Le respect de l’alternance entre temps de travail et temps de repos, mis en place par plusieurs textes de l’Organisation maritime internationale (OMI) et de l’Organisation internationale du travail (OIT), apparaît très théorique une fois à bord des navires, selon les témoignages des gens de mer et de leurs organisations représentatives. Les marins à la retraite ayant connu l’époque où aucune règle ne régissait les temps de travail et de repos à bord assurent que les heures de travail étaient déjà bien conséquentes. Ils se souviennent aussi de l’absence d’ordinateurs, de la présence de quelques classeurs de documents et de communications rares avec la terre.
Charges administratives
Actuellement, la première raison exprimée par les navigants pour expliquer qu’ils ne peuvent accomplir leur travail dans les horaires prescrits par les textes concerne les tâches administratives, dont les aspects sont multiples avec les communications désormais aisées avec la terre, la préparation des escales, les escales elles-mêmes avec les opérations de soutage, chargement/déchargement, les relations avec les autorités, etc. La facilité des communications entre le bord et la terre a bouleversé l’organisation du travail de l’équipage. Pour une commandante de marine marchande fraîchement retraitée, « les équipes à terre s’imaginent que l’équipage peut et doit répondre à toutes les demandes de manière quasi immédiate. Ils ne tiennent compte ni du décalage horaire entre eux et le bord, ni du fait que notre première responsabilité, c’est la navigation et ses aléas. Ils se reposent sur l’équipage bien plus qu’auparavant. Il n’y a aucune politique de respect au sein des compagnies à terre par rapport aux équipages des navires ».
Pour les officiers, les tâches administratives s’ajoutent aux responsabilités à la passerelle pendant la navigation et ses aléas, lors du quart ou lors des passages dans des zones maritimes particulièrement difficiles. Pour deux commandants en exercice, « il y a jusqu’à trois ou quatre heures de travail en plus du quart. On ne déclare pas ces heures-là dans le logiciel approuvé à bord. On apprend à tricher intelligemment avec ce logiciel. On le fait car il faut avancer et il ne faut pas que le navire soit immobilisé ».
Le nombre croissant de règles, de règlements et de normes constitue une autre raison donnée tout en reconnaissant qu’ils visent à la protection de l’équipage mais créent une activité administrative supplémentaire en plus des vérifications et inspections qu’ils imposent. Le manque d’effectif, plus particulièrement au niveau des officiers, est aussi mis en avant ainsi que des défauts dans les formations qui conduisent à un manque de compétences de certains navigants. Les officiers ne peuvent pas leur déléguer des tâches. Il faut aussi retenir que la délégation de responsabilité peut-être complexe, notamment concernant le commandant.
Augmenter les effectifs
« Le repos ne signifie pas seulement dormir. Il faut se déconnecter du travail, pouvoir profiter de moments de calme », rappelle une officier. Le non-respect de l’alternance entre temps de travail et de repos génère une fatigue de l’équipage. Celle-ci conduit à une perte des facultés d’évaluation et des capacités d’analyse en cas de situation potentiellement à risque, à une diminution du temps de réaction, de la vigilance. La sécurité de la navigation est mise en cause, le risque d’un accident s’accroît.
La solution la plus souvent proposée pour remédier à la surcharge de travail porte sur une augmentation des effectifs des officiers. Pour l’Afcan, c’est une revendication de longue date concernant les navires effectuant du cabotage dans le nord de l’Europe. Pour une officier, c’est aussi une option possible sur les navires effectuant de plus longues traversées: « Dans certaines zones géographiques où la navigation est compliquée, il faudrait un deuxième commandant et/ou un autre deuxième capitaine qui serait réellement responsable au même titre que les deux officiers déjà présents. Évidemment, cela représenterait un coût pour l’armateur. » Toute solution devra être prise au niveau mondial compte tenu que le transport maritime est une industrie internationale. Et aussi, le non-respect des temps de travail et de repos est une réalité existante sur de nombreux navires indépendamment des pavillons ou des nationalités des gens de mer.
Le cas des caboteurs
Une étude sur les conditions nécessaires au respect des normes de repos à bord de deux caboteurs internationaux en Europe du Nord a été présentée par la France à l’OMI en novembre 2015. Elle s’intéresse aux deux officiers effectuant un quart par bordée suivant un rythme de 6 h/6 h. Elle n’a pas pris en compte les temps de travail en mer induits par le management de sécurité hormis les exercices, par l’envoi des documents administratifs au port d’escale ou à l’agent dans les 24 heures précédent l’arrivée, le maintien en condition opérationnelle du navire.
L’étude conclut:
• « En mer, l’exigence des 6 h de repos consécutives par 24 h ne peut-être correctement respectée;
• en mer, les officiers de charge ne peuvent pas satisfaire aux recommandations du Guide pour la gestion et la réduction de la fatigue de l’OMI;
• les quarts se font seul de jour comme de nuit malgré des zones de navigation à visibilité réduite et à forte densité de trafic.
Le temps de travail hebdomadaire est systématiquement dépassé si le navire à des temps de navigation supérieurs aux temps d’escale ou des temps d’escales trop courts. Sur les navires au cabotage international, indépendamment de leurs dimensions, une organisation 6 h/6 h pour le quart passerelle incluant le commandant ne permet pas de respecter les temps de repos de 77 h hebdomadaires préconisé par les conventions MLC2006 et STCW. »