Les engins de chantier ont quitté le nouveau méga hub que Deutsche Bahn (DB) fait construire à Lehrte, une importante plaque-tournante ferroviaire du Centre Nord de l’Allemagne. Entrée en phase test, la nouvelle plateforme, qui aligne six quais de 700 m et un chemin de roulement pour six portails, doit permettre des échanges plus rapides entre Hambourg, Berlin, Brunswick, Hanovre ou Duisbourg. Pour Deutsche Bahn, ce projet doit être un des symboles du renouveau tant espéré dans les domaines du transport de marchandises par le rail et du multimodal. Car outre-Rhin, le fret ferroviaire et son principal acteur DB Cargo se portent mal.
Non content de se trouver en concurrence frontale avec la route, dans un pays où les constructeurs automobiles ont longtemps fait la pluie et le beau temps, l’activité a fortement souffert de la politique de « rationalisation » menée jusqu’en 2017 sous le règne de Rüdiger Grube, ex-CEO de Deutsche Bahn. Depuis 2008, DB Cargo a ainsi été soumise à six restructurations successives. Quelque 4 000 postes ont été supprimés et la direction remaniée une vingtaine de fois. Enfin, une grande partie du matériel roulant a été vendue ou envoyée à la casse.
DB Cargo malmené par les Suisses
Résultat, le n° 1 allemand du fret ferroviaire manque de conducteurs et de capacités, perd de l’argent et des parts de marché. Sur la période 2015-2018, ses pertes ont atteint 555 M€. Pour 2019, le déficit pourrait même atteindre les 300 M€. Selon un audit interne, les parts de marché de DB sur le fret ont reculé, passant de 79 % à seulement 48 %. Le plus sérieux des concurrents, le Suisse SBB Cargo International, détient déjà 15 % de parts du marché allemand. Enfin, le fret ferroviaire allemand continue à se tasser face à la route. En 2016, la part des marchandises qui transitaient par le rail était de 18,8 %. Elle n’est plus que de 18,5 % en 2019.
Toutefois, la situation devrait changer. À la mi-janvier, le gouvernement fédéral et la DB ont en effet signé le troisième Accord de performance et de financement (LuFV III) qui porte sur le financement du matériel, de la maintenance et de l’extension du réseau ferré national. L’accord prévoit une enveloppe globale de 86 Md€ sur dix ans (64 Md€ donnés par l’État, le reste apporté par la DB), soit 3,2 Md€ par an de plus que sur la période précédente (2015-2019). Un revirement de la stratégie nationale dicté par les impératifs climatiques et la nécessité de rénover les infrastructures.
Décennie du rail
Le financement est complété par une subvention publique de 11 Md€ sur dix ans, pour moitié consacrée au capital propre de l’entreprise et pour moitié à la numérisation du réseau et au multimodal. Pour mener ce chantier, le patron de Deutsche Bahn Richard Lutz a recruté Sigrid Nikutta qui intègre le directoire de l’entreprise, responsable de DB Cargo et du fret ferroviaire. Après un début de carrière chez Deutsche Bahn, Sigrid Nikutta avait rejoint la « RATP » berlinoise, dont elle a fini par redresser les comptes. Elle devra placer, cette fois, DB Cargo en orbite, alignée sur un objectif ambitieux. Le fret ferroviaire doit en effet atteindre les 30 % de parts de marché d’ici à 2030. « Cela va être la décennie du rail. J’attends que la DB saisisse sa chance », a déclaré le ministre des Transports Andreas Scheuer lors de la signature de LuFV III.