Ce n’est pas un hasard si, sur la centaine de navires au GNL circulant dans le monde, les deux tiers sont concentrés en Europe du Nord et en Baltique. Avec l’instauration en 2015 de la zone SECA à faible émission de soufre, les armateurs, les ports et les énergéticiens ont dû élaborer ensemble des solutions de soutage, par barge ou par camion (dans la limite de 300 m3) en fonction des capacités de livraison, de la fréquence de l’avitaillement et de l’environnement.
À Stockholm, le Seagas, premier avitailleur au monde de 160 m3, alimente le paquebot Viking Grace. La Belgique a emboîté le pas avec le souteur Engie Zeebrugge en service depuis juin 2017, alimenté par le terminal LNG Fluxys.
Rotterdam sera voué à devenir un grand hub européen d’avitaillement. Le Cardissa, avitailleur LNG de Shell, est, avec ses de 3 000 m3, un véritable petit méthanier. Il sera rejoint en 2020 par un deuxième souteur, opéré par MOL, pour Total Marine Fuels Global Solutions. En avril 2018, CMA CGM annonçait une commande historique de neuf porte–conteneurs à propulsion GNL dont les premiers arriveront sur le marché en 2020. Premier armateur fret de lignes conteneurisées à faire le pari du GNL, CMA CGM a pris soin de négocier en amont avec TMFGS à la fois le prix du gaz et l’avitaillement durant les dix prochaines années. Les caractéristiques de l’avitailleur de 18 600 m3 répondent non seulement aux besoins en carburant des navires de 22 000 EVP mais devraient permettre à CMA CGM de réaliser des économies.
« Ces navires au gaz seront déployés sur notre service reliant la Chine au nord de l’Europe. Nous voulions qu’une seule escale de ravitaillement pour un voyage complet contre deux aujourd’hui à Rotterdam et Singapour. Le port de Rotterdam était le mieux positionné pour fournir du gaz dans des conditions acceptables. Le contrat que nous avons signé avec Total porte sur un prix fixe », explique le PDG de CMA CGM Rodolphe Saadé. Reste à savoir si le GNL sonnera définitivement le glas des Bunker adjustment Factor.
Avantage compétitif
Au 3e trimestre 2018, le Titan LNG, premier ponton LNG de Skangas à entrer en service, sera voué à alimenter les navires en escale à Amsterdam, Anvers et Rotterdam. De l’autre côté de l’Atlantique, le port américain de Jacksonville est le premier à avitailler au gaz en alimentant des porte-conteneurs par camion. En Asie, l’autorité portuaire de Singapour, en collaboration avec Shell, va investir 4,5 M$ dans la construction de deux souteurs au GNL qui seront livrés en 2020.
Dans la perspective de l’entrée en vigueur de Global Cap en 2020, les grandes manœuvres autour de l’avitaillement au GNL ont commencé dans les ports d’Europe du Sud. « L’offre de soutage GNL sera un avantage compétitif pour les ports qui en disposent. Pour les ports français, cela permettra d’attirer de nouveaux trafics tout en améliorant la qualité de l’air du port. Ceux disposant de solutions flexibles de production d’électricité à partir du GNL pour le cold ironing pourront aussi valoriser ce service auprès des armateurs », explique Alain Giacosa, directeur de la Plateforme GNL fondée en 2017 fédérant tous les acteurs de la filière. Dans cette course, les ports les mieux positionnés sont ceux qui accueillent des terminaux méthaniers et des navires-mères. Investir certes, mais gare à ne pas surinvestir… « Le GNL nécessite des investissements lourds et une bonne coordination entre tous les acteurs de la chaîne », prévient Benoît Duée, directeur de Fosmax LNF. Raison pour laquelle la filiale d’Elengy annonce un démarrage en douceur en soutant des ferries au moyen de six camions. « Des discussions sont en cours entre nos clients et les armateurs et nous serons prêts en 2019 », ajoute-t-il.
Á Marseille, les négociations portent à la fois sur l’avitaillement d’une future unité de Corsica Linea et des paquebots de Costa Croisières en septembre 2019, la maison-mère Carnival ayant signé un accord avec le groupe Shell pour la fourniture de gaz. Ce pourrait être à Marseille ou Barcelone qui possède déjà un avitailleur en service. MSC Croisières aurait choisi le port catalan pour ses futurs paquebots au GNL.
Effervescence
« L’Espagne a déployé un plan d’aide de 40 M€ pour améliorer les infrastructures et développer le soutage. Les Italiens essaient de doter les ports de Civitavecchia, La Spezia et Gênes d’un avitaillement au gaz. Venise a également un plan de passage au GNL. En Allemagne également, l’état fédéral investit 300 M€ sur cinq ans notamment à Hambourg. La Pologne est très active également pour doter Gdansk d’un soutage GNL », détaille Gilles Tesseyre, président du cabinet ArcturusGroup.
Selon les experts du secteur, les ports de l’Hexagone accusent un léger retard. Le Havre depuis mai 2016 propose du cold ironing au paquebot Aida Prima (alimentation depuis le quai des moteurs auxiliaires du navire) et depuis janvier 2018 à Marseille pour l’Aida Perla. « La première livraison de GNL carburant sera effectuée aux chantiers Damen de Dunkerque pour les essais en mer de la drague Samuel de Champlain en novembre 2018. Le GIE Dragage Ports a lancé un appel d’offres pour la fourniture de GNL aux ports où cette drague travaille (Nantes, Rouen, Le Havre) », complète Alain Giacosa.
Á sa livraison en 2019, le ferry Honfleur de Brittany Ferries sera approvisionné par la terre en gaz et non par la mer. « La fourniture de GNL se fera en isoconteneurs depuis Dunkerque vers le port de Ouistreham. Il n’y aura pas de stockage dans les ports », explique Pierre-Jean Bernardi, chargé du marketing au sein de Total Marine Fuels. L’année prochaine également, Bordeaux réceptionnera l’Ostrea (GIE dragage). Alain Giacosa précise que toutes ces opérations se font à partir d’un transport routier.