Pourquoi le RIF peine à convaincre

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En cinquante ans, le pavillon français est passé de la 4e à la 30e place des flottes mondiales. En réaction, la France a créé un second registre. Quinze ans après sa création, seuls 86 navires de transport, 169 navires de travaux et services maritimes et 74 yachts de plaisance professionnelle sont armés sous le registre international français. Une maigre pêche.

Créé en 2005, le registre international français (RIF) a pris la suite, en tant que pavillon français bis, du registre des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), dit « pavillon Kerguelen », dont la création remontait à 1986. Il offre le même niveau de sécurité que le premier registre, mais bénéficie de conditions largement dérogatoires au droit social français: seulement 25 à 35 % d’Européens au sein des équipages selon que l’acquisition du navire bénéficie ou non d’aides fiscales, d’exonérations d’impôts et de contributions sociales pour les marins, etc. Le RIF a enregistré ses premières immatriculations de navires en 2006. Mais s’il a bien été inscrit sur la liste blanche du Mémorandum de Paris (accord international sur le contrôle des navires par l’État du Port), il est en revanche considéré comme un pavillon de complaisance par l’ITF, la Fédération internationale des ouvriers du transport.

Le RIF avait cependant réussi à capter 250 navires (100 de transport et 150 de services maritimes) aux termes de ses deux premières années d’existence, plafonnant ensuite sous les 300 unités jusqu’en 2012, avant de décliner ensuite. Alors que le nombre de navires de services a connu des hauts et des bas, le repli dans la catégorie « transport de marchandises » immatriculée au RIF a en revanche été constante de 2008 à 2015, avant de remonter à partir de 2018. Pour accroître encore son attractivité, le deuxième registre du pavillon français a été progressivement aménagé: exonération totale de contribution patronale sur les salaires prévue par la loi sur l’économie bleue de 2016, assouplissement de la francisation, et même, depuis 2019, la gratuité de l’inscription des hypothèques… Pourtant, le RIF plafonne.

Pour Louis-Dreyfus Armement, le choix du RIF s’est imposé pour les câbliers, les navires en support à l’éolien offshore ou encore les rouliers utilisés pour les transports d’Airbus. Soit une quinzaine en tout. En revanche, une quinzaine de capesize ou handysize sont placés sous pavillon maltais. Le pavillon du Panama est quant à lui arboré par une vingtaine d’unités utilisées pour des opérations de logistique offshore au large de ports auxquels elles ne peuvent accéder. « Le Panama est plus simple pour immatriculer les gabarits hors-norme comme les transhippers, souligne Antoine Person, secrétaire général de Louis-Dreyfus Armateurs. Pour les vraquiers, qui ne passent que 2 à 3 % de leur temps dans des escales européennes, nous avons été contraints par la concurrence asiatique de choisir un pavillon permettant de naviguer avec un équipage entièrement composé de marins philippins. Celui de Malte, pour rester en Europe. »

Justifier les surcoûts

Ne sont donc immatriculés au RIF, chez Louis-Dreyfus Armement, que les navires opérant sur des marchés de niche et effectuant des opérations à haute valeur ajoutée justifiant le surcoût des marins français. Les coûts d’exploitation et sociaux sont en effet défavorables au RIF en raison de contraintes supplémentaires par rapport à d’autres pavillons, même européens. Parmi elles, l’anticipation de la norme internationale sur le diagnostic technique amiante se traduit par un coût de 20 000 € pour un grand navire. Ou encore le RIF exige d’avoir un établissement stable dans le pays du pavillon, alors que d’autres se contentent d’une simple boîte aux lettres. Aussi, le droit social français impose ses règles quant à la nationalité des officiers présents à bord. Mais le surcoût lié à l’emploi de marins français provient surtout, selon Antoine Person, du temps effectif de travail à la mer: alors qu’un marin philippin est embarqué pour 7 à 8 mois d’affilée, un français ne passe que deux mois en mer pour un temps équivalent à terre. Il faut donc, pour occuper un poste à bord, deux Français quand un Philippin suffit. Ce qui conduit, hormis pour le cas particulier des yachts de plaisance professionnelle, à employer des officiers français et du personnel d’exécution étranger, souvent philippin.

