« Les atouts du port lui permettent de s’adapter aux stratégies changeantes des alliances des armateurs »

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Journal de la marine marchande (JMM): ne craignez-vous pas que l’évolution d’Anvers, en tant que port pour vracs et conteneurs, signifiera à terme la disparition des trafics en conventionnel avec comme corollaire des pertes d’emplois? Les pertes de trafics vont-elles profiter à Rotterdam, Flessingue et Zeebrugge, ce dernier port disposant désormais de deux terminaux à marée avec accès quasi direct à la mer?

EDDY BRUYNINCKX (E.B.): Il est certain que la baisse de ce type de trafic se poursuivra. Il y a quelques années, 40 % des tâches en travail portuaire concernaient le conventionnel. Aujourd’hui, nous enregistrons encore un trafic de 10 Mt, soit à peine 5 % du tonnage. C’est une évolution en partie structurelle, qui se manifeste d’ailleurs dans la plupart des ports. À Anvers, elle s’est d’abord manifestée dans le secteur de la pâte à papier, puis dans d’autres, et a été alimentée par des changements d’installations et l’organisation du travail portuaire. Dans l’ensemble, c’est-à-dire sur un plan général en Europe, ces cargaisons vont encore diminuer. Certes, nous avons perdu un trafic de fruits de Chiquita en faveur de Flessingue, toutefois on constate que dans ce secteur, la baisse enregistrée au cours du premier semestre — près de 100 000 t, soit 1,7 % en volume par rapport à la période précédente — a été largement compensée par ce qui a été réceptionné en conteneurs. Par ailleurs, il faut signaler une reprise du côté des fers et aciers avec une hausse de 12,3 %, et des bois. On parle donc d’une stagnation du trafic. La conteneurisation va encore progresser, mais nous n’avons plus perdu de parts de marché ces deux dernières années.

JMM: nombreux sont ceux, dans les milieux portuaires, qui comparent l’accord conclu sur la modernisation de la loi major, qui régit le travail portuaire, à une boîte bien emballée, mais vide. Seuls les grands opérateurs du secteur conteneurs ont réagi positivement, les autres se sont abstenus. Quel est le point de vue de l’autorité portuaire?

E.B.: Le port n’est pas impliqué dans ce dossier, mais je préfère modérer le sentiment que vous évoquez dans votre question. Il est vrai qu’il y a deux points de vue, selon qu’il s’agisse des opérateurs de conteneurs ou des opérateurs de diverses classiques. Dans le premier camp, il y a satisfaction sur la manière dont les trafics conteneurisés sont traités à Anvers. En ce qui les concerne, l’organisation du travail est positive. Quant à l’autre aspect, c’est-à-dire les cargaisons classiques, je ne parlerai pas d’une boîte vide mais d’un verre à moitié plein, à moitié vide. Chacun sait très bien que la productivité et le professionnalisme des dockers sont très élevés. Ils connaissent leur métier. C’est un point positif. Si d’autres éléments pouvaient évoluer plus vite, à savoir la rigidité en ce qui concerne la composition des équipes ou la surspécialisation des dockers, on gagnerait du temps. Ce qui est important, c’est que l’évolution annoncée s’est faite en concertation, sans conflit. À deux ou trois exceptions près, tous les opérateurs de terminaux ont participé à l’enquête. Ceci dit, le temps que va demander la transition pourrait engendrer d’autres pertes de trafics dans ce secteur du travail intensif.

JMM: ne craignez-vous pas que la position d’Anvers en tant que grand port à conteneurs puisse être, à terme, compromise par les changements constants que les alliances apportent à leurs stratégies opérationnelles?

E.B.: Le phénomène des alliances a pour effet de concentrer beaucoup plus de pouvoir entre quelques personnes. Partant, à court terme, des décisions peuvent être prises par un petit nombre, impliquant des modifications dans les programmes d’escales. C’est un fait. Qu’est-ce que cela peut signifier pour Anvers? Parallèlement, la position du port scaldien – et les chiffres le démontrent – est une bonne chose. N’oublions pas que ce sont les alliances qui viennent avec des ULCS et supers ULCS. Il y a deux aspects à considérer: le port est accessible aux supers ULCS, mais ces grands navires doivent être remplis. Pour Anvers, il faut tenir compte du facteur nautique, du jeu des marées, ce qui par contre est largement compensé par cet avantage qu’est le paquet de cargaisons qu’engendre le port. Ce paquet est généré par le secteur local, plus particulièrement la chimie/pétrochimie, par les activités logistiques mais aussi par les connexions multimodales sur courtes distances, qui dans bien des cas sont plus courtes qu’au départ de Rotterdam, et s’avèrent plus intéressantes en matière de coûts. Ces atouts resteront valables pendant les prochaines années.

