Le pétrole plombé par une maladie sans remède

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« La peur du Covid-19 va probablement s’estomper dans trois à six mois, tout comme cela a été le cas pour le SRAS, le H1N1 et le MERS en 2003, 2009 et 2012 », pose un analyste. Il n’est pas seul à penser que si le virus suit le même schéma que son cousin de 2003, la reprise de la demande de pétrole sera rapide, une fois la propagation stoppée. C’est ce à quoi s’est intéressé le courtier Poten &Partners. Pour modéliser les impacts potentiels sur le marché du pétrole, il s’est appuyé sur le SARS-CoV. Or les données sont en réalité peu comparables: cette année-là, la Chine avait importé moins de 2 millions de barils par jour (Mbj) de brut, contre plus de 10 millions aujourd’hui, ce qui en fait de loin le plus gros importateur mondial.

Deux données éclairent la problématique. La moitié des 100 Mbj de la demande mondiale de pétrole brut est exportée par voie maritime. Il faut y ajouter les 25 Mbj de produits raffinés. Près de 80 % des expéditions de pétrole brut vers la Chine par voie maritime embarquent sur des VLCC (les Suezmax et les Aframax ne représentent respectivement que 9 % et 10 %) selon les données de Poten.

Les experts de Wood Mackenzie estiment que la demande mondiale de pétrole pourrait être affectée de 100 000 barils par jour (bpj) en moyenne sur l’ensemble de l’année 2020. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) évoque sans fard « la première contraction trimestrielle en plus de dix ans ». Selon l’AIE, la demande devrait se resserrer de 435 000 bpj au premier trimestre. Elle est désormais estimée à 99 Mbj en 2020, soit 90 000 bpj en moins par rapport à 2019.

Depuis la déclaration de l’épidémie, le cours du pétrole a entamé sa descente vers les bas-fonds jusqu’au sinistre 9 mars. Ce jour-là, le cours du baril a plongé d’environ 25 %. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en mai valait alors 33,71 $ à Londres. L’onde de choc, provoquée par l’échec des discussions entre les producteurs du golfe et la Russie (OPEP+) sur une nouvelle réduction de la production, a été d’une telle amplitude qu’elle a percuté les cours de toutes les matières premières.

Conjonction d’aléas

Avant même l’arrivée de Covid-19, le marché présentait des signes de nervosité en prévision d’une offre excédentaire de 1 Mbj au premier semestre 2020. Si les revenus journaliers des VLCC du golfe Persique vers la Chine ont chuté de manière spectaculaire entre janvier et février, le coronavirus n’en est pas à lui seul comptable. Les États-Unis ont levé récemment les sanctions à l’encontre des tankers du géant asiatique Cosco, ce qui a remis sur le marché les 26 VLCC qui en avaient été extraits.

Les deux phénomènes ont fait chuter les taux d’affrètement de plus de 20 % en janvier (en année glissante) selon VesselsValue. Entre le 14 janvier et le 14 février, le prix d’un tanker à la journée est passé de 53 460 à 42 250 $. En s’appuyant sur les données de positionnement des navires (AIS) pour comparer la demande en temps réel de la Chine sur le pétrole brut transporté par mer depuis le Moyen-Orient ces dernières semaines par rapport à la même période l’année dernière, VesselValues a constaté une chute de la demande particulièrement marquée: de 3,42 milliards de tonnes-milles par jour en 2019, elle était proche de zéro en février. Une mauvaise nouvelle pour l’Arabie saoudite, particulièrement exposée depuis que la Chine est devenue son premier client. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, qui a fermé le robinet aux importations de pétrole américain, avait largement profité aux pays du Moyen-Orient. Ainsi, les exportations saoudiennes vers la Chine ont augmenté de 44,2 % en 2019, s’élevant à 78,5 Mt, soit le quart de ses ventes en 2019.

Retour du Contango

À l’heure où nous mettions sous presse, les analystes débattaient de l’impact de l’échec des négociations de l’OPEP+. Quelle sera la réaction du géant pétrolier saoudien Saudi Aramco? Ryad se lancera-t-il dans une guerre des prix avec Moscou, qui ne s’est pas rallié à la demande de l’OPEP pour ne pas favoriser davantage les producteurs de schiste d’Amérique du Nord? L’industrie américaine a en effet jusqu’à présent comblé le vide laissé par les restrictions de l’Organisation. Or le schiste américain ne serait rentable qu’à environ 50 $ le baril, soutiennent les raffineurs. Une guerre des prix bas entraînerait donc un déplacement vers d’autres marchés, veut croire Ryad. Encore faut-il que les prix bon marché stimulent la demande des raffineries chinoises…

La demande de tonnes-milles pour le transport par tankers devrait en être impactée dans la mesure où les fournisseurs de courte distance seraient favorisés: « Les producteurs du Moyen-Orient auront un avantage en Asie par rapport aux producteurs du bassin atlantique. Les producteurs de schiste américains cibleront davantage de clients en Europe du Nord-Ouest et en Méditerranée », indique Poten dans un de ses rapports hebdomadaires.

Le courtier new-yorkais gage sur la plasticité du segment: « Les tankers sont flexibles et peuvent être redéployés. Avec la baisse des prix, les VLCC bon marché vont empiéter sur les Suezmax dans le bassin atlantique et ils peuvent être aussi utilisés pour le stockage flottant. »

Divers rapports, dont celui de Fearnleys, ont en effet pointé cette tendance aidée par le contango (ou report sur les marchés à terme). Une situation où le pétrole au comptant devient moins cher que celui livrable à échéance d’un contrat à terme. Résultat, une fois les cuves pleines au sol, les supertankers deviennent des unités de stockage supplémentaires, permettant aux négociants de garder un peu plus de pétrole au frais en attendant des jours meilleurs. Et ce stockage devient particulièrement rentable lorsque le contango se creuse suffisamment pour que la différence de prix entre des livraisons immédiate et future couvre les frais de stockage. Les récents affrètements pour une courte période de six mois de VLCC confirmerait cette tendance.

In fine, les analystes sont nombreux à penser que le maintien de la production par lespays de l’OPEP+ est une donne globalement favorable au transport maritime de pétrole.

À l’échec de la réunion de l’OPEP à Vienne, les cours des actions des géants pétroliers chinois China Merchants Energy Shipping et Cosco Shipping Energy Transportation ont en tout cas réagi par un sursaut de plus de 9 %. Et dès le 10 mars, l’indice Baltic Clean Tanker Index (BCTI), moyenne des prix pratiqués sur cinq routes de produits pétroliers raffinés, atteignait 743 points, un niveau plus atteint depuis la mi-janvier. L’indice Baltic Dirty Tanker Index (BDTI), moyenne des taux pratiqués sur onze routes de transport de pétrole brut, repartait également à la hausse.

Sur le marché hautement spéculatif du pétrole, la vérité d’un jour n’en est plus une le lendemain…

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