dernier, j’ai obtenu de pouvoir agir avec des clients ciblés sur des aspects commerciaux pour maintenir des niveaux de service importants et conforter les grands déterminants de nos trafics. Nous avons demandé à l’ensemble de la place de faire des efforts avec nous. Je reste convaincu que c’est par l’investissement dans la qualité des services portuaires et des projets, ceci dans le cadre des relations commerciales habituelles, qu’on arrivera à convaincre. Les mesures tarifaires commerciales choc pourraient être mortifères pour le secteur portuaire. Je note que le Range Nord n’a pas opté pour cette voie. Je ne suis pas non plus persuadé que les autres ports, dont on sent qu’ils étaient prêts à faire des mesures à impact, les mettront à exécution. Mais nous restons très vigilants.

Votre terrain de la relance sera aussi celui de la digitalisation et de la transition écologique?

B.M.: La crise n’a fait que renforcer cette certitude partagée par bien d’autres ports mondiaux qui sont en train de plancher sur leur feuille de route d’actions pour limiter le réchauffement climatique. L’écologie, les carburants alternatifs, l’embranchement électrique à quai, le verdissement des flottes des manutentionnaires, l’échange et la normalisation des données entre acteurs de la place constituent les préoccupations actuelles dans tous les ports. Après avoir entendu le président de la République sur la nouvelle donne française, il me semble que Le Havre en particulier et les ports en général sont bien en phase avec les nouvelles voies de croissance industrielle et de commerce responsable préconisées. Au Havre, nous avons amorcé le travail sur « l’après charbon », sur l’empreinte carbone du passage de la marchandise et l’idée d’être « moins cher » écologiquement que les autres. Aussi, à l’heure où l’on parle de relocalisation, je vois difficilement comment on peut se passer du foncier portuaire. Dans cette perspective, nous travaillons à transposer notre offre logistique au secteur industriel [Pour attirer les investisseurs Haropa compresse le temps des autorisations et internalise toute la procédure de façon à la dé-risquer, NDLR].

Le processus de fusion entre les trois ports de la Seine semble compliqué. Le cap 2021 est difficile à tenir. Cela vous inquiète?

B.M.: Les décisions de l’axe seine ne relèvent pas de moi mais de la mission de préfiguration et de l’État. Je laisserai donc à ses services faire les clarifications nécessaires. En revanche, le travail continue d’arrache-pied pour assurer l’intégration des trois ports. Cette fusion est une évidence à tous points de vue. À l’heure où, par exemple, on candidate sur des appels d’offres européens, nous sommes plus pertinents quand notre projet s’envisage sur un territoire qui va du Havre à Gennevilliers et jusqu’à Bonneuil. C’est d’ailleurs en proposant le « premier axe électrifié à quai » que nous avons candidaté auprès de l’UE dans le cadre de l’appel à projets sur l’embranchement à quai. Il y a de nombreux sujets de transition écologique et énergétique pour lesquels l’approche à cette échelle est beaucoup plus pertinente. Et cela sera encore plus vrai demain.

Quelle sera votre priorité dans les semaines qui viennent?

B.M.: Nous sommes dans le money time de notre ambition ferroviaire. Son développement est essentiel au port pour lui permettre de dépasser les 3 MEVP, souvent présentés comme un plafond de verre, et aller chercher les boîtes au-delà de l’Île-de-France, que d’aucuns considèrent comme un horizon indépassable. Nous avons des fonds engagés dans la rénovation des voies ferrées dans le cadre de CPER, envisageons la possibilité d’être actionnaire d’un futur terminal à l’est de la France qui pourrait servir de relais… Bref, nous avons une véritable stratégie ferroviaire. Il faut désormais passer de la parole aux actes.

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