« Une indication du chemin restant à parcourir »

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Au Royaume-Uni, ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui et le sera encore moins demain. Plus personne n’est aujourd’hui en mesure de dire si quelque chose de concret sortira des négociations entre l’UE et le Royaume-Uni. Quelle perception avez-vous de la situation?

Blandine Huchet: Il est inquiétant de penser que, si un accord est conclu d’ici octobre, son avenir (et donc, la mise en place d’une période de transition) est suspendu à la bonne volonté des alliés de Theresa May. Le spectacle donné par la scène politique britannique ces dernières années ne m’incite guère à l’optimisme. Le message envoyé par Bruxelles et Paris aux opérateurs n’est pas plus rassurant. En somme, on nous dit: « préparez-vous au pire… et, s’il ne se produit pas, on ne peut pas encore vous dire ce qu’il se passera ». Dans ces conditions, difficile de mettre à profit les sept mois restants.

Si l’on s’en tient au document « livré » par Theresa May aux commissaires européens, qui au passage le considèrent comme une base de négociations alors que la Première ministre prévient qu’il ne s’agit pas « d’une longue liste de souhaits dans laquelle les négociateurs peuvent piocher », êtes-vous davantage fixée sur les conditions de sortie?

B. H.: Si vous faites référence au 31 mars 2019, c’est assez clair, et ce, depuis un certain temps. Soit aucun accord n’est trouvé et le Royaume-Uni devient un État tiers du jour au lendemain. Soit un accord est trouvé et l’acquis communautaire reste applicable jusqu’au 31 décembre 2020. Au-delà, nous restons dans le flou. Un terrain d’entente semble se dessiner sur la sécurité, la défense ou les échanges de données personnelles.

Mais pour ce qui nous importe au plus haut lieu, les déclarations de Michel Barnier à l’issue de ses premières rencontres avec Dominic Raab (ministre du Brexit qui a remplacé le démissionnaire David Davis, ndlr) sont claires: le volet économique de la future relation est très compliqué.

Theresa May a exclu que la Grande-Bretagne reste dans une union douanière. Mais la nouvelle zone de libre-échange pour les biens doit permettre, via l’instauration d’un « arrangement douanier simplifié », de maintenir un commerce « sans friction » avec le continent. Cette proposition est-elle réaliste?

B. H.: Le Royaume-Uni demande grosso modo à bénéficier d’un cadre similaire à celui qui régit l’Espace économique européen (EEE) – mêmes règles, accès réciproque au marché –, produits agricoles étant exclus. Mais il néglige trois éléments essentiels de l’EEE: les pays non-UE ne participent pas à l’élaboration de la réglementation de l’EEE. Ils contribuent au budget européen. L’EEE ne couvre pas seulement les biens, mais aussi les personnes, les capitaux et les services! D’autre part, le livre blanc n’explique pas comment ces règles communes seront élaborées. C’est un énorme point d’interrogation qui engage la crédibilité de l’ensemble des propositions britanniques.

Les droits de douane sur les importations étant harmonisés à l’échelle de l’UE, le Brexit pourrait impliquer une réintroduction des procédures douanières. Quels pourraient être les modèles inspirant les futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni?

B.H.: Actuellement, l’UE a formé trois unions douanières « externes » (en plus de celle, interne): avec la Turquie, Andorre et San Marin. Elles ne sont pas identiques: l’union avec la Turquie est la moins intégrée.

Cette précision faite, Theresa May joue avec les mots et sa proposition ressemble beaucoup à une union douanière. Le Royaume-Uni appliquerait la réglementation européenne pour les produits entrant dans l’UE via le territoire britannique, et ses propres règles pour les marchandises destinées à son marché domestique. La frontière douanière européenne serait donc délocalisée sur le territoire britannique, avec les formalités et contrôles liés. Cela implique que le Royaume-Uni continue à utiliser un système informatique européen, ou que tout nouveau système soit compatible afin qu’il puisse échanger avec les administrations douanières des 27.

Les prérequis pour ce système sont extrêmement complexes, et je ne suis pas convaincue qu’il y ait un intérêt réel pour les opérateurs économiques.

Un accord de reconnaissance mutuelle via un statut d’opérateur économique agrée a également été évoqué…

B. H.: Le Royaume-Uni propose une reconnaissance mutuelle, et c’est une bonne chose. Attention à ne pas y voir une solution miracle toutefois car la mise en place d’un tel processus prendra du temps. Aujourd’hui, les entreprises qui ne commercent qu’avec les 27 et le Royaume-Uni ne peuvent pas être OEA puisqu’elles ne font pas de commerce international.

