Pour Marseille-Fos, qui se rêve « porte Sud de l’Europe », le maillage de son hinterland avec un bon rapport modal « coût, délai, qualité » est devenu l’alpha et l’oméga de sa reconquête.
Christine Cabau-Woehrel, la présidente du directoire du GPMM, ne manque pas une occasion publique pour plaider en faveur de son prolongement terrestre: « Quand on développe un port, il faut s’occuper de ce qui se passe sur les quais mais aussi à terre. La bataille des parts de marché avec les ports du Nord de l’Europe se gagnera à terre par la massification des flux ».
Sur les quais phocéens, toute l’énergie est en effet concentrée sur le « rapatriement » de volumes « évadés » au profit de ses comparses nord-européens, qui avec leur hinterland de longue portée, sont parvenus à capter des trafics pourtant dévolus à des régions plus… au sud. Et notamment l’aire d’influence du port de Marseille-Fos – l’axe rhodanien, voie irriguée par le fleuve et le rail, au potentiel de 600 000 conteneurs – où ils règnent avec 51 % de parts de marché à l’import pour les conteneurs et 31 % à l’export.
Raison pour laquelle les autorités portuaires, les instances professionnelles et les collectivités locales ont ferraillé pendant deux ans pour arracher l’inscription du premier port français sur deux des corridors du Réseau transeuropéen de transport (RTE-T)
110 km ferrés
Hors théorie, la part massifiée des dessertes de Marseille-Fos est restée stable ces 12 dernières années alors que les trafics ont doublé. En 2017, quelque 16 % du trafic conteneurisé (1,4 MEVP, + 10 %) ont eu recours aux modes massifiés. « Nous représentons le premier ensemble fluvio-portuaire français avec 103 Mt. Nous avons augmenté la part de conteneurs transitant par le fer de 60 % ces 4 dernières années », se défend Christine Cabau-Woehrel.
En 2017, 140 000 conteneurs ont été achéminés par rail, en croissance de 14 %. Le fluvial était, lui, en repli de 5 %, à 79 000 EVP. Une quinzaine d’opérateurs de transport combiné desservent actuellement les installations phocéennes et couvrent une petite trentaine de destinations.
En dépit de ses 110 km ferrés, connectés au réseau national, d’une très bonne desserte fluviale dans l’estuaire du Rhône via un canal qui donne accès aux terminaux de Fos, le « seul port du Sud de l’Europe à bénéficier d’une desserte quadrimodale » reste dominé par la route pour 85 % du pré et post-acheminement.
Pourtant, la desserte de la Zip de Fos est médiocre, alimentée par des axes routiers secondaires, traversant des agglomérations, sans connexions directes au réseau autoroutier qui la raccorderait aux principales aires de son hinterland, la vallée du Rhône et l’arc languedocien.
Pour autant, la direction portuaire ne démord pas de son objectif: 30 % du trafic conteneurisé en modes massifiés à horizon 2020-2030. Soit 1,75 MEVP en 2020. Il y aurait alors 130 000 EVP acheminés par le fleuve et 192 000 conteneurs par le rail. Pour ce faire, ces dernières années, elle a investi entre 70 et 80 M€ par an en faveur du report modal.
Les autorités portuaires s’attendent à des lendemains prometteurs grâce à quelques infrastructures jugées « nécessaires » à la massification.
Parmi celles-ci, la réalisation d’une rotule entre les deux terminaux implantés dans la darse 2 à Fos doit « combler le trou » de façon à « créer un linéaire de quai continu de 2,6 km ». Attendu pour 2019, cet aménagement de quelque 30 M€ permettra d’accueillir des navires (maritimes) plus grands et de fluidifier l’accès aux fluviaux.
Fixer des activités logistiques
Pour accompagner le « ferroviaire », la grande affaire reste la réalisation d’un terminal trimodal d’une capacité de 150 000 conteneurs par an. L’opération prévue depuis 2015 sur un site de 10 ha à Mourepiane (au nord de Marseille) pâtine en raison de franches oppositions révélées par le débat public et de négociations difficiles entre l’État et la SNCF pour la cession des terrains.
Si le territoire « se débrouille bien », il pourrait surtout tirer profit de sa disponibilité foncière, a fortiori dans un contexte de saturation des ports du Nord de l’Europe. « à Rotterdam, ils ont compris la valeur ajoutée du report modal et de la logistique qui permettent de recomposer les flux pour les réexpédier plus loin », défend Jean-Philippe Salducci, le président de l’UMF.
Les industriels et logisticiens qui s’implanteront dans la Zip de Fos seront des émetteurs/récepteurs de flux terrestres, signifie Jean-Christophe Baudouin, qui pilote le Conseil interportuaire de l’axe Méditerranée-Rhône-Saône. « L’annonce de Quechen obtenu contre Rotterdam est de bon augure (Marseille-Fos est en négociation ultime avec le n° 3 mondial de la silice pour accueillir son usine européenne, NDLR). Avec des projets comme Piicto, dédié aux innovations, Marseille-Fos devient une plateforme intéressante. Il convient désormais d’optimiser l’articulation port, fleuve, fer ».
« Le trafic d’électrodépôt ne passait pas par Fos. En s’installant à La Feuillane, il va générer des volumes supplémentaires », illustre Christine Cabau-Woehrel. En 2017, 55 ha de surfaces logistiques et entrepôts ont été commercialisés. 50 ha le seront cette année.
« C’est cette dynamique-là qui m’intéresse, concluait-elle à l’occasion d’une conférence de presse. Moi, j’adore le mythe des 100 Mt de trafic mais je préfère parler du port comme un outil créateur d’emplois et de valeur ajoutée pour les entreprises. C’est moins spectaculaire mais bien plus intéressant ».
* Les corridors multimodaux mer du Nord-Méditerranée et Méditerranée, et leurs armatures ferroviaires de fret respectivement n° 2 et 6 (cf. JMM n° 5087).