« Nous ne sommes plus seuls au monde. Arrêtons de parler de dégagement, de surplus, c’est négatif, nous devons aller chercher des clients en France et ailleurs dans le monde et il faut que nous adaptions notre production à la demande des clients ». C’est en ces termes que Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales, a introduit la 29e journée Céréales du port de Rouen, le 12 avril 2018. À cette occasion, nous avons traversé la Méditerranée avec Roland Guiragossian, responsable de la zone Algérie-Égypte pour France Export Céréales, pour un focus sur les enjeux de la zone Afrique du Nord, Proche et Moyen-Orient. Il faut rappeler que ces zones géographiques concentrent 400 millions d’habitants et, selon les projections, 110 millions de personnes supplémentaires sont attendues d’ici 2030. « Le blé est une denrée stratégique, le pain est à la base de l’alimentation, il n’y a pas de repas sans pain », rappelle Roland Guiragossian. Les pouvoirs publics savent que le pain est un facteur de paix social, et ils le subventionnent fortement, en Algérie, la baguette coûte 0,06 € et en Égypte 0,002 €. Cette politique de subvention entraîne nécessairement du gaspillage et de la surconsommation. « Parallèlement, les États essaient de développer la production locale par des prix d’achats très au-dessus des cours mondiaux (240 €/t en Algérie), mais ils doivent faire face à la rareté de l’eau, à l’urbanisation des populations et aux problématiques de stockage, donc malgré les efforts, les importations restent vitales », poursuit l’expert.
Concurrence exacerbée
Concernant l’Algérie, la France reste le premier fournisseur du pays, mais les parts de marché baissent: « Nous sommes concurrencés par des pays comme l’Allemagne, les pays baltes, mais aussi l’Argentine. Le cahier des charges algérien est adapté à notre qualité de blé pour le moment, mais cela pourrait changer à l’avenir », indique Roland Guiragossian. Concernant l’Égypte, depuis trois ans, les exportations françaises vers cette destination se sont effondrées. La France subit la concurrence exacerbée des pays de la mer Noire. Et le cahier des charges égyptien est plus exigeant en matière de protéine et d’humidité, car ils ont des types de panification et des conditions de travail différents. Autre particularité sur l’Égypte, c’est que le GASC achète sur les six premiers mois de campagne (la moisson commence le 15 avril dans ce pays) et, traditionnellement, la France n’est pas assez présente sur les marchés à cette période de l’année. Autre pays intéressant sur lequel on peut faire le focus, c’est l’Arabie saoudite. Il y a dix ans, le pays était autosuffisant, après avoir réalisé de lourds investissements, mais il a complètement changé de stratégie, désormais il dépend à 100 % des importations. L’Arabie saoudite importe 3 Mt de blé et elle devrait en importer 4,5 Mt en 2025 pour faire face à l’augmentation de la population.
Ce sont des régions du monde stratégiques pour les pays exportateurs mais des zones où la France ne cesse de reculer en termes de parts de marché. « Le blé français a la réputation de ne pas être élevé en protéines, mais il est apprécié pour son taux d’extrabilité. Il faut que le blé français puisse être amené à des coûts compétitifs et qu’il soit disponible dès le début de campagne », insiste Roland Guiragossian.
Et Jean-François Loiseau de conclure: « La filière céréalière doit s’industrialiser et se professionnaliser. Il y a des euros à gratter à chaque maillon de la chaîne pour gagner en compétitivité. Il faut remettre à plat le schéma d’organisation des organismes stockeurs (OS), vieux de 50 ans. Et que ce soit les agriculteurs ou les OS, chacun doit prendre ses responsabilités pour participer à la fluidité du marché. Fini le temps où le stockage était rémunérateur… ».