Cet ambitieux projet vient de connaître une nouvelle avancée. Durable ou pas? Encore trop tôt pour le dire, si ce n’est que le conglomérat indien Adani Entreprises a annoncé le 7 juin avoir donné son feu vert à l’investissement dans la construction du très controversé (sur le plan environnemental) projet minier Carmichael, situé dans le bassin de Galilée, dans le Queensland, au nord-est de l’Australie. Un projet pharaonique, estimé à plus de 16,5 Md$, qui a vu le jour en 2010 lorsque l’Indien a jeté son dévolu sur le site minier et le port d’Abbot Point, dans lesquels le groupe a déjà investi 3,3 Md$. Également présent dans les mines de charbon (il en possède en Indonésie), le trading de charbon, l’exploration de pétrole et de gaz, la production d’électricité, le solaire et la logistique, le conglomérat Adani pèse aujourd’hui plus de 12 Md$ de chiffre d’affaires. En son sein, Adani Ports and Special Economic Zone (Apsez) contrôle environ une dizaine de ports en Inde dont Mundra, premier port privé du pays, et sa zone économique spéciale. Tous deux sont situés dans le golfe de Kutch, au nord du Gujarat, État situé près de Mumbai.
Le plus grand investissement indien réalisé en Australie
« Ce sera le plus grand investissement jamais réalisé par une compagnie indienne en Australie », a estimé Matt Canavan, le ministre fédéral des Ressources, en rappelant au passage que ce démarrage intervient après sept ans d’embûches et de retards dus notamment aux actions intentées en justice contre lui. Selon Adani, les travaux devraient débuter en septembre, même si certains parlent de novembre. Le groupe avance avoir déjà signé plusieurs contrats dont un de 2,6 Md$ avec Downer EDI Ltd pour la construction et l’exploitation de la mine Carmichael. D’autres, portant sur les voies ferrées (qui doivent assurer la liaison entre la mine et le terminal portuaire), ont également été passés pour plus de 150 M$. « Nous construisons cependant plus qu’une ligne ferroviaire, s’est félicité Jeyakumar Janakaraj, responsable pays pour le groupe Adani. Nous construisons une ligne qui ouvrira le bassin de la Galilée, reliant cette réserve massive de charbon aux marchés du monde entier, générant du pouvoir et, surtout, plusieurs milliers d’emplois directs et indirects dans le Queensland régional. »
Reste qu’en dépit de ces annonces, le doute plane toujours sur la réelle faisabilité du projet. Le charbon est désormais jugé trop polluant et n’a souvent plus grâce aux yeux des grandes banques soucieuses de leur image. Son financement paraît donc plus qu’aléatoire. « À part les fonds publics et les subventions du Queensland et des gouvernements fédéraux, nous n’avons pas connaissance du moindre investisseur privé », explique Julien Vincent, directeur exécutif de l’organisation Market Forces.
De nombreux déboires
De surcroît, le groupe rencontre des difficultés en Inde. « La super centrale électrique de Mundra, au Gujarat, a été construite en front de mer afin de rendre les importations plus aisées, de même que le port de Mundra a été conçu en conséquence », rappelle un expert indien indépendant en énergie. Entre-temps cependant, le projet australien a connu de nombreux déboires. La perspective d’utiliser le charbon est devenue moins intéressante, ne serait-ce que parce que son coût a augmenté. « En outre, pendant cette période, la production de charbon domestique indien a progressé et l’Inde a pour la première fois un surplus de charbon domestique, poursuit ce spécialiste. Tout ce contexte semble avoir convaincu Adani de la nécessité de vendre cette centrale. » Des discussions avec des acheteurs potentiels seraient en cours.
Pourquoi une telle décision? Le litige concernant le prix auquel la centrale de Mundra vend son charbon en serait l’une des raisons. Adani s’était engagé à fournir un prix du charbon relativement bas au cours des 25 prochaines années. Or, en 2010, le gouvernement indonésien a imposé une taxe de 25 % sur les exportations de charbon et fixé un prix plancher pour celles-ci. Face à cette nouvelle donne, Adani a déposé des requêtes auprès du régulateur, mais n’a que partiellement obtenu gain de cause.
« Il est important de rappeler qu’Adani a acheté les droits de Carmichael en 2010, alors que le prix et les perspectives pour le charbon thermique étaient très différents de ceux que nous connaissons. Si c’était à refaire aujourd’hui, il ne le referait sans doute pas », renchérit Julien Vincent. Et ce, d’autant plus que la filiale d’Adani, Adani Power, est financièrement paralysée par le coût du charbon importé, en provenance d’Indonésie. Alors, « si le charbon importé d’Indonésie rend déjà le coût de l’électricité prohibitif en Inde, comment Adani pourra-t-il continuer de soutenir une autre centrale avec le charbon australien? », s’interroge l’expert. La clé de la poursuite du projet est bien là.