Le 6 juillet, le tribunal de l’Union européenne a rendu sa décision dans l’affaire qui oppose Corsica Ferries à l’État français et la SNCM. Dans sa décision, le Tribunal confirme que la somme des 220 M€ versés par la France à la SNCM constitue bien des « aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur ». Dans son argumentaire, le tribunal de l’Union européenne valide l’appréciation qu’a faite la Commission européenne. Cette dernière a estimé qu’un investisseur privé n’aurait pas procédé à la cession à un prix négatif de l’armement « dans le seul but d’éviter une action en comblement de passif ». Selon le tribunal, l’appréciation de la Commission est valide. Elle a pris en considération l’économie de marché dans son ensemble, considérant l’État français comme un « holding diversifié cherchant à maximiser ses profits et à protéger son image de marque en tant qu’investisseur global ».
Avec cette décision, et sans préjuger d’un éventuel pourvoi, c’est une affaire de plus de dix ans qui semble tirer vers sa fin. La SNCM s’est vue attribuer une délégation de service public depuis 1976 pour les liaisons maritimes entre la Corse et le continent contre une compensation. En 2002, la CGMF a fait un apport en capital de 76 M€. Le 9 juillet 2003, la Commission a accepté cet apport en capital que le tribunal a annulé par une décision du 15 juin 2005. En 2006, le capital de la société, détenu jusqu’ici par la SNCF et la CGMF, est ouvert au privé. La nouvelle donne du capital se fait à 66 % entre Butler Capital et Veolia transport, 25 % restent entre les mains de la CGMF et 9 % sont cédés aux salariés. En 2008, le 8 juillet, la Commission a confirmé son point de vue sur l’apport en capital de 76 M€ par la CGMF mais a aussi validé les mesures dans le cadre du plan de privatisation de 2006. Elles prévoyaient la cession à prix négatif de 158 M€, un nouvel apport en capital de 8,75 M€ et une avance de 38,5 M€ pour financer un plan social.
Tribunaux européens
Corsica Ferries a alors mené l’affaire devant les tribunaux européens. Le 11 septembre 2002, le tribunal a annulé la décision de la Commission. Une décision confirmée par la Cour, après un pourvoi du gouvernement français et de la SNCM, le 4 septembre 2014. Le 20 novembre 2013, la Commission européenne revoit sa copie. L’apport en capital de 15,81 M€ et les mesures de privatisation sont considérés comme des aides d’État illégales. Au final, la SNCM doit rembourser 220 M€ au gouvernement français. Cette somme cumule la cession à prix négatif de 158 M€, l’apport en capital de 8,75 M€, l’avance de 38,5 M€ et l’apport en capital de 15,81 M€ réalisé en 2002.
Cette décision est avant tout une jurisprudence. Corsica Linea, qui a repris les navires de la SNCM et les liaisons entre la Corse, le Maghreb et le continent, bénéficie du principe de discontinuité. Ce concept juridique a été rappelé par le tribunal de commerce de Marseille lorsque Corsica Linea s’est installé sur les liaisons entre Corse et continent. « Nous ne sommes pas l’héritier de la SNCM. Le principe de discontinuité édicté par le tribunal de commerce de Marseille prévoit quatre critères principaux pour démontrer la rupture juridique entre la SNCM et Corsica Linea. Il fallait changer de marque, de nom, de couleur et de management. Nous avons satisfait à ces quatre exigences et nous avons pu travailler pendant toute l’année sans être inquiétés par la décision du tribunal de l’Union européenne », nous a confié un responsable de l’armement.
Une décision qui irrite les milieux maritimes. « Cette décision aurait dû être prise il y a plusieurs années quand la SNCM existait encore, pour qu’elle ne soit pas inefficace », répètent à l’envi les analystes. Il reste que les 220 M€ que la SNCM a perçus ne seront jamais restitués à l’État français. Cette décision pourrait néanmoins avoir des effets en Italie avec la cession de Tirrenia qui fait l’objet de procédures devant la Commission européenne pour des sommes perçues.
11 ans
C’est la durée de la procédure qui a opposé la SNCM et l’État français à Corsica Ferries de 2006 (date de la privatisation de la SNCM) à la décision du 6 juillet. Une procédure qui s’est déroulée devant la Commission européenne, le tribunal de l’Union européenne et la cour de l’Union européenne.
Corsica linea, une année chargée
Corsica Linea a « rompu avec le passé », a souligné Pierre-Antoine Villanova, directeur général de Corsica Ferries, lors d’une conférence de presse à Marseille le 26 juin. La nouvelle compagnie maritime a repris les navires de la SNCM sans hériter de son passé. En 2016, Corsica Linea a réalisé un chiffre d’affaires de 170 M€, transporté 470 000 passagers et 875 000 mètres linéaires de fret. Corsica Linea a augmenté sa part de marché sur les traversées corses, avec 13 % contre 10 % il y a un an, malgré les investissements conséquents de ses concurrents: Corsica ferries et Moby Lines ont chacun lancé un nouveau navire pour l’été. L’objectif affiché de 30 % n’est pas encore atteint. Fort de cette première année de réussite, le groupe envisage l’avenir sous les meilleurs auspices. Lors de la conférence de presse, le directeur général de l’armement a estimé que le fret devrait progresser de 30 % et franchir le cap du million de mètres linéaires transportés en 2017. En outre, il prévoit d’investir 23 M€ dans la flotte.