Depuis des décennies, les terminaux rouliers localisés au cœur des métropoles comme Dakar, Conakry, Abidjan ou encore Cotonou constituent les points d’entrée de véhicules usagés, essentiellement européens, pour répondre à la demande de consommateurs pas assez fortunés pour en acquérir des neufs. Un pan entier de l’économie formelle et informelle ouest-africaine se structure autour de ces centaines de milliers de véhicules qui doivent être manutentionnés, parqués, réparés, nettoyés, surveillés… et écoulés chaque année. Pour les ports et les opérateurs de terminaux, le modèle économique est simple: le terminal sert de parking sécurisé payant et les rentes de l’immobilisation foncière s’avèrent intéressantes jusqu’à ce que soit atteint le point de saturation. Il faut alors accélérer l’écoulement des véhicules vers d’immenses parkings localisés aux périphéries des agglomérations. Le plus grand de ces parkings s’est longtemps trouvé entre le terminal roulier du Port de Cotonou et la frontière terrestre nigériane. À ses plus belles heures, il abritait un demi-million d’unités!
Diverses initiatives
Cela pose de vrais problèmes de congestion et de saturation, tant sur les terminaux à proprement parler que sur les abords métropolitains. Des zones tampons avec des parkings sécurisés ont été encouragées, comme à Dakar, mais les services de brouettage nocturnes des véhicules sur des plateaux ont un coût que les opérateurs économiques ne veulent pas nécessairement assumer. À Abidjan, l’extension récente des capacités de stockage du terminal roulier, porté à 8 ha, veut servir la croissance annoncée du marché domestique. Actuellement estimé à un demi-million de véhicules, ce marché va profondément se transformer suite à l’engagement du gouvernement d’interdire les importations de véhicules légers de plus de cinq ans et des camions de plus de dix ans. Au Ghana, ce sont des droits de douanes différenciés qui devraient épurer les importations de véhicules usagers. En Guinée, un système de malus écologique devrait aussi avoir le même effet sur la filière. Au Nigéria, décision encore plus radicale avec l’interdiction pure et simple d’importer des véhicules depuis le voisin béninois, qui fut pourtant pendant des décennies l’immense garage à ciel ouvert de la mégalopole de Lagos.
Confiance des armements
Pour les terminaux portuaires, le défi sera triple: anticiper un tarissement programmé des importations; attirer de nouveaux trafics rouliers à plus forte valeur ajoutée linéaire, comme les engins du BTP ou les poids-lourds qui vont devoir eux aussi être plus propres et plus récents; et développer des services logistiques sur les nouveaux flux, et notamment les voitures neuves de milieu de gamme qui ne sont pas importées dans des conteneurs maritimes.
La confiance des armements se manifeste dans le renouvellement récent de leur flotte (la petite cinquantaine de con-ro et ro-ro qui dessert les marchés ouest-africains affiche une moyenne d’âge de 8 ans). Ce qui laisse à penser que le secteur se prépare à absorber les conséquences structurelles de la transition écologique et industrielle prônée par les différents gouvernements et mise en oeuvre via leurs réformes.
Les spécialistes comme Grimaldi ont même modernisé leur flotte avec des capacités plus importantes et une combinaison con-ro significative afin d’absorber aussi la tendance du « tout-conteneur ».
Le secteur roulier ouest-africain va continuer sa transformation pour une dernière raison essentielle: l’ambition des pouvoirs publics de promouvoir la production et l’assemblage de véhicules neufs sur leurs territoires.
S’inspirer de Tanger-Med
Grand pourvoyeur d’emplois directs, le secteur automobile ouest-africain est embryonnaire, mais le Ghana, la Côte d’Ivoire ou encore le Nigéria veulent s’inspirer du modèle logistico-portuaire « africain » de Tanger-Med. Une marque qui se veut 100 % ghanéenne comme Kantanka assemble des voitures neuves dans la banlieue industrielle de Téma avec des pièces dessinées au Ghana mais importées de Chine par conteneurs. Toyota s’est engagé à sortir une voiture 100 % ivoirienne pour servir une classe moyenne supérieure concentrée essentiellement dans la métropole de 5 millions d’habitants d’Abidjan. L’industrialisation ouest-africaine se poursuit et les investisseurs chinois, indiens et turcs pourraient accélérer la transformation du secteur roulier, avec des impacts opérationnels à terme sur les transporteurs maritimes historiques et les manutentionnaires. Tout l’enjeu réside dans une offre de services qui conjugue les impératifs de la filière des véhicules d’occasion, l’exigence issue des flux croissants de véhicules neufs et la compétitivité d’un modèle logistique face aux armements et manutentionnaire exclusivement concentrés sur le conteneur.
Fini, sûrement, le spectacle surréaliste des files de voitures occidentales, à peine roulantes mais bourrées de marchandises aussi diverses qu’improbables, tirées par des cordes sur les terminaux de Douala ou de Conakry. Place à de nouveaux entrepôts logistiques sous douane, à même les nouveaux terminaux, pour participer à la transition écologique et industrielle qui permettra à la ville portuaire africaine de devenir vraiment durable
(Délégué général de la Fondation Sefacil, centre de ressources sur les stratégies maritime, portuaire et logistique)
Les investisseurs asiatiques et turcs pourraient accélérer la transformation du secteur roulier, avec des impacts sur les transporteurs maritimes historiques et les manutentionnaires.