Révolution. Un terme un peu trop facilement apposé dès lors qu’il s’agit de technologies. En l’occurrence, le langage a contaminé le secteur portuaire et pas une conférence ne dérogerait désormais à la règle de mettre à l’ordre du jour l’intelligence artificielle, l’IoT, la blockchain et tous les autres équipements connectés qui capitalisent sur les solutions numériques et la valorisation des données (massives dans ce secteur) pour identifier plus précisément la demande et améliorer l’offre de services. Étant convenu par tous les acteurs que c’est là que réside LE facteur-clé de différenciation dans un contexte mondial ultra compétitif entre places portuaires. Tout port qui se respecte se doit désormais d’être ce qui est « ramassé » sous un autre emprunt lexical aux Anglo-Saxons: le fameux smart port, dit port intelligent. « L’interface numérique des ports va devenir presque aussi importante que leur infrastructure physique pour leur permettre d’attirer toujours plus de marchandises », disent les uns. « Sur ce sujet, les grands ports de marchandises ne partent pas de zéro », répondait une ancienne patronne de port, agacée par le fait que le « smart » ait colonisé le lexique portuaire. Non sans raison. Cela fait des années en effet que des logiciels innervent les métiers de la chaîne logistique et portuaire, avec notamment les CCS (Cargo Community System) et autres Maritime Single Window (MSW), qui permettent à toute la communauté, dans un même système, de prendre en charge, pour l’un, la gestion des marchandises (traitement, conditionnement, sécurité et traçabilité) via le tracing et tracking, et de gérer les escales pour l’autre (déclarations, planification, suivi opérationnel). Les nouvelles générations de ces logiciels intègrent désormais certaines innovations issues de la blockchain, de l’IoT, voire de l’intelligence artificielle (tels Ci5 de la marseillaise MGI et S.One de Soget), qui entrouvrent la porte à une logistique prédictive. Si la standardisation des technologies les rendent plus disponibles pour tous les possibles (le concept de « port intelligent » ne se limite pas à la seule performance logistique),de façon factuelle et au-delà des intentions, le « smart port » reste cantonné à quelques fonctionnalités.
Pragmatisme
Pour autant, les expériences (disparates) se multiplient de par le monde, en particulier du côté des leaders européens, Rotterdam, Hambourg et Anvers. En revanche, les initiatives au Sud restent encore timides, à l’exception toutefois d’Antalya, Istanbul et Haïfa. En retard par rapport à ses grands voisins du range nord, les ports français, à commencer par Le Havre et Marseille Nord, multiplient les projets tous azimuts. Au-delà de tout ce que l’on peut mettre dans le concept, les grands « faiseurs infologistiques » du marché français – Soget et MGI – partagent (au moins) la même perception pragmatique: suivi et pilotage, analyse des données, indicateurs de performances pour l’optimisation de la gestion du passage de la marchandise et la fluidification des flux. Une chose est certaine. L’émergence de ces technologies crée une bataille entre armateurs, opérateurs portuaires, ports et prestataires logistiques, le contrôle des données (et donc de l’information) étant devenu l’enjeu et la numérisation des chaînes logistiques maritimes, un moyen d’y accéder. Il restera à gérer une autre problématique de taille. Qui dit technologies dit nouvelles vulnérabilités. Il n’y a pas que des logiciels bienveillants…