À Fos, les success stories autour de l’économie circulaire débutent bien souvent par des discussions entre industriels adhérents à l’association Piicto (plate-forme industrielle et d’innovation du Caban Tonkin). En l’occurrence pour l’entreprise de travaux publics et le spécialiste de la chlorochimie, tout commence en 2014 quand Eurovia aménage à Fos une plateforme Jean Lefebvre. Sa vocation première consiste à valoriser les déchets minéraux de l’industrie. « Elle est exploitée par notre filiale Calcaires Régionaux et est entièrement dédiée à l’économie circulaire, explique Benoît Weibel, responsable Développement d’Eurovia dans le Sud. Elle trie, concasse, crible les matériaux issus des déchets de l’industrie qui sont plus complexes à valoriser que ceux du BTP. » En 2017, le groupe se rapproche d’Ascométal et valorise 10 000 tonnes de laitiers par an. « Les tests avec les laitiers donnent d’excellents résultats sur les structures de chaussée », souligne Benoît Weibel. Eurovia, « groupe modèle » pour le député François-Michel Lambert, emblématique fondateur de l’Institut de l’économie circulaire, ne s’arrête pas en si bon chemin. À 4 km de la plateforme, une colline immaculée de 60 000 t se déploie. Quel est donc ce sable blanc et fin ? Kem One extrait du chlore et de la soude par électrolyse et stocke des produits indésirables issus de la réaction. Communément appelés boues de saumure, il s’agit en fait du carbonate et de l’hydroxyde de sodium. « Saturer les centres d’enfouissement avec des déchets non dangereux mais non inertes est une hérésie ! », s’insurge Jean-Philippe Gendarme, président de Piicto et directeur de deux sites industriels de Kem One.
600 camions pour évacuer des boues de saumure
Chaque année, 15 000 t de saumure sont évacués par camion, soit un flux de 600 camions sur un axe déjà saturé qui mène au terminal à conteneurs de Fos et aux entrepôts logistiques.
Kem One et Eurovia se rapprochent en 2015 et lancent, avec l’appui de l’Ademe et de la Région, « Vabosco », un programme de recherche destiné à identifier des voies de valorisation des boues de purification de saumure dans les sous-couches routières. Les études techniques réalisées par Ineris ont permis de qualifier les matériaux et de valider les essais. « Pour sortir un produit de son statut de déchet, nous devons démontrer que nous apportons une valeur applicative ajoutée », précise Jean-Philippe Gendarme.
La direction technique d’Eurovia a donc mené des tests en laboratoire pour caractériser les produits et faire des mélanges avec d’autres coproduits. « Nous avons réalisé un chantier témoin, puis aménagé un quai de 4 000 m2 avec différentes planches d’essais. Actuellement, nous finalisons avec la Dreal le cadre réglementaire pour que ce déchet devienne un produit », précise Benoît Weibel.
BA ou business ?
Eurovia prévoit de commercialiser ces sous-couches routières dès 2020 auprès des entreprises de travaux publics qui seront chargées d’aménager la zone industrielle de Fos. « Ce produit se substitue à d’autres matériaux d’origine non renouvelable », ajoute Jean-Philippe Gendarme, qui évoque un impact économique notable pour Kem One avec l’arrêt de l’enfouissement.
De son côté, Eurovia annonce des bénéfices minimes compte tenu du coût d’évacuation et de la valorisation de ces déchets. « En matière d’économie circulaire, si vous cherchez le jackpot tout de suite, vous ne trouverez pas de partenaire et le projet ne se fera pas ! », assène Jean-Philippe Gendarme. « Tant qu’on ne comprend pas que les déchets coûtent, nous n’avancerons pas. Nous avons signé un accord commercial et nous sommes rémunérés pour traiter leurs déchets, en faire un produit et le valoriser. Cela permet de couvrir nos frais, mais les bénéfices ne sont pas mirobolants », confirme le représentant d’Eurovia. Le groupe s’intéresse également aux mâchefers issus de l’incinérateur à ordures ménagères Evéré.