La formation dont bénéficient les officiers français justifie leur emploi à bord des navires de services maritimes. « En France, la formation des navigants est exceptionnelle, car ils sont formés aussi bien au pont qu’à la machine », ajoute Antoine Person.

Sur un câblier ou un navire sismique, le moindre incident engage parfois des millions de dollars dès la première minute. L’obligation qu’a ce navire de ne pas tomber en panne et la qualité des équipages embarqués justifient pleinement le surcoût du pavillon et du marin français. C’est pourquoi LDA a progressivement rapatrié sous le drapeau français ses câbliers, qui étaient précédemment sous pavillon danois. « Dans l’éolien offshore, nous avons un navire tournant depuis six mois sur un premier champ en Allemagne. Nous prouvons qu’un équipage français, un peu plus cher, offre une efficacité supérieure. Cette différenciation est difficile dans une activité aussi simple que le vrac. »

Sans cette obligation…

La qualité de la formation française des officiers est aussi mise en avant par Stéphane Huchet, directeur général d’Euronav Ship Management, armement pétrolier qui exploite sept pétroliers immatriculés au RIF: « La formation des officiers français, en leur donnant une grand polyvalence, est un atout car il faut, pour le pétrole, connaître la machine pour bien décharger son navire ». Pour le dirigeant, le nombre d’officiers formés dans les écoles françaises est cependant trop faible. « La disponibilité de la ressource humaine est problématique, notamment du fait des durées d’embarquement. Ce pourrait être, à l’avenir, un frein au développement du pavillon français ».

Basé à Nantes, la filiale française de l’armement pétrolier belge Euronav maîtrise le choix des pavillons sous lesquels naviguent ses navires. Mais c’est à Anvers que se prennent les décisions. « Depuis 2014, le groupe a multiplié par trois sa flotte, explique Stéphane Huchet. Les dirigeants ont donc eu à opter pour un pavillon une quarantaine de fois. » Le choix du RIF s’explique ici par la loi de 1992 qui sécurise l’approvisionnement pétrolier en contraignant les raffineurs opérant en France à armer des navires francisés.

« Sans cette obligation, il n’y aurait plus de transporteurs de brut ou de produits raffinés sous pavillon français, assure Stéphane Huchet. Les quatre armements pétroliers français appliquent ce dispositif, certains pour des raisons fiscales, mais ce n’est pas notre cas, puisque la propriété de nos navires est en Belgique ». Quant aux clients, croit savoir l’armateur, la couleur du pavillon importerait peu.

Le cadre dirigeant y voit d’autres avantages. « La responsabilité de l’État français sur certaines zones géographiques, au titre du RIF, se traduit par un accompagnement plus poussé, avec des recommandations selon les zones de navigation. Tous n’ont pas cette démarche. » Enfin, le directeur d’Euronav France salue les efforts de l’administration française: « Le changement de pavillon se fait désormais très rapidement et très simplement, sans formalités complexes. »

La CMA CMG et le RIF

Premier armement français, la CMA CGM possède ou affrète coque nue près de 190 porte-conteneurs. Seuls 24 d’entre eux étaient sous pavillon français RIF début 2019. Dans la perspective du Brexit, l’armement a transféré en 2019 ses navires jusque-là sous pavillon britannique vers des pavillons de l’Union européenne: 47 sous pavillon maltais et seulement 4 sous pavillon tricolore. C’est ce second registre français qui a également été choisi pour le Jacques Saadé, premier des mégamax de 23 000 EVP au GNL et qui seront tous immatriculés au RIF. Pour cela, la CMA-CGM a obtenu un assouplissement de la réglementation, qui permet désormais à titre transitoire, en cas d’accroissement de la flotte, la présence d’un seul officier français à bord.

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