JMM: le secteur fluvial engagé dans la conteneurisation est confronté à de sérieux problèmes à Anvers. Les terminaux à conteneurs donnent toujours priorité aux navires de mer, et de ce fait il n’y a pas assez de temps ni assez d’équipes pour traiter les barges. D’où de longs délais d’attente. Le port n’a-t-il pas assez d’influence pour régler ce problème?

E.B.: En tant qu’autorité portuaire, nous ne pouvons intervenir pour des solutions opérationnelles. Par contre, ces derniers mois, nous avons fait effectuer une analyse des escales des porte-conteneurs maritimes en relation avec celles des unités fluviales. Il s’agissait d’avoir une idée précise de ces délais d’attente, de l’importance des escales fluviales, de leur durée et des équipes disponibles. S’en est suivi un débat objectif, chiffré, soumis en premier lieu aux opérateurs des grands terminaux, au management, puis au management du second échelon. La seconde étape consiste à réunir ces responsables avec quelques représentants d’armements maritimes et fluviaux pour discuter des conclusions résultant de l’analyse. Cette réunion devrait intervenir en septembre. La situation actuelle est compréhensible. Sur une courte période, le trafic fluvial de conteneurs a considérablement augmenté pour atteindre 35 % du volume. D’autre part, à l’opposé de ce qui se passe dans d’autres secteurs du transport, il y a eu très peu de consolidations au niveau des entreprises du transport fluvial. Enfin, trop de barges se présentent avec trop peu de conteneurs à bord. La fragmentation est trop forte. Ou l’on procède à une consolidation des cargaisons, ou l’on consolide au niveau des entreprises ce qui réduira le nombre des armements. C’est d’ailleurs ce qui se passe sur le Rhin.

JMM: à Rotterdam, un accord a finalement été conclu (coût 60 m€) entre les opérateurs de terminaux à conteneurs et les syndicats: automatisation totale des installations, mais pas de pertes d’emplois d’ici juillet 2020. Les opérateurs de terminaux anversois devront-ils suivre pour maintenir leur productivité et compétitivité?

E.B.: Par tradition, il appartient aux opérateurs anversois de réagir et de décider. Je constate qu’aujourd’hui la semi-automatisation est une solution, que lesdits opérateurs veillent surtout à la satisfaction de leurs clients et que l’intervention du facteur humain s’avère quand même plus flexible et facile que l’automatisation intégrale, qui ne nous a toujours pas convaincus. Tant que la productivité des dockers sera ce qu’elle est, pas de problème.

JMM: la commission européenne considère que l’exploitation d’infrastructures portuaires par les ports constitue une activité économique pour laquelle ils doivent payer l’impôt de société. Quel est votre point de vue?

E.B.: En tant que port d’Anvers, nous sommes une entreprise hybride en ce sens que nous avons un caractère public pour ce qui est de la gestion des trafics et autres aspects sécuritaires, tandis que nous avons un caractère commercial en ce qui concerne les concessions et activités pour attirer des trafics. Il faut donc tenir compte de cette situation et ne pas nous considérer simplement comme une entité commerciale, publique ou comme une entreprise d’État. Nous attendons donc une décision responsable. Et surtout nous demandons que l’on regarde un peu plus loin que la Belgique, la France et les Pays-Bas. Par exemple, les ports allemands réalisent des pertes. En outre, il y a d’autres ports en Europe qui réalisent du bénéfice, et là, l’Europe ne dit rien.

JMM: quel sera l’impact du Brexit sur Anvers?

E.B.: Il est évident que la Grande-Bretagne est un partenaire commercial très important, surtout pour la Belgique. Tout obstacle aux échanges a des implications et nous pouvons faire preuve d’inquiétude quant aux conséquences, notamment sur le plan des transports suite aux problèmes administratifs qui se poseront aux frontières. Il y aura un impact. Pour l’instant il est difficile d’avancer des chiffres. La position d’Anvers est peut-être différente par rapport à d’autres ports voisins, car le port ne traite aucun trafic ferry, fret/passagers.

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