En d’autres termes, les entreprises les plus impactées par le retour de la frontière douanière sont celles qui ne pourront pas bénéficier des avantages liés au statut d’OEA, du moins dans un premier temps. Le Royaume-Uni propose aussi la création d’un statut de « trusted trader », qui permettrait aux entreprises de ne pas avancer les frais douaniers. Mais dans quelles conditions et suivant quelles formalités?

Armateurs de France avait alerté sur le fait que le Royaume-Uni pourrait restreindre aux navires sous pavillon européen l’accès à son marché domestique. Le livre blanc apporte-t-il des éclairages à cet égard?

B. H.: J’ai noté que le Royaume-Uni n’a pas d’inquiétudes particulières sur l’accès des navires sous pavillon britannique au marché européen… mais ne dit pas mot sur l’accès des navires sous pavillon européen à son marché, qu’il soit international ou domestique. Une confirmation serait bienvenue. Cela étant, aucun gouvernement n’a intérêt à jouer à ce jeu-là: des compagnies britanniques exploitent des navires sous pavillon européen et vice versa.

Le Brexit soulève des inquiétudes concernant une possible restriction de la liberté de travailler au Royaume-Uni pour les ressortissants des États membres de l’UE.

B. H.: Comme le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace Schengen, il n’y aura pas de modification des conditions dans lesquelles les relèves d’équipage ont lieu sur le territoire britannique. Il faudra que le Royaume-Uni et les 27 s’entendent sur la reconnaissance mutuelle des brevets qu’ils délivrent, mais ceux existants restent valides: il ne devrait donc pas y avoir là de goulet d’étranglement.

Nous n’avons pas de statistiques sur la nationalité des sédentaires employés par nos adhérents sur le territoire britannique mais, en l’absence d’alerte de leur part, je n’anticipe pas de difficulté majeure. Le livre blanc évoque la possibilité d’effectuer des séjours courts sans visa, sous réserve de réciprocité. Il est certain que le processus d’expatriation sera plus complexe et coûteux.

Le gouvernement britannique ne sera plus tenu de respecter les guidelines européennes relatives aux aides d’État. La taxe au tonnage ne pourrait-elle pas être mise en œuvre dans des conditions plus avantageuses?

B. H.: Le document évoque le soutien de principe au contrôle des aides État, et l’engagement du gouvernement britannique à poursuivre leur contrôle sous la houlette de la CMA (Competition and Markets Authority). Il souhaite que le régime applicable aux aides d’État soit commun à celui des 27, à l’exception de l’agriculture, des marchés publics et de la politique fiscale.

Les navires sous pavillon britannique perdront le statut communautaire avec le Brexit, avec un impact mécanique sur la taxe au tonnage. Une des conditions d’éligibilité est en effet de maintenir ou augmenter la proportion du tonnage sous pavillon européen. Il faudra trouver des aménagements pour faciliter la transition.

Une fois en dehors de l’UE, le Royaume-Uni ne pourra-t-il pas octroyer des subventions à sa seule discrétion, conformément à son droit de la concurrence?

B. H.: Non seulement il n’y a pas de mécanisme en place pour adopter, et encore moins contrôler, des règles communes, mais le « détricotage » du régime actuel est déjà annoncé: agriculture, marchés publics et fiscalité. Il est peu probable que le gouvernement britannique puisse se permettre, budgétairement, de lancer de grands programmes de subventions. Néanmoins, la concurrence tient parfois à peu de choses et des aménagements mineurs du régime de taxe au tonnage peuvent constituer un coup de pouce non négligeable pour les armateurs britanniques.

In fine, qu’avez-vous lu d’éclairant, si tant est que…

B. H.: Le plus intéressant reste finalement la déclaration de Michel Barnier le 20 juillet à l’issue d’une semaine de négociations et d’une rencontre avec le nouveau ministre du Brexit. Il s’agissait d’une première réaction « de fond » de la partie européenne sur le document de Theresa May. Si Michel Barnier a accueilli positivement certains éléments, qui constituent une base de travail pour la poursuite des négociations, il a aussi soulevé de très nombreuses questions, aussi bien pratiques que juridiques et politiques. Cela n’est pas encourageant, mais donne une indication du chemin restant à parcourir